C'est sous le ciel pluvieux de Seattle que nous pénétrons dans les studios de Bungie. Construits dans un ancien complexe de cinéma d'une dizaine de salles, sa taille et sa disposition se marient parfaitement avec les ambitions du studio, et donnent un avant-goût métaphorique de ce que Destiny ambitionne d'accomplir.

Les chiens ne font pas des chats

Le gigantesque open space aux lumières tamisées qui résulte de l'abattage des murs de l'ancien cinéma ne sert qu'un seul objectif : permettre à l'équipe de Bungie, qui a bien grandi en passant de moins d'une cinquantaine de personnes sur le premier Halo à plus de 350 sur Destiny, d'être aussi flexible et ouverte au contact que possible. Tous les bureaux sont montés sur roulettes (on compte en moyenne 10 à 15 réaménagements de bureaux par semaine pour accommoder les besoins de rapprochements entre membres de l'équipe et corps de métier), et d'un bout à l'autre, on voit tout de suite lorsqu'il se passe quelque chose et qu'un attroupement se forme autour d'un des bureaux. Destiny, c'est un peu la même chose : un FPS qui se veut confortable, accessible et surtout capable de réunir les gens même s'ils n'en ont pas nécessairement envie au départ... un FPS en ligne, certes, mais surtout pas un MMO ; on prend soin d'éviter de prononcer ce mot, même si tous les joueurs de Destiny partageront plus ou moins le même univers. Un nouvel univers, donc, ambitieux, vaste, et visuellement époustouflant... au moins dans ses concepts arts. Vous vous sentez déjà un peu perdus à vous demander de quoi il s'agit véritablement ? Ne vous inquiétez pas, c'est normal : les développeurs sont bien loin d'avoir répondu à toutes nos questions. Une chose est sûre cependant, on retrouve tout de suite la touche de Bungie, mais, celle qui portait encore la fraîcheur et l'ambition démesurée de la prime jeunesse, celle qui a fait de Halo un titre historique pour le genre du FPS comme pour le monde console. Et pour rester pragmatiques et évacuer l'essentiel tout de suite : il n'y aura pas d'abonnement, et ça sortira bien sur Xbox 360 et PS3 (entre autres), mais pas cette année. Mais de quoi s'agit-il, alors ?

Réinventer un genre populaire

Pour Eric Hirshberg, le patron d'Activision, Destiny c'est "des éléments de monde ouvert bac à sable, des éléments d'un monde persistant, et des éléments familiers des jeux Bungie". A n'en pas douter, après des heures de présentations variées de chacun des départements du studio, appuyés d'artworks et de saynètes vidéo, de quelques captures "in-engine" et d'un micro-aperçu de rendu temps réel in-game sans le moindre élément de gameplay, il paraît clair que Bungie ambitionne de renouveler le FPS autant, sinon plus qu'ils ne l'avaient fait à l'époque du premier Halo, tout en se gardant bien de trop en dire pour l'instant. Les ingrédients pour y parvenir ont été établis très tôt, aux débuts du projet en 2009. Sept piliers qui soutiennent et pilotent tout le titanesque projet. Un monde dans lequel les joueurs ont envie d'être ; un paquet de trucs amusants à faire, une large gamme d'activités qui aillent toutes directement à l'essentiel ; des récompenses auxquelles les joueurs puissent vraiment s'attacher ; une nouvelle expérience à chaque partie grâce certes à un vaste contenu, mais surtout à des aspects émergents ; une expérience partagée avec d'autres personnes de manière transparente ; un titre qui ait à offrir à tous les types de joueurs quelle que soit leur compétence ; et enfin un titre fait pour les joueurs fatigués, impatients, et distraits que nous sommes tous après une journée difficile. C'est à dire, loin des aspects répétitifs et presque apparentés au boulot dont souffrent tant de titres en ligne. Pour Hirshberg, il s'agit du premier "shooter en monde partagé".

Tous des héros

Nous sommes 700 ans dans le futur. A l'arrivée du Voyageur, gigantesque sphère blanche, la civilisation est entrée dans un âge d'or. Elle a conquis le système solaire, s'est développée sur ses planètes. Mais ce qui devait arriver arriva : elle est bientôt confrontée à des menaces extra-terrestres venus des confins de l'univers, qui vont d'abord mettre fin à son expansion, puis la précipiter vers l'extinction. In extremis, les derniers vestiges de la civilisation humaine sont sauvés par le mystérieux Voyageur. Encore aujourd'hui, la sphère immaculée reste comme suspendue dans l'atmosphère terrestre. Personne ne sait d'où elle vient, ni pourquoi elle est venue. Juste qu'elle veille sur la dernière cité humaine, la Tour, telle une petite lune protectrice. Depuis ce dernier havre de sécurité, les survivants s'organisent, reconstruisent la ville et se lancent dans la reconquête des vestiges et artefacts de leur passé. Parmi eux, les Gardiens, chargés de protéger cette cité ; les personnages que les joueurs créeront et incarneront dans Destiny. Tous ont domestiqué et appris à se servir d'une partie des immenses pouvoirs du Voyageur. Il y a les Titans, robustes combattants ; les Hunters ("chasseurs"), explorateurs et pisteurs aguerris à la survie en dehors des murs de la cité ; et les Warlocks ("sorciers"), sans doute les plus mystérieux et versatiles d'entre tous, capables d'utiliser ce qui s'apparente à de la magie, grâce au Voyageur. Le personnage de Joseph Staten, auteur et directeur du design sur le projet, est de ceux-ci. Jason Jones, co-fondateur de Bungie et directeur du projet, a opté pour la classe des Titans. Joseph nous raconte une de ses parties avec Jason.

Ils ont trouvé des restes de la civilisation humaine perdue, des vestiges de l'âge d'or. Justement, Jason vient de se payer un nouveau vaisseau ; il doit avoir gagné gros en compétitif pour y parvenir. Ce n'est pas la première fois que Joseph a quitté la Terre. Il a exploré les côtes brisées de Venus, l'océan des tempêtes sur la Lune. Mais aujourd'hui, Mars est leur destination. En une pression de bouton, les voilà qui quittent le hangar, pour se retrouver dans l'espace, en direction de la planète rouge. Là-bas, ils devront affronter les Mangeurs de Sable, une légion Cabal ; des humanoïdes solidement charpentés, très dangereux, qui ont élu domicile dans les ruines d'une cité humaine où se trouve le Palais de Poussière, leur destination. Joseph est déjà venu aux abords de ces ruines ; mais il était seul, de nuit. Les Mangeurs de Sable gardaient trop bien le périmètre. A deux, de jour, se couvrant l'un l'autre, Jason et Joseph parviennent à progresser... jusqu'à ce qu'un dropship Cabal n'apparaisse au dessus des tours de la cité pour y larguer des renforts et des missiles. Ils rencontrent vite une résistance qui risque de mettre fin à leurs chances de pénétrer dans les ruines qu'ils convoitent. Acculés, ils se rendent à l'évidence : il va sans doute falloir faire une croix sur l'objectif de leur mission. Mais in extremis, sortie de nulle part, une Chasseuse débarque sur une sorte de moto anti-gravité ; le Palais de Poussière est l'une des zones publiques de Destiny, dans lesquelles on peut croiser la route d'autres gardiens. Cette chasseuse porte un équipement haut-de-gamme, et un fusil à impulsion qui trahit son expérience de vétéran. Ce fusil particulier, ils le connaissent après avoir consulté les registres de Bungie.net, il porte un nom : Le Destin de Tous les Fous. En un éclair, elle renverse le cours de la bataille. Elle pointe l'entrée du Palais, l'air de dire "on y va ou pas ?". Ils l'invitent dans leur groupe. Ils vont finalement pouvoir réussir leur mission : retrouver une pièce du Charlemagne, une antique machine intelligente, vestige de la civilisation martienne, cachée quelque part au niveau inférieur. Le butin est à la hauteur : pour Jason, un nouveau shotgun, et pour le Warlock de Joseph, un pistolet unique qui s'appelle Epine. La chasseuse, après un rapide au revoir de la main, a déjà disparu, montée sur son véhicule. Jason et Joseph retournent en orbite.

De mystérieuses coulisses

Une bien belle histoire, n'est-ce pas ? Mais une fois encore, Destiny n'est pas exactement un MMOFPS. Tout en restant mystérieux sur la structure exacte du jeu, comment ses zones publiques et les zones privées s'organisent, on comprend tout de même que Destiny est aux MMO FPS ce que Phantasy Star Online était aux MMO RPG. C'est à dire qu'il n'en est pas vraiment un. Technologiquement, Bungie travaille depuis 10 ans sur un nouveau genre de moteur réseau et surtout de matchmaking, une des nombreuses fonctionnalités dont ils étaient les pionniers avec Halo 2. Cette fois, le jeu en use en permanence en tâche de fond, de manière complètement transparente, exactement comme nos téléphones mobiles passent d'un relai à un autre et s'y croisent sans qu'on s'en préoccupe. On nous promet une absence totale d'interface - des parties où le côté coopératif reste complètement transparent, exactement comme dans Journey. Pas de lourdeurs de lobbys, de recherche active de joueurs. Dans le mode campagne, qu'on pourra jouer entièrement en solo si on le souhaite, le but des développeurs est de rendre l'ensemble du jeu aussi fluide et transparent que possible : que tout ce qui relève du réseau tourne en tâche de fond, sans que le joueur ne le perçoive, pour une immersion maximale. Et de surprendre ainsi les joueurs solo, persuadés qu'ils jouent à un FPS classique, lorsqu'un autre joueur peut se mêler à leur partie, tout en poursuivant ses propres histoires ; un joueur qui aura été choisi et mêlé à leur partie par le système, sans obligation, et en tenant compte des personnages qui sont les leur. Un joueur qui participera à faire de leur propre aventure une histoire unique, qu'ils puissent s'approprier tout en découvrant, si tout se passe bien, que Destiny est encore meilleur lorsqu'il est joué en coopératif.

On pourra ainsi tomber au hasard de notre propre aventure sur d'autres joueurs en difficulté, et choisir de les aider ou non. On devine que des mécaniques de jeu ont été conçues pour récompenser et favoriser la coopération, fusse-t-elle brève et involontaire, entre gardiens. On imagine également une mécanique transparente qui choisisse de regrouper les joueurs suivant plus que de simples critères de niveau de jeu ou de classe, en incorporant par exemple leurs habitudes de jeu ou leur profil. Sont-ils plutôt solitaires, ou non ? Ont-ils l'habitude d'aider les autres, de rechercher leur aide, ou d'agir de leur côté sans grouper ? Sont-ils actifs quotidiennement, ou non, optent-ils plutôt pour tel ou tel type de mission, d'approche ? Autant de critères qui, pris en compte par un système transparent mais d'envergure, pourraient permettre d'éviter les rapprochements entre profils trop différents, comme de laisser une trop grande place aux hasards du réseau. Et donc de favoriser des moments inoubliables et des amitiés liées en ligne en capitalisant sur les expériences différentes recherchées par différents types de joueurs, au sein d'une histoire certes écrite, mais incorporant, nous a-t-on dit, de nombreux éléments émergents (i.e. générés par les systèmes et donc différents pour chaque joueur). Les concepteurs de Destiny parlent même de regroupements et d'histoires déterminés par les joueurs, mais surtout le gameplay : s'ils peuvent se passer de la voix, ou même des emotes, pour que seul le pur gameplay travaille à regrouper les joueurs, ils s'en féliciteront. La volonté de garder tout ceci aussi accessible et simple que possible est claire et présente dans tous les aspects du jeu.

Ouvert, dense, et varié

Le monde de Destiny se veut un monde plein d'espoir ; un monde coloré qui vaut la peine d'être défendu, exploré, recapturé. Mais qu'il s'agisse des puissants Cabals, de robots voyageurs du temps appelés Vex, des terrifiants déchus, des pirates Araignées : il est bien entendu rempli de menaces à affronter ; Destiny reste, après tout, un FPS. Dans un univers que Bungie qualifie de "science-fiction mythique", à mi-chemin entre Space Opera et Fantasy. Les joueurs y écriront leur propre légende au sein d'une campagne qui ne sera qu'un des volumes de Destiny, puisque bien d'autres jeux sont prévus après le premier (au total, 4, plus des extensions entre chaque, sur les 10 ans à venir). Ou s'y affronteront dans le mode compétitif (dont on ne sait encore rien). Ils y trouveront des équipements variés, qu'on nous promet capables de raconter à eux seuls leur histoire, d'en faire des gardiens uniques, quelle que soit leur classe, et leur faction. Titan Vis Supreme, Chasseur Facta Non Verba, ou encore Sorcier Je Me Souviens. Pour créer ce vaste univers dont les seules limites sont celles du système solaire, il a fallu créer de nouveaux outils, changer les méthodes de production, concevoir un tout nouveau moteur graphique. Reconnu pour son traitement de la lumière, le studio a du se débarrasser de ses anciennes astuces, rigides, et passer à un modèle d'éclairage en temps réel. Nous n'avons vu que peu d'éléments "in-engine" ; tout au plus quelques captures fixes, et une petite minute d'approche d'une gigantesque base lunaire en temps réel. Pour être clair, ce que nous avons vu était à l'avenant des précédents titres du studio sur cette génération de consoles, mais en gardant à l'esprit qu'il s'agit là d'un univers bien plus ouvert, dans lequel plusieurs joueurs peuvent guerroyer à l'écran face à des tonnes d'ennemis, ça restait impressionnant, grâce notamment à une retranscription fidèle des concepts arts ayant établi une direction artistique assez époustouflante de richesse. Mais à ce stade des révélations sur Destiny, on en sait encore bien trop peu, concrètement.

Y aura-t-il d'autres classes que les trois dévoilées ? "Pas de commentaire". Quel est le coeur de l'intrigue du premier volet ? "Vous le découvrirez". Quelles seront réellement les limites de l'univers de jeu, entre monde-ouvert et zones instanciées ? On l'ignore encore. Pourra-t-on piloter les vaisseaux dans l'espace, ou s'agira-t-il de transitions cinématiques ? L'équipe ne nous l'a pas dit. Quel degré de maîtrise du coopératif transparent pourra-t-on exercer dans la campagne, si on le souhaite ? Ca n'a pas été précisé. Qu'est-ce qu'introduiront les extensions et futurs épisodes en plus de la suite de l'histoire ? Mystère. Est-ce que ça sortira aussi sur PC ? "No comment". On peut cependant supposer que Destiny s'articulera autour de zones bien définies. Certaines publiques, comme le Palais de Sable, ou la cité sous le Voyageur dans laquelle les gardiens pourront commercer, se rencontrer, et se reposer tout en observant le cycle jour/nuit suivre son cours, et d'autres instanciées, scénarisées, réservées au groupes déjà établis ou aux joueurs solo. Des "companion app" sur mobiles et tablettes, ainsi que sur Bungie.net, accompagneront les joueurs dans leurs aventures et faciliteront un aspect prédominant du jeu ; le social. Enfin, il apparaît évident que Destiny adoptera sous une forme ou une autre un modèle économique de pseudo Free-to-Play, en tout cas de jeu sans abonnement à la Guild Wars 2. Un titre dont il tire d'ailleurs fort probablement bien d'autres inspirations sur la structure des missions et l'implication de joueurs qui ne se connaissent pas autour de tâches communes.

Ce premier contact avec Destiny nous a laissés plus de questions que de réponses, indubitablement. Activision et Bungie gardent un contrôle serré sur la communication autour du projet, mais son ambition, elle, est claire. Considérant le pedigree du studio, on a bien envie d'y croire... Même si bien peu de choses concrètes ont été données lors de cette journée passée à Seattle, moi en tout cas, j'y crois. Entre devoir de réserve et enthousiasme compréhensible se trouve probablement un juste milieu ; chacun choisira le sien en attendant d'en découvrir bien plus dans les mois qui viennent ; pour ma part, la seule chose que je peux affirmer pour le moment c'est que si Bungie parvient à concrétiser ses ambitions, il s'agira bel et bien d'une révolution pour le genre.