On ne va pas se mentir plus longtemps, la sauce yankee ne prend pas en France, et ne prendra peut-être jamais, malgré la percée exponentielle du basket dans les 80's. Et ce, pour de multiples raisons. La jeunesse et la confidentialité de ces disciplines peu médiatisées, demandant une lecture, un jargon et un équipement bien particuliers, n'encouragent pas vraiment nos cadets à délaisser le football, le hand (sport scolaire numéro un) ou le tennis pour se prendre au jeu (22 000 licenciés pour le foot US, aux alentours de 10 000 pour le baseball).

La concurrence du rugby, autre sport collectif composé de gladiateurs où l'on vient voir des athlètes, des chocs mais aussi du spectacle (conséquences de la présidence de Max Guazzini du Stade Français), fait également de l'ombre au foot US ou au hockey alors que la société européenne n'est pas habituée aux terrains en volume, dans le sens horaire comme anti-horaire, tels qu'ils sont conçus au baseball. Seul le basket, autrement plus universel, accessible et ancré dans notre culture, parvient à tirer son épingle du jeu.

Une question de culture, seulement ?

Alors sur qui rejeter la faute ? Sur Charles De Gaulle ? En Europe, ces disciplines se sont développées dans des pays accueillant des bases militaires américaines, bases que la France a fermées à partir de 1966 avec le retrait du commandement intégré de l'Otan, décidé par l'homme d'Etat. La faute évidément aux vilains médias qui n'accordent qu'une maigre place à ces sports dans leurs colonnes ou sur leurs antennes. Le tabou de l'argent dans nos esprits parfois étroits demeure également l'une des raisons de ce désintérêt. Dès qu'il s'agit de parler d'argent, les grands dirigeants sportifs pratiquent une langue de bois désarmante, tandis ce que les autres millions de sélectionneurs l'accusent de tous les maux.

Là où les Ricains n'ont aucune honte à assimiler ce ballet brutal et millimétré à du business, nous autres nous cachons derrière la sacro-sainte beauté du geste juste. Pour Gérard Baker, du Wall Street Journal, l'art cher à John Madden incarne l'essence-même du sport US, comme il l'explique :

Dans son énergie et sa complexité, le football américain représente plus l'âme des Etats-Unis que n'importe quelle autre création culturelle sur ce continent. C'est une collision de Hobbes et Locke : la force brute tempérée par le plus complexe jeu de règles jamais conçu dans un cadre sportif.

Le Superbowl, et à moindre échelle la finale de la ligue de baseball ou le All-Star Game, sont devenus des unifiants culturels, des moments de communion pendant lesquels la nation se soude dans la célébration de valeurs essentielles: le dépassement de soi et le culte de l'exploit individuel porté par un effort collectif.

Si les Américains peinent à se passionner pour le football (le soccer) tel qu'on le connaît, c'est aussi parce qu'il ne remplit pas deux critères du sport-type au pays de l'oncle Sam: il ne propose pas de réel temps mort - ce qui n'encourage pas les annonces publicitaires chères à leur coeur - et se prête peu aux analyses statistiques. Deux données qui contribuent grandement à la dimension théâtrale appréciée par le public yankee et totalement absente de notre ADN.

Assister à une rencontre de NFL ou de MLB tient du rite initiatique, dont l'essor est lié à celui de la télévision avec ses réclames, ses ralentis et ses highlights. Or, les nombreuses coupures qui hachent les matches peuvent horripiler le spectateur européen et l'inciter au zapping ou à la narcolepsie. Aux States, on suit le baseball ou le football comme l'on va au cinéma, le format des rencontres étant adapté en fonction des retransmissions. Pas encore chez nous, même si certains clubs/chaînes y remédient pour se rapprocher des standards US en terme de divertissement.

Le salut passe-t-il par la réalité virtuelle ?


Dans ce contexte, quels leviers les éditeurs de jeux doivent-ils activer pour conquérir le public du vieux continent et donner un nouvel élan à leurs séries ? D'abord, continuer de distribuer ces titres contre toute logique commerciale - en les traduisant si possible - le (bon) travail sur le long terme et l'abnégation finissant toujours pas payer. Le premier épisode de Madden a mis un mal fou à être développé avant sa sortie, à cause d'une histoire de royalties, alors que 2K Sports a attendu des années avant d'acquérir cette popularité et de supplanter NBA Live, passé des feux des projecteurs à l'ombre mortuaire. Un investissement fructueux, à condition de prendre le pli des consultants médias - qui jouent les vulgarisateurs pour éduquer les novices à des règles et à des sports qu'ils ne connaissent pas bien - à travers des tutoriaux digestes et traduits.

Mais le principal enjeu réside dans la nécessité de proposer de réelles nouveautés et pas se contenter de soigner l'enrobage, comme c'est le cas depuis des années. Ces simulations souffrent de cette difficulté que rencontrent les équipes de développement pour insuffler de la fraîcheur à une série qui réapparait chaque saison. Pourquoi, en n'étant pas féru d'un sport en particulier, repasserait-on à la caisse chaque automne pour bénéficier d'innovations uniquement cosmétiques ? Le public américain ne se pose pas ce genre de questions, se réjouissant de la mise à jour des effectifs et des petites retouches homéopathiques d'un Madden ou d'un NHL. Comme nous, qui nous jetons cupidement sur la dernière mouture de FIFA. Ne serait-il pas opportun pour les éditeurs de sauter une ou des année(s) pour revenir "harder, better, stronger" et révolutionner (un grand mot) le marché ? Pro Evolution Soccer, revenu cet automne avec d'autres ambitions après un an de retrait des terrains, peut valoir d'exemple à suivre. Il est néanmoins important de souligner qu'une série comme NBA 2K effectue des efforts d'ouverture vers notre continent, intégrant dans ses derniers volets les clubs majeurs d'Euroligue pour diversifier son offre.

On peut alors s'interroger sur la voie à suivre pour s'éloigner de cette forme de standardisation du jeu de sport US. Kinect ? Testé mais pas vraiment approuvé. Des titres qui envisagent le sport autrement que par la simulation pure et dure ? Mille fois non au vu des fiascos commerciaux du reboot de NBA Jam ou des NBA Street. Les expériences mobiles ? Le free-to-play NFL Mobile n'a pas été distribué sur l'App Store français au contraire des marchés américains et anglais. La réalité virtuelle, alors ? Cela pourrait en effet donner une toute autre dimension aux simus sportives mais ni EA Sports, ni Visual Concepts se semblent croire actuellement à la viabilité de ce périphérique appliqué aux sports collectifs. Difficile donc dans ces conditions de dessiner un avenir autrement qu'en pointillés... On risque d'observer cette même tendance, ce plafonnement général, cette folle course au photoréalisme, pendant un bon bout de temps. Pas de quoi attirer de nouveaux adeptes. Et certainement de quoi écoeurer les convertis qui n'accepteront pas très longtemps cette paresse maladive.

Les jeux de sport US restent des valeurs sûres du marché, surtout dans leurs contrées où ils trustent les sommets de ventes. Chez nous, c'est clairement moins évident. Les titres sont globalement de qualité, ils se vendent très bien et éditeurs comme joueurs semblent y trouver leur compte. Mais pour combien de temps encore ? N'assiste-t-on pas à un essoufflement du genre ? Le temps sera t-il le meilleur allié à la démocratisation des disciplines ricaines ? Le doute est permis au regard des retours des joueurs, lassés de cette forme de standardisation.


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