Malgré la prise de conscience par Sony de l'existence de SEGA et surtout de la puissance accrue du constructeur de la Mega Drive, chez Sony Japon, Nintendo occupait encore les esprits. Et même si l'humiliation subie au Summer CES de 1991 n'avait pas été oubliée/pardonnée, le conseil d'administration du géant de l'électronique continuait de penser que Nintendo serait le meilleur partenaire possible pour entrer sur le marché du jeu vidéo.

Dans les mois qui ont précédé le Summer CES de 1992, Sony et Nintendo négociaient en secret un nouvel accord qui pourrait être dévoilé un an après l'annonce surprise de l'alliance Nintendo-Philips.

Les choses paraissaient initialement bien engagées, un communiqué de presse joint ayant même été préparé quelques jours avant le début du salon américain. Mais cette fois, ce sont des désaccords de dernières minutes qui ont mis un terme aux négociations.

Ken Kutaragi, une histoire de réputation...

À nouveau en froid avec Nintendo, et incertain de l'avenir de son alliance avec SEGA, et malgré la désapprobation de la partie plus âgée de son conseil d'administration, Sony a travaillé sur sa propre machine.

Imaginée en secret par un Ken Kutaragi soutenu par le président de Sony de l'époque, Norio Ohga, cette nouvelle machine devait se montrer largement supérieure à ce que proposait alors Nintendo et SEGA, et devait être capable d'afficher des graphismes en 3D.

Et pendant que les médias parlaient toujours du possible retour de l'alliance Nintendo-Sony, et que Ken Kutaragi et son équipe planchaient sur cette nouvelle console au sein de Sony Music, Olaf Olafsson et Tom Kalinske continuaient de chercher des moyens de travailler ensemble sur une console nouvelle génération. Les deux hommes savaient cependant que leurs bonnes intentions ne suffiraient pas. Le plus difficile pour eux serait de convaincre leurs collègues japonais de travailler ensemble comme le montre cette discussion, elle aussi racontée dans Console Wars, survenue trois jours avant le lancement new yorkais du Mega CD :

Olafsson : Mon petit doigt me dit que Ken Kutaragi serait bien plus à l'aise avec l'idée de travailler avec quelqu'un de votre stature (qu'avec l'idée de travailler avec Nintendo, ndlr).

Kalinske : Pensez-vous vraiment qu'il serait capable de travailler avec SEGA of Japan ?

Olafsson : Ah, vous avez entendu parler de la réputation de Monsieur Kutaragi...

Kalinske : Je pense que tout le monde dans cette pièce a entendu parler de sa réputation.

Olafsson : C'est vrai, travailler avec lui n'est pas une partie de plaisir. Mais il est tout aussi vrai qu'il est brillant et qu'il accorde une très grande importance à son travail. J'imagine donc qu'il est assez intelligent pour emprunter le chemin qui a le plus de chances de mener à bien son travail.

Kalinske : Bien. Tout cela est cohérent.

Olafsson : Dans l'ensemble oui. Mais qu'en est-il de votre côté ? Il y a également la question de Monsieur Nakayama (Hayao Nakayama, le président de SEGA au moment des faits et la personne qui a personnellement recruté Tom Kalinske, ndlr) et de sa réputation.

Kalinske : Eh bien Olaf, qui a révélé ce secret ?

Olafsson : Des renseignements de première main.

Kalinske : Il peut être difficile de travailler avec Nakayama-san, mais dans les moments décisifs, il m'a toujours soutenu.

Olafsson : Bien bien.

Cet enthousiasme a très rapidement été mis à rude épreuve. Peu après la discussion retranscrite ci-dessus, Tom Kalinske et quelques membres de son équipe se sont rendus dans les locaux de SEGA of Japan afin de découvrir ce sur quoi planchait la maison-mère. Et c'est au cours de cette visite qu'a été présenté le 32X au président de SEGA of America. De cet add-on 32-bit pour la Mega Drive (le second après le Mega CD), Tom Kalinske ne voulait tout simplement pas.

Histoire de ne pas perdre de temps, Kalinske a profité de ce voyage pour présenter l'idée de travailler sur la prochaine console SEGA avec Sony à Nakayama et Hideki Sato, le directeur de SEGA et un des responsables de son département recherche et développement.

Comme il était possible de le prévoir, l'idée présentée par Tom Kalinske n'a pas fait sauter de joie ses supérieurs nippons. En revanche, Nakayama a promis d'évaluer la proposition et a formé une équipe chargée d'étudier la question pendant plusieurs mois. Si le marché entre Sony et SEGA n'était pas encore conclu, la porte n'avait pas été fermée par les pontes de SEGA Japon.

La fin d'un rêve

Malheureusement pour Kalinske, Olafsson et les autres partisans de l'alliance SEGA-Sony, les choses étaient compliquées au Japon. Au cours d'une conversation entre Tom Kalinske et son informateur américain au sein de SEGA of Japan, Mike Fischer, le président de SEGA of America a été informé qu'Hayao Nakayama avait piqué une crise, et que les victimes de cette crise étaient les personnes que Tom Kalinske espérait convaincre de travailler avec Sony. C'est à partir de ce moment que Kalinske a commencé à réfléchir à un plan B en matière de hardware.

L'espoir de voir aboutir une association entre Sony et SEGA au sujet d'une console "Next-Generation" s'amenuisait donc de jour en jour. Une fine couche d'espoir subsistait cependant. Cette couche, c'est Olaf Olafsson qui a eu la lourde tâche de la retirer. Console Wars relate la conversation téléphonique qui a mis fin au rêve d'alliance entre Sony et SEGA et qui a fait des alliés d'hier les concurrents de demain :

Kalinske : Vous plaisantez n'est-ce pas ? S'il vous plaît, dites moi que vous plaisantez.

Olafsson : J'ai bien peur que non. Ils (SEGA of Japan et Sony of Japan, ndlr) n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Le discours officiel fait état de "différents artistiques."

Kalinske : Je n'arrive pas à y croire. Je ne sais pas vraiment quoi dire mis à part que je suis désolé.

Olafsson : Ce n'est pas de votre faute, vous avez fait de votre mieux.

Kalinske : C'est ce qui me fait peur, j'ai vraiment, vraiment, fait de mon mieux et ils n'ont quand même pas réussi à se mettre d'accord.

Olafsson : Ne vous tracassez pas. Les affaires sont les affaires. Ce genre de choses arrive.

Kalinske : J'imagine que je ne me trompe pas en passant que Sony va continuer sans nous et que vous allez sortir votre propre console ?

Olafsson : J'espère.

Kalinske : Si vous le faites, je vous souhaite bonne chance.

Olafsson : À vous aussi mon ami.

Si la PlayStation n'est pas passée loin d'être une console Nintendo-Sony, elle aurait également pu être le fruit du partenariat entre SEGA et Sony si les bureaux japonais des deux sociétés avaient réussi à s'entendre aussi bien que leurs homologues américains.

Cette alliance "secrète" entre ces deux dernières pousse par ailleurs à se demander ce à quoi aurait ressemblé l'industrie du jeu vidéo si la PlayStation avait bénéficié de l'aide de SEGA. Pour ce qui est de la véritable histoire, les événements qui ont suivi cette fatidique conversation téléphonique sont bien connus. Dans les mois qui ont suivi cet appel, Tom Kalinske a continué d'être en conflit quasi permanent avec SEGA of Japan.

En 1996, après avoir été forcé de commercialiser le 32X en Amérique du Nord, et de lancer de manière anticipée la Saturn, il a fini par quitter celui dont les années en tant que constructeur de consoles étaient comptées. Sony a, avec sa PlayStation, totalement bouleversé le marché du jeu vidéo.

Vingt ans après la sortie de la PlayStation, et tandis que la PS4 jouit d'une grande popularité, l'impact de la première console de Sony continue d'être ressenti.


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