Les temps changent ! Les plus conservateurs des retro gamers le déplorent avec tristesse : les jeux d'aujourd'hui sont plus simples qu'il y a vingt ans. La génération de joueurs actuelle - dont nous faisons tous partie, à moins de n'y apposer aucun regard - a été élevée à l'instantanéité, au vite consommé, vite oublié. Surtout, elle n'apprécie pas l'échec et ne prend aucun plaisir à recommencer, ne serait-ce qu'une fois, un passage délicat dans un jeu vidéo.

Dans cette perspective, si une personne perd patience ou ne trouve aucune gratification à pratiquer un jeu complexe, c'est peut-être parce que ce dernier s'avère mal élaboré. Essayons alors d'envisager la problématique différemment. Et si c'étaient les jeux eux-mêmes qui nous avaient transformés ? Nous avaient modelés de cette façon ? Changés en réceptacles impatients, avides de passer d'une expérience culturelle à une autre sans rien approfondir ?

Nous pourrions donc imaginer que si un jeu semble redondant, c'est qu'il n'a pas su stimuler le joueur par d'autres qualités : scénario, ambiance, gameplay, etc. Les torts seraient donc imputables aux productions plutôt qu'au public. Ce débat peut sembler vain, à l'image du démêlé séculaire sur l'oeuf et la poule, mais il a le mérite d'être posé. Nico reviendra d'ailleurs de manière détournée sur ce sujet épineux dès lundi prochain

La difficulté, une valeur oubliée

Dans un jeu vidéo, c'est aux joueurs le plus souvent qu'est laissée la liberté du choix de la difficulté : facile, normal, difficile. Ainsi la notion de difficulté se voit-elle considérer par les game designers actuels comme une variable relative et indéterminée plutôt qu'en tant qu'élément défini par les créateurs de manière absolue.

À mon sens, cette graduation de la complexité d'un jeu devrait requérir la plus grande attention de la part des concepteurs, au même titre que la maniabilité ou la mise en scène. On lit souvent que c'est par les possibilités d'interaction qu'il offre que le jeu vidéo se distingue des autres médias, et c'est une réalité. Ces interventions du joueur vont du reste plus loin que le simple contrôle du protagoniste principal, car il peut en outre modifier les angles de caméra, voire opter pour le niveau de difficulté du jeu. Contrairement à un livre, à une bande dessinée ou à un film, dans lesquels ce sont les auteurs qui imposent une "vision" globale de leur oeuvre, le jeu vidéo dépend en grande partie de son public pour son résultat final.

Au sein du média vidéoludique, les créateurs imaginent les moindres détails permettant de rendre ces moments passés par le joueur aussi agréables que possible. C'est ainsi que la difficulté, afin de plaire à un public toujours plus large, peut être ajustée en fonction de l'expérience que l'on souhaite vivre. Même si voilà longtemps que les jeux ont commencé à offrir cette latitude aux utilisateurs, cette dernière n'a cessé de croître avec les années.

Sans refaire l'historique du jeu vidéo, nous pouvons rapidement nous souvenir que du temps de l'arcade il n'y avait qu'un niveau de difficulté : ardu, le jeu se voyait comme une expérience unique stimulant l'habileté et la pugnacité des courageux s'y essayant. L'ère des machines de salon, par leur seule existence, a de facto amoindri la difficulté des jeux. Hormis le confort non négligeable de ne plus avoir à payer à chaque partie pour s'adonner à nos jeux favoris, micros et consoles se sont attelés à rendre plus accessible la pratique du jeu vidéo, au moyen de certaines facilités comme la sauvegarde et les continues infinis.

Ce qui rejoint ce que nous voyions plus haut concernant la détermination et l'endurance des joueurs face à une situation laborieuse. À ce jour, la difficulté se doit donc de s'adapter aux joueurs et non de se limiter à procurer un défi volontairement corsé. Nous pouvons à ce titre relever la réponse de Nintendo à cette évolution de fait avec le Super Guide, option de jeu inaugurée par New Super Mario Bros. Wii grâce à laquelle les moins persévérants pourront, face à un passage ardu et après huit échecs consécutifs, choisir de laisser la console leur montrer la voie à suivre. Cependant, quelques titres continuent à s'illustrer par une certaine "philosophie de l'échec".

Parmi les productions contemporaines, nous pourrions retenir Braid et Year Walk pour leurs énigmes ô combien complexes, The Binding of Isaac et Risk of Rain dans la catégorie des rogue-like, ou enfin I Wanna Be the Guy et Donkey Kong Country Returns pour citer deux jeux de plates-formes de masochiste. Nous nous contenterons néanmoins pour ce P'tit Papier de traiter seulement deux séries : Dark Souls et Trials.

Les Dark Souls sont-ils des jeux "à l'ancienne" ?

Tout semble retors dans la série des Dark Souls, la maniabilité, les menus - même la narration se voit diluée dans les descriptions d'objets plutôt que contée par une succession de scènes cinématiques, comme dans tout bon jeu de rôle. Il n'est donc pas surprenant que les titres de From Software soient considérés comme extrêmement difficiles.

L'univers sombre et hostile, les ennemis très endurants et les nombreux game over jetés au visage des joueurs ont nourri la légende des Dark Souls. Cela dit, mourir dans ces jeux signifie bien plus que la perte d'une vie ou d'un continue. Décéder dans Dark Souls permet de comprendre le monde dans lequel se trouve plongé notre avatar numérique. C'est ainsi qu'au fil des nombreux voyages effectués dans les mêmes décors, nous apprenons et gagnons de l'expérience - nous, les joueurs : contrairement à ce qu'il en est dans la plupart des jeux de rôle ou d'aventure, la mort dans la série Dark Souls n'apporte rien à notre personnage ; pire, sa condition empire au fur et à mesure des trépas (perte de son humanité, perte d'âmes glanées, diminution de la jauge de vie, etc.).

Tomber au combat tend dès lors à augmenter l'habileté du joueur plutôt que celle de son personnage à l'écran. Cette utilisation du game over et de la mort dans un jeu vidéo n'a évidemment pas été inventée par le studio From Software. Non. Il s'agit tout simplement de l'héritage de l'époque de l'arcade et des premiers jeux vidéo. Succomber dans un Mario, un Sonic ou un Megaman n'apportait absolument rien à notre petit personnage de pixels ; comme aujourd'hui dans Dark Souls, sa condition allait même en se détériorant : perte de vie, de pièces, de capacités. À mon sens, les Dark Souls transposent donc à un RPG actuel des mécaniques de jeux d'arcade d'antan, tout en les améliorant, en leur donnant plus d'épaisseur.

Trials, la pugnacité incarnée

Une moto, un pilote et un gameplay articulé autour d'un level design d'une grande intelligence ont suffi à transformer une sorte de remake haute définition d'Excitebike en véritable événement. Laissant aux joueurs pour chaque obstacle une liberté d'approche, le gameplay des Trials permet d'affiner et de parfaire sans cesse les techniques utilisées. Ce faisant, il est possible de maîtriser de bout en bout l'expérience proposée, sans rien laisser au hasard. Pour atteindre néanmoins ce degré de contrôle, il sera nécessaire de recommencer, encore et encore, chaque course. Cette manière d'utiliser "l'échec", très proche au final de celle des Dark Souls, se voit sublimer par une particularité au premier abord insignifiante : l'absence de temps de chargement après une défaite. À la suite d'une chute, le joueur et son étalon mécanique se verront donc instantanément renvoyés au dernier point de contrôle ou au début du niveau, c'est au choix, afin de repartir pour un tour ! De cette manière, les développeurs suppriment l'amertume et l'exaspération qui peuvent naître de nombreux ratés.

Emporté par une détermination grisante, libéré de la frustration de l'échec, le joueur agrippe alors sa manette pour retenter incessamment sa chance, même face aux pires sournoiseries imaginées par les créateurs.

Dans Trials, la mort n'est pas vécue comme un échec, mais plutôt comme une invitation à mieux faire. Pour atteindre l'effet escompté, il est toutefois nécessaire que le gameplay soit absolument parfait. S'il existe la moindre faille, le joueur, vexé de perdre continuellement, pestera contre la maniabilité défaillante du jeu, contre la console et son intelligence artificielle, et non contre lui-même. Il apparaît donc crucial que le joueur puisse se remettre en question, afin de susciter en lui l'envie de s'améliorer.

À l'image des titres sur bornes d'arcade, c'est le ratio risque∕récompense cher à Edmund McMillen qui se voit ici mis en application. De façon tout à fait indolore, le joueur évolue et gagne ainsi en expérience, contrairement à son avatar, qui, lui, reste inchangé. Nous venons de mentionner le game designer McMillen, et ce n'est pas un hasard : en effet, l'une de ses productions, Super Meat Boy, se présente de toute évidence comme l'un des fiers représentants de cette frange de jeux qui conjuguent difficulté et apprentissage - tout comme Hotline Miami 1 et 2 ou Bit. Trip Runner.

Nous sommes actuellement au sein d'une phase transitoire, entre un âge où la difficulté n'apparaît plus comme une valeur essentielle, dans lequel tout s'articule autour du confort du joueur, et un retour aux sources, où le niveau de difficulté incarne à nouveau un élément déterminant, fondamental, pivot de l'expérience de jeu. Avec des titres comme Dark Souls II et Trials Fusion, la gratification éprouvée après la réussite d'un passage très dur redevient comme indispensable. Cette réussite n'est plus mise seulement au crédit de l'avatar, mais surtout à celui du joueur en tant que personne physique.

Le qualificatif à "l'ancienne" gagne ainsi en signification : ne désignant plus seulement un jeu dur et daté, il peut s'appliquer aujourd'hui à des titres dotés d'une difficulté caractérisée, qui tel un tuteur guidera le joueur dans le but de l'élever et lui permettre de se transcender.