La création d'une nouvelle propriété intellectuelle dans le domaine du jeu vidéo n'est pas une mince affaire. Le souhait évident de chaque éditeur est de voir ce coup d'essai transformé, capable de donner naissance à une ribambelle de suites. Le jeu devient alors franchise. Au-delà du point de vue ludique, la gestion de ces nouvelles licences représente avant tout un enjeu économique majeur, pour le développeur, l'éditeur, mais aussi le constructeur.

Des industries sans idées

Le sujet a déjà été abordé maintes fois : en raison des coûts faramineux de développement, le lancement d'une nouvelle IP a tout du pari risqué. Au cinéma, autre pan de la culture du divertissement tout aussi soumis aux règles du capitalisme, on constate que la naissance d'une licence ex-nihilo est désormais assez rare. Entre reboot, remake et adaptations (de livres, de comics, d'attractions (!), etc.), la majorité des blockbusters tournent un peu en rond, recyclant sans cesse les mêmes idées. Les séries télé, qui avaient réussi ces dernières années à s'émanciper de cette crise de créativité, jusqu'à connaître un âge d'or dans les années 2000, commencent elles aussi à subir le phénomène d'adaptations de films ou de comics. Il n'est pas ici question de remettre en cause la qualité de ces oeuvres (les films Marvel sont plutôt cools, la récente Fargo démontre qu'une série télé adaptée d'un film peut être une belle réussite), mais juste de déplorer le manque de créativité.

La rupture dans la continuité

Revenons au domaine du jeu vidéo et à l'exemple de Sony en particulier. Avec sa PS3, le constructeur nippon a souhaité renouveler son pool de licences exclusives à sa nouvelle machine. Ainsi, nous avons vu naître des titres comme Uncharted, inFamous ou encore Motorstorm, amenés à devenir des franchises importantes et iconiques de la console. Le pari intelligent de Sony a été de signifier qu'avec l'arrivée de sa PS3 (alors) next-gen coïncidait celle de titres frais et sexy, qui lui ont façonné son image.

Aujourd'hui pourtant, la démarche est tout autre. Il n'est pas ici question de juger la quantité d'exclusivités d'une PS4 encore toute neuve, mais il est amusant de constater que (pour le moment) les grosses cartouches tirées par Sony sont des suites des franchises PS3. Killzone Shadow Fall a accompagné le lancement de la machine, alors que inFamous Second Son a lui assuré le SAV, 6 mois après la sortie.

Les deux jeux sont réussis, mais on peut déplorer que le constructeur n'ait pas une nouvelle fois tenté de créer de nouvelles licences pour accompagner sa nouvelle console (car clairement, Knack n'était pas taillé pour ça). Au petit jeu du marketing, on remarque d'ailleurs que inFamous Second Son n'est pas nommé inFamous 3, et Killzone Shadow Fall n'est pas Killzone 4, là où leurs prédécesseurs respectifs avaient pourtant joué sur l'incrémentation numérique pour chaque suite. Une manière d'essayer de faire oublier aux joueurs qu'ils prennent le train en marche et que la série a déjà un passif derrière elle.

Dans le même ordre d'idée, le studio Naughty Dog, développeur second-party de Sony, avait fait en sorte de créer une nouvelle série pour chaque génération de PlayStation : Crash Bandicoot pour la PS One, Jak and Daxter pour la PS2 et Uncharted pour la PS3. Pourtant cette fois, leur premier projet annoncé pour la PS4 n'est autre que... Uncharted 4. Une bonne nouvelle pour les fans de Nathan Drake, mais on aurait apprécié une nouvelle licence porte-étendard de la console.

Dans le camp de la Xbox One, le constat est à peu près identique : pour une nouvelle tête comme Ryse, Microsoft a reconduit Forza Motorsport et, surtout, Dead Rising, figure de proue de la Xbox 360.

Le pari d'Ubisoft

L'arrivée d'une nouvelle licence doit se faire au moment opportun. En arrivant tôt dans le cycle de vie d'une machine, la franchise peut alors devenir un symbole de la génération en cours, comme Assassin's Creed l'a été pour le couple PS3 / Xbox 360. Le pari d'Ubisoft a d'ailleurs été largement payant, quand on voit que la saga s'est déjà écoulée à 76 millions d'exemplaires en seulement 7 ans ! On peut donc constater que le coup de poker a payé. L'éditeur français est d'ailleurs prêt à retenter l'expérience, d'abord avec Watch_Dogs cette année, puis The Divison en 2015.

Le cycle de vie plutôt longuet de la génération précédente a d'ailleurs a posé un vrai problème aux éditeurs, qui ne savaient plus dans quelle mesure il leur était encore possible de lancer une nouvelle licence après 5 ou 6 années d'existence des PS360. Des frileux comme Sony Santa Monica et Microsoft ont donc temporisé avec leur God of War Ascension et Gears of War Judgment, vrais-faux quatrièmes épisodes de franchises bien installées. Le public n'a pas été dupe et a accueilli ces rejetons hybrides de manière un peu tiède. A contrario, Naughty Dog a préféré joué l'audace et son Last of Us a remporté un immense succès, preuve que sortir une nouvelle licence en fin de vie d'une machine n'est absolument pas rédhibitoire. Le titre est même devenu pour beaucoup LE jeu de la génération.

Chez les indés et la politique d'auteur...

Bien entendu, la création d'une nouvelle licence est avant tout entravée par des problématiques financières. De ce point de vue là, on peut donc penser que les développeurs indépendants ne sont pas soumis aux mêmes pressions. On constate donc sans étonnement qu'une grande partie d'entre eux préfère créer une nouvelle licence à chacun de leur nouveau projet. Après Braid, Jonathan Blow enchaîne sur The Witness, SuperGiant Games passe de Bastion à Transistor, thatgamecompany de Flower à Journey, quand il aurait été plus évident et facile pour chacun de développer une séquelle de leur précédent succès.

Enfin, parmi les gros développeurs, certains arborent néanmoins ce profil "typé indé". Quantic Dream, par exemple. Le studio de David Cage a produit Beyond en lieu et place d'un Heavy Rain 2 qu'on imagine souhaité par Sony. Remedy travaille lui sur un nouveau projet, Quantum Break, sans passer par la case Alan Wake 2. Une politique d'auteur, en quelque sorte, chacun des deux développeurs étant en plus affilié à un constructeur (Sony pour Quantic, Microsoft pour Remedy).

Citons pour terminer le cas particulier de Nintendo. A la manière de Marvel ou DC dans l'univers des comics, le géant japonais s'appuie sur son héritage et capitalise autour de ses personnages et univers propres. Ainsi, chaque machine de la marque a droit à son Mario Kart, son Smash Bros, etc. Même si une lassitude évidente peut commencer à pointer le bout de son nez, beaucoup de joueurs sont contents de retrouver les icônes de leur enfance dans un nouveau jeu.

Pourtant, il faut tout de même concéder que la Wii a elle aussi vu l'arrivée de nombreuses nouvelles IP (The Last Story, Pandora's Tower, MadWorld, Zak and Wiki, etc.), sans qu'aucune - hélas - ne parvienne à s'imposer et ne devienne une franchise lucrative.


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Si l'on se base sur les 6 premiers mois de vie des machines next-gen, on pourrait craindre que la génération PS4 / Xbox One ne soit plus chiche en terme de création de nouvelles franchises. Attention cependant à ne pas tirer de constatation trop hâtive...

L'incertitude économique globale, ainsi que l'explosion des coûts de développement ont semble-t-il rendu les éditeurs et constructeurs un peu frileux, et ces derniers n'ont alors pas hésité à capitaliser sur leur catalogue passé pour assurer une première année en douceur (sans même mentionner le nombre effarant de projets cross-gen ou portages d'une génération à l'autre).

Pourtant, des jeux comme Watch_Dogs devraient sonner la fin de la récrée et ouvrir la voie à une flopée de titres inédits, et enfin entièrement pensé et dédié aux nouvelles machines. Vivement !