Bisexué

David Cage travaille depuis longtemps sur la mise en scène de la sexualité dans ses jeux, ou, plus précisément, de la représentation affectueuse des sentiments.

Parmi les nombreux baisers qu'échange l'héroïne Jodie avec différents partenaires masculins dans Beyond : Two Souls, le chapitre où les cheveux ras, rangers aux pieds et jeans délavés déchirés, en allure de "garçon manqué", elle enlace et puis embrasse les deux jeunes frères navajo aux visages particulièrement féminins et délicats, a beaucoup plus à voir avec une séquence gay-friendly que girlie. Même si rien n'indique officiellement cette interprétation de la scène et si David Cage se défend de "toute intention gay dans l'écriture". Ce moment gentiment ambivalent entre des personnages ni garçons, ni filles ou les deux à la fois revient en tous cas particulièrement en mémoire au moment où sa jeune actrice interprète, Ellen Page, annonce soulagée, publiquement son homosexualité (voir plus loin).

Le trouble du jeu

Le trouble du genre, pourtant, le jeu vidéo le connaît bien. L'androgynie manga que l'on retrouve depuis toujours dans le jeu vidéo japonais où les hommes hyper stylisés ont des visages de femmes, et les femmes des silhouettes de jeunes filles (à quelques exceptions près, telle la redoutable et aussitôt castratrice Bayonetta, parodie sexuée de Sarah Palin) ne gène pas et ne fait plus vraiment sourire. Bien qu'il fasse appel à un personnage masculin pour son prochain jeu (Volume) après avoir envisagé un personnage féminin, le développeur indé Mike Bithell (Thomas was Alone) souligne l'importance d'avoir le choix entre un personnage masculin ou féminin dans un jeu : "la question du genre fait désormais partie de la conversation", affirme-t-il chez Polygon. L'homme ne devrait pas être la seule option au démarrage, le joueur devrait avoir le choix.

Le jeu vidéo a besoin de plus de femmes.

... réclame la journaliste anglaise spécialisée Keza MacDonald. Homme ou femme, gay ou bisexuel, "on s'en fiche" revendique Bruce Straley le réalisateur de The Last of Us et du chapitre additionnel Left Behind où Ellie est devenue le personnage principal, "un bon personnage est un bon personnage".

Ce n'est pas du cinéma

À Hollywood où on imagine, à priori, dans les coulisses dorées de Beverly Hills des moeurs plutôt libérées que conservatrices, les acteurs, actrices ou réalisateurs revendiquent rarement publiquement leur penchant amoureux et sexuel.

Au-delà de la peopolisation plus ou moins contrôlée des stars, les enjeux médiatiques et financiers des films sont tels que, apparemment, déclarer ouvertement son homosexualité est un risque pour l'image des vedettes en tête d'affiche et la suite de leur carrière. Les mots choisis par Jodie Foster lors de son coming-out pendant les Golden Globes 2013 après 44 ans de carrière laissent entrevoir le risque professionnel encouru par une telle révélation publique. Ne supportant déjà plus de vivre dans l'hypocrisie et le mensonge par omission à 26 ans, la jeune Ellen Page n'aura, elle, pas attendue aussi longtemps pour annoncer son homosexualité. Son émotion tangible derrière ses mots assurés montre encore une fois l'enjeu personnel et professionnel d'une telle révélation.

Mais il semblerait que l'étau culturel se desserre peu à peu à Hollywood. "Les stars qui révèlent leur homosexualité sont de véritables modèles pour les jeunes" qui vivraient leur attirance avec difficulté, explique la porte-parole de l'association Inter-LGBT Amandine Miguel. L'actrice Maria Bello a ainsi revendiqué sans dommage apparent son homosexualité fin 2013. À l'occasion de la sortie du film Cloud Atlas, Lana Wachowsky - ex Larry Wachowski, co-réalisatrice du film avec son frère Andy et le réalisateur Tom Tykwer - a enfin expliqué avec beaucoup d'humour et d'intelligence les singularités de son changement de genre (grand moment de stand-up). Défenseur de la cause homosexuelle en Grande-Bretagne depuis son coming out de... 1988, le vétéran britannique Ian McKellen devenu icône planétaire dans les rôles de Gandalf et Magneto, vient d'expliquer avoir accepté de jouer dans les X-Men quand le réalisateur Bryan Singer lui a démontré que les Mutants imaginaires Marvel et les homosexuels partageaient la même difficulté à se faire accepter par la société (les homosexuels ne sont pas des "mutants" pour autant, faut-il le préciser).

L'amour pour tous

Même si les traces plus ou moins officieuses de clins d'oeil homos, bi et trans remontent dans les jeux vidéo jusqu'aux années 80, la présence digne, sans honte ni mauvaise plaisanterie, de personnages gays ou sexuellement indéterminés, dans des jeux vidéo majeurs est à prendre comme une avancée culturelle pour un médium encore en quête de maturité.

Coup sur coup le joueur a pu partager l'émotion de la tremblante liaison amoureuse entre la jeune Samantha et sa curieuse copine punk-rock Lonnie que le visiteur découvre à travers les lettres de la maison abandonnée de l'indé Gone Home, puis contempler sans arrière pensée le spectacle aimable de deux hommes en costumes gentiment bras dessus bras dessous observant l'océan dans le Rapture reloaded du DLC Buried at Sea de Bioshock Infinite. Là où on ne l'attendait pas forcément, l'affection partagée, platonique mais tangible, entre les amies d'enfance Ellie et Riley dans le DLC Left Behind de The Last of Us confirme un progrès considérable des moeurs dans et autour du jeu vidéo (y compris au milieu du contexte grand guignol fondamentalement ridicule des "infectés").

Et en France, bien sûr, au moment où des organisation familiales aux revendications extrémistes font du tapage autour de la fausse problématique du genre à l'école ou à la télé en voulant notamment faire interdire le délicat et édifiant film Tomboy, le baiser pudique de Left Behind résonne, tel un coming-out assumé, avec une pertinence rare.