Analystes et observateurs s'attardent sur les détails, à raison, car ils tentent de décrypter avec précision les tendances de l'industrie. Le passage à la next gen représente l'un de ces moments charnières dans l'histoire du jeu vidéo, voyant chaque élément devenir un sujet de réflexion.

Par-delà le coeur des machines, ce sont les manettes de jeu qui ont véhiculé la stratégie des constructeurs, à commencer par celle de Nintendo. Aujourd'hui, c'est à travers le prisme d'une infime modification, un détail, donc, que nous allons essayer de mieux comprendre les enjeux de cette nouvelle génération de consoles.

Pour y voir plus clair dans cette sombre affaire, j'ai requis l'avis de deux professionnels : Nicolas Nova, coauteur du livre Joypads, chercheur au Near Future Laboratory mais aussi professeur à la Haute École d'art et de design à Genève, et Greg Benazech, ancien game designer chez Ubisoft, il oeuvre actuellement au poste de game director pour Any Arts.

Petit historique

La carrière de Start et Select commence en 1983 sur la manette de la Famicom. De même que pour une grande majorité des innovations concernant les commandes de jeu, c'est Nintendo qui est à l'initiative du duo en question. Les deux touches ne font pourtant pas une entrée fracassante. En effet, Start et Select n'apparaissent que sur la manette 1 de la console. Le second pad étant accompagné d'un micro, impossible alors d'accueillir nos boutons stars. Adoptés par tous les constructeurs, Start et Select ont pourtant vu varier leurs places et leurs appellations.

En 1993, la Jaguar d'Atari les renomme Pause et Option, alors que Sega en 1985 avait quant à lui carrément relégué la touche Start sur la console, déjà en la rebaptisant pause. Back, Run et j'en passe furent autant de désignations appliquées à Start et Select. Hormis l'excentricité de Sega sur Master System, la position des deux touches n'aura guère changé. Dans la réponse de Nicolas Nova, que j'ai interrogé à ce sujet, on peut déjà commencer à percevoir l'importance de ces boutons :

"La place des différents éléments d'interface sur le pad révèle l'importance de la petite taille du périphérique : pour être efficace il faut concentrer une grande quantité d'éléments sur une petite zone, puisque l'on tient l'objet avec nos deux mains. Du coup, les parties du pad les plus importantes sont les endroits dévolus à la navigation (croix) et à l'action (boutons). Du coup, pour la gestion du jeu en tant que tel, le seul espace moins important, c'est le milieu du joypad... lieu où Start et Select se sont retrouvés... c'est encore là un signe qui atteste que ces boutons sont vraiment le parent pauvre du controller !"

Leurs fonctions

Le parent pauvre ! Quand même, il y va fort, Nicolas. Et s'il avait raison ? Et si, depuis le début, ces boutons ne servaient à rien ? Usul, ancien chroniqueur du site Jeuxvideo.com s'en est déjà amusé à l'occasion de l'une de ses vidéos, mais essayons d'aller un peu plus loin dans l'analyse de ces deux mal-aimés.

Nicolas m'a avoué que si dans son ouvrage, pourtant dédié aux manettes, il n'a pas traité Start et Select avec plus d'égards, c'est qu'il avait relevé au cours de ses recherches sur le sujet qu'il existait beaucoup de matière concernant la croix directionnelle, les joysticks et la forme générale des pads, mais très peu sur d'autres sujets comme celui des boutons Start et Select. Ils apparaissent en effet moins importants et d'un usage plus restreint que les autres touches, du fait qu'ils concernent l'aspect "hors-jeu" plutôt que le contrôle des personnages ou le gameplay. Naïvement, j'ai alors demandé à notre spécialiste pourquoi Nintendo avait donc créé deux boutons de "contrôle système". Est-ce qu'un seul ne suffisait pas ?

"C'est vrai qu'un bouton pourrait suffire pour gérer cet aspect "administratif" du hors-jeu : faire pause, sélectionner des options, etc. Au fond, une hypothèse pourrait être que beaucoup de marques ont fait du suivisme par rapport à Nintendo... comme souvent dans l'histoire du jeu vidéo."

Nintendo, justement, allait bientôt séparer notre duo, en 1996, avec la N64 et sa manette révolutionnaire, totalement centrée sur une autre innovation majeure : le stick analogique ! Le constructeur confirme même son désaveu en 2001 avec la GameCube. Start se retrouve alors désespérément seul. De son côté, Sega continue d'ignorer Select, et après la Mega Drive c'est au tour de la Dreamcast de n'afficher qu'un seul bouton de "contrôle système". À l'inverse, Sony va s'ériger contre ce dédain éhonté ! Les trois premières PlayStation et leurs DualShock respectifs réuniront chaque fois Start et Select. Nicolas Nova nous livre sa théorie sur ce choix étonnant du constructeur japonais :

"Mon hypothèse est que Sony est resté sur la configuration du joypad de la Super Nintendo, du fait des projets de collaboration entre Sony et Nintendo à l'époque, et n'a évolué que sur la forme et les boutons d'action sans pour autant avoir d'idées préconçues concernant les touches Start et Select. Ensuite, les DualShock ont tout simplement évolué progressivement sur ce modèle."

Quel avenir ?

Alors que c'est Nintendo qui leur a donné naissance, c'est aussi ce constructeur qui ira bientôt les enterrer. Start et Select ont en effet connu en 2006 un changement de nom marquant, avec la Wii. Ils deviennent + et -.

Par ailleurs, ces nouveaux boutons encadrent à présent une nouvelle touche d'importance, le bouton Home. On peut imaginer que ces deux nouvelles dénominations ont eu pour but de briser les codes du jeu vidéo, à l'époque où Nintendo souhaitait s'adresser à un nouveau public tout en explorant une nouvelle façon de jouer : le motion gaming. Selon Nicolas, c'est aussi l'occasion pour Nintendo de "mettre à jour les fonctions de Start et Select, qui avaient évolué. De plus, du point de vue ergonomique, le fait de nommer cela + et −, c'est aussi parce que l'utilisateur comprend à présent de manière implicite qu'ils servent à gérer des options."

Le grand héritier de Start et Select, chargé de réunir les propriétés des deux touches, se nomme donc Home. Il fait l'unanimité et se retrouve au centre des manettes de la Wii, de la PS3 comme de la Xbox 360. Néanmoins, le destin de notre duo a-t-il été scellé avec l'arrivée de la touche Home ? Pour Greg Benazech :

"C'est une juste évolution avec notre mode de vie actuel : être multitâche tout en étant uniformisé. Pour le bouton Start, c'est donc une bonne chose. Pour le bouton Select, je serais plus nuancé, puisque sa fonction est plus critique et permettait aux développeurs de proposer une feature utile sans pour autant sacrifier une touche plus accessible et plus essentielle à la réussite du joueur. "

La fin d'une ère

Séparés, renommés, abandonnés, nos deux souffre-douleur vont être avec la Wii U de nouveau réunis sous leur nom, à leur place et avec leurs attributions d'origine ! Si Nintendo opère ce revirement étonnant, ses deux concurrents n'en poursuivent pas moins de leur côté leur entreprise d'anéantissement des touches Start et Select. Les plus attentifs l'auront peut-être remarqué, mais notre beau duo a bien disparu des manettes de la Xbox One et de la PS4. Appellation, mais aussi fonctions : Start et Select ont ainsi totalement disparu des manettes des consoles next-gen. Pour Nicolas Nova :

"C'est un phénomène classique dans l'histoire des innovations. Les évolutions sont souvent très lentes, d'autant plus que les joueurs n'ont pas un sentiment très affirmé quant à ces boutons. Si la question s'était posée sur les touches d'action, cela aurait été la guerre, les joueurs auraient hurlé sur les forums. Par contre, pour Start et Select, l'enjeu est minime, car cela ne permet pas de gérer beaucoup de choses dans le jeu lui-même."

Greg Benazech abonde dans cette idée d'évolution logique :

"Les manettes disposent maintenant de gâchettes, de deux sticks analogiques, d'un D-pad, d'un écran tactile... il est donc facile de trouver un remplaçant aux boutons Start et Select."

Une stratégie contestable

Si Sony nourrit de grands desseins pour Start et Select, Microsoft a choisi de son côté de rendre encore plus abscons le rôle de ces touches en leur attribuant deux logos aussi minimalistes qu'énigmatiques. La PS4, en revanche, combine les fonctions de Start et Select en un bouton nommé Option et l'accompagne d'un nouveau confrère au titre fort et à la finalité tout aussi évocatrice : Share !

Pour rappel, la PS4 enregistre en continu vos parties : lorsque vous appuyez sur la touche Share, une capture d'écran de cet instant précis ainsi qu'un clip vidéo des quinze dernières minutes sont enregistrés. Libre à vous ensuite de diffuser le résultat sur la plate-forme dédiée de Sony et de faire connaître vos exploits automatiquement à travers Twitter ou Facebook. L'acte de donner son avis sur Internet, de partager son expérience de jeu s'est transformé pour une grappe de joueurs en un métier rémunéré. Si les élus sont rares, les adeptes de ce "tout communautaire" sont pléthore : un constat qui nous mène à penser que cette touche Share est une façon habile pour Sony de surfer sur cet engouement. Néanmoins, je pense que le consolier se fourvoie, car c'est par l'intermédiaire de feus Start et Select que le constructeur japonais ambitionne de conquérir les joueurs. Nos deux boutons si peu considérés par le passé, les parents pauvres des manettes, sont donc en passe avec cette génération de consoles de devenir le porte-étendard de la politique globale de Sony.

Comment cependant l'idée d'une révolution pourrait-elle se voir transmettre par un vecteur jugé depuis toujours comme secondaire ? Sony ne courrait-il pas tout simplement à sa perte de ce seul fait ? Nicolas revient sur la situation :

"Ce type de boutons peut servir à marquer un concept général, comme pour la touche Home, à le lier à une forme de communication bien spécifique ou à essayer de saisir l'air du temps avec le bouton Share. Mais j'ai peur que cela ne relève que du gadget, notamment parce que les joueurs sont finalement rétifs au changement et que les pads sont si stabilisés qu'il est difficile de changer quoi que ce soit. Modifier Start et Select, c'est essayer d'innover, mais sur quelque chose de finalement très neutre."

Greg pense lui qu'il ne "faut pas comparer le bouton Share à une touche secondaire, car il est directement lié à une feature centrale du constructeur qui est elle-même tirée de l'air du temps : le partage. Ce bouton à une seule fonction, pour tous, il est lié à l'OS de la console, et tous les développeurs l'utiliseront de la même manière".

La touche Share se démarque alors de Start et Select par sa fonction unique.

Un acte manqué

Alors que l'histoire a pourtant démontré que Start et Select ne sont que des faire-valoir, des touches secondaires au service des boutons d'action, Sony s'obstine par leur intermédiaire à vouloir imprimer dans l'esprit des joueurs une nouvelle politique. Un vrai paradoxe !

Le bouton Share offre un exemple frappant de fausse bonne idée : celle qui semble génialement novatrice, mais qui ne l'est pas, car ne faisant en réalité que proposer quelque chose qui existe déjà ailleurs sous une forme plus aboutie (NDLR : un mois après le lancement de la PS4, le bouton Share avait déjà été pressé plus de 11 millions de fois. Un sacré démarrage !). En l'occurrence, le copié se nomme Twitch, leader dans les services de streaming et de vidéo à la demande spécialisé dans le jeu vidéo. Néanmoins, Sony au fond n'est pas dupe, car on retrouve Twitch en très bonne place sur PlayStation 4. Tout comme l'a été en 2008 la "révolution" du PlayStation Home (monde virtuel pastiche de Second Life), la mutation de START et SELECT en bouton Share n'est, à mon avis, qu'un pétard mouillé.

Nous, modestes START et SELECT, qu'il s'agisse de la PlayStation 4 ou de la Xbox One, chacune de ces deux consoles nous a abandonnés. Alors que la première s'est servie de nous pour imposer sa politique de conquête, la seconde nous a grimés de la pire des manières. Grâce à Nintendo, cependant, nous avons échappé à la disparition totale. Le constructeur qui nous a donné la vie vient une fois encore de nous la sauver. Après nous avoir renommés + et -, il nous a redonné notre place, et nous revoilà sur Wii U, frais et fringants comme au premier jour ! Il faut se rendre à l'évidence, il y a des choses qui se révèlent d'une utilité limitée, dont on ne connaît pas trop les origines, mais qui rassurent du seul fait de leur présence. Nous sommes de celles-là. Inutile de nous chercher des fonctions révolutionnaires, notre modestie n'en réclame pas tant. Nous sommes Start et Select, et nous venons de renaître !