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Inexorable, magique et tragique, Noël arrive. Et, tout le monde le sait (attention SPOILER, moins de 7 ans passez votre chemin), le père Noël n'existant pas, ce sont les portefeuilles des familles qui vont s'ouvrir, les cochons-roses-tirelires des plus jeunes qui vont lâcher leurs tripes pour aller acheter qui un jeu vidéo, qui une console. Et ça, à l'heure de la crise et des économies à faire sans honte, ça compte, monnaie et trébuchante.
Le moment est vraiment venu de peser le prix de la magie du jeu vidéo. Parce que pour le prix d'achat d'une console de salon next-gen, on peut se payer et se faire offrir une ou, soyons fous, deux consoles portables et plusieurs jeux. Et si on les creuse vraiment, les derniers jeux portables offrent des niveaux profondeurs qui les arrachent à leur fausse condition modeste. Que les petits écrans portatifs ne trompent pas sur l'ambition, les récents The Legend of Zelda : A Link Between Worlds et Tearaway appartiennent à la cour des grands.
Le joueur est un volcan intérieur prêt à pleurer
Le joueur en activité a l'apparence paisible. En surface. Parce que à l'intérieur, ne le dites surtout pas, c'est l'ébullition. Oui il y a un petit côté parkinsonien à la pratique du jeu vidéo (ah ils ne l'ont pas vu venir ce diagnostique là les détracteurs attitrés du jeu vidéo. Laissons-les dans l'ignorance). L'immobilisme, voire la prostration apparente, du joueur replié sur son mini écran absorbe en réalité une vibration permanente si infinitésimale qu'elle reste invisible à l'oeil nu. Le coeur virtuel bat lui au rythme que nécessite le jeu du moment. Mais toujours, de dehors, rien ne bouge. Sauf, quand même, en lançant le dernier (nouveau ?) Zelda : A Link between Worlds. Là, tout gamer normalement constitué ayant vécu en direct (en 1992 quand même) ou en différé sur WiiWare l'aventure originale A Link to the Past de la Super Nintendo, doit pousser des hurlements. De bonheur, d'incrédulité, de réjouissance. Pas de fausse pudeur, des larmes de joie ont peut-être même coulé. Et on ne s'en cachera pas. Quand un jeu arrive à ce niveau de communion entre les développeurs et son public, entre le passé et le présent, entre un héros et un royaume chéris d'hier revenus comme par miracle à la vie, plus beau, plus vif, plus généreux, plus vivant que jamais, la gamer's pride a tous les droits - et même le devoir - d'exprimer bruyamment sa joie et sa reconnaissance. Et tant pis si les gens autour ne comprennent décidemment rien à rien. Ils verront sur le visage du joueur attendri et émerveillé que le jeu vidéo peut générer des émotions positives, du bonheur communicatif, forcément.
Le doigt dans l'oeil humide
Devenir adulte ce n'est pas refouler ou avoir peur de ses émotions, au contraire. Les artistes (pas moins) de Media Molecule le savent bien. Tearaway sur PSVita refait le coup de l'irrésistible attraction LittleBigPlanet. Avec ses créatures et son monde de papiers pliés/dépliés, Tearaway vient chercher l'enfant que nous sommes, le nourrit de tout ce qui fait l'enfance, lui demande de s'abandonner à son kindergarten crayons de couleurs et ciseaux virtuels à la main, et puis lui montre l'autre monde, celui où il va devoir aller, ou d'où il vient, allez savoir. Media Molecule refait jouer l'enfance pour mieux en faire jaillir l'adulte. Crever le dos de l'écran de la PSVita de façon à faire apparaître le bout de son index géant dans le monde de Tearaway instrumentalise le joueur qui passe d'acteur bienveillant immergé en déité externalisée toute puissante. Jouer serait déjà être responsable.
Le joueur est un... Râ
Comment sait-on que Tearaway, après LittleBigPlanet, est une oeuvre artistique autant qu'un machin interactif de loisir ? Parce que le processus de jeu implique une mise en perspective complice du joueur qui devient acteur puis observateur, puis, inéluctablement, participant éveillé, "aware" dirait l'autre. Consciemment ou inconsciemment, le jeu oblige à remettre en cause sa place, dans le jeu et dans le réel. Parce que dans Tearaway, le soleil c'est nous, le joueur dont le visage apparaît en vrai (merci la caméra frontale de la PSVita) à travers une déchirure de l'écran de papier, joue le rôle attracteur du dieu soleil Râ. Inutile d'invoquer l'imbriquement sans fin ni début des poupées russes ou de l'impasse existentielle de la poule et de l'oeuf. Oui dans Tearaway le joueur est dedans le jeu et dehors, participe et commente malgré lui.
Un jeu peut en cacher trois autres
D'une certaine manière, comme tous les (rares) jeux plus grands que leur condition, le Zelda 3DS intègre aussi une mise en perspective propre à solliciter le cerveau par-delà la pure relation physique du gameplay. Le sur-texte (ou sous-texte) est moins flagrant, moins intrusif dans Zelda que dans Tearaway, et ne sera au fond perçu que par les connaisseurs (nombreux) du jeu original, mais il jongle aussi avec des vertigineux niveaux de lecture. On ne fera pas l'insulte de redéconstruire ni même réinterpréter le dédoublement d'Hyrule dans ces deux Zelda (quoique le Lorule de A Link between Worlds est un vrai coup de génie linguistique), mais quel joueur en traversant la version 3DS ne sera pas en train de relire le jeu Super Nintendo ? Comme si le dédoublement du royaume ne suffisait pas, voilà le joueur en train de jouer en connaissance de cause le jeu au monde caché par-dessus un jeu au monde caché. Le tout avec un lien entre passé et futur. Nous sommes bien dans les temps modernes de la transparence où tout est sur la table, visible, et plus complexe que jamais. Quand en 1992 le joueur s'émerveillait du secret d'un monde cachant l'autre, le joueur d'aujourd'hui joue en sachant que son royaume en vaut quatre. Que le Hyrule de la lumière d'aujourd'hui renvoie à celui d'hier, que pas caché, le Lorule d'aujourd'hui se fait l'écho du royaume des ténèbres d'hier. Il y a là assez de couches pour rendre fou. Sans compter le relief qui alors, pour le coup, ajoute encore une épaisseur à un monde jusqu'ici en aplat. N'en jetez plus !
Killer apps ou app likers ?
Si, malgré leurs défauts, l'esbroufe visuelle de jeux comme KillZone : Shadow Fall ou Ryse : Son of Rome suffit à faire vendre au prix fort des consoles next-gen, nul doute qu'une fois éclairé, le joueur-consommateur s'assurera par un moyen ou un autre de se procurer une 3DS en priorité, et une PlayStation Vita si possible. Car si rien ne l'indique en clair sur aucune affiche, Zelda : A Link between Worlds et Tearaway sont bel et bien des "killers apps", des "systems sellers". Les constructeurs l'ont bien compris en tous cas. Nintendo propose un pack 3DS XL griffé Zelda avec le jeu inclus (mais en version digitale à télécharger. L'absence de boite de jeu reste regrettable), et Sony propose un pack PSVita comprenant le plus qu'attachant Tearaway ainsi que, pour faire bonne mesure, l'excellent, et inédit, LittleBigPlanet de 2012 qui n'a pas grand chose à envier aux versions PS3 (également des versions digitales à télécharger et non, hélas, en boites, mais Sony inclus - indispensable - une Memory Card de 16 Go). S'il fallait charger la mule des convictions, la PSVita a derrière elle une poignée, courte mais vitale, de jeux (Gravity Rush, Escape Plan...) qui justifie sans inquiétude l'investissement (surtout que la PS Vita est aussi devenue une manette pour la PS4, mais c'est une autre histoire). Et la 3DS, cela va de soit, abrite toute une panoplie de productions Mario, dont le manoir fantasticomique du frangin : Luigi's Mansion 2. Dont, pour les fidèles de la scène japonaise, quelques jokers du JRPG, comme le récent et néo-classique Bravely Default.
Le grand theft auto des tablettes
Malgré tous ces atours signés Nintendo et Sony, des statistiques laissent entendre que livrés à eux-mêmes, les papas et les mamans de 2013 achèteront en majorité des tablettes plutôt qu'une console de jeu traditionnelle. Ils n'auront ni tort, ni faux. Sur tablettes Android, ou de préférence sur les fiables et réactifs iPad (qualités indispensables au jeu vidéo), iPad Mini en tête avec prise en main idéale, les (vrais) jeux de qualité ne sont plus du tout rares. On y trouve des inédits pointus ou relaxes de créateurs originaux (Finding Teddy, Ridiculous Fishing, Luxuria Superbia...), des classiques consoles/PC réédités et adaptés qu'on ne quitte plus (Secret of Mana, Sonic, Limbo, Minecraft, Little Inferno...) même si pas toujours pratique sur écran tactile, et des productions originales ambitieuses (Infinity Blade I, II et III, Lili, Badland...). Après le succès de la série en épisodes The Walking Dead sur tous supports y compris iPad où les contrôles tactiles lui vont à merveille, le studio Telltale en plein bouillonnement créatif vient de livrer une version tactile de son nouveau récit interactif en épisodes, The Wolf Among Us, du même tonneau qualitatif. À quoi s'ajoute une version réduite non négligeable de la bombe Assassin's Creed IV sous la forme d'un Assassin's Creed Pirates plus qu'honorable sur iOS et Android. Et puis, d'un moment à l'autre, le grand Grand Theft Auto : San Andreas de la PS2 va s'installer à son tour sur iOS, Android etc. Enough said, on l'aura compris, dans tous les cas, il n'y pas erreur.
Foin d'orgueil
Il reste encore des gens pour qualifier le jeu portable en "jeu mobile" et donc dénigrer d'un adjectif volatile plusieurs générations qui croisent désormais les petits enfants de la Game Boy avec les digital-natives sur tablettes et smartphones. Pour les profanes le jeu mobile doit encore être synonyme de superficialité et de fremium maudit (die Angry Birds die, die Candy Crush die). En réalité le jeu embarqué n'a fait que gratter la surface.
Devant une population hypnotisée par les sirènes de la next gen, il faudrait peut-être dire, comme l'imposait en direct live le présentateur/prédicateur TV fou anarchique du film visionnaire Network de Sydney Lumet (1976) : "Éteignez votre télévision !". Hier cela voulait dire, retournez à vos occupations, prenez vous en charge. Aujourd'hui cela signifie, en tous cas ici, oubliez un peu les fantasmagories de la next gen. Plus sûrement et sans affect, les jeux sur portables vous attendent.