Ce "reportage", en réalité, ne s'intéresse qu'à un seul jeu ou presque, Dofus, avec pour seul témoignage de "victime" celui d'une mère de famille et de ses deux fils, dont l'un s'appelle Léonard, qui jouent régulièrement. Difficile déjà d'aborder un sujet si vaste avec un échantillon aussi maigre du jeu en ligne, comme de ses pratiquants... mais plus encore lorsque c'est aussi le qualificatif qui pourrait s'appliquer à la réalité des arguments présentés. La journaliste, Marie-Pierre Samitier, explique sur les images :

"Surprise, ces jeux font même exploser les factures de téléphone. Pourtant ils sont a priori gratuits comme c'est annoncé sur l'écran. Mais il faut payer un abonnement pour progresser dans le jeu. Jusqu'à 27 euros par mois pour Dofus".

Eh non ! Ce n'est pas là qu'est la surprise, mais bien dans la pilule, énorme, qu'on essaie de nous faire avaler. À l'écran, défilent les formules d'abonnement filmées, sans doute, sur le site officiel : problème, l'image, mais surtout la réalité, ne correspond en rien à ce qu'annonce la journaliste. Le plus approchant : 27,50€ pour 6 mois d'abonnement... le prix au mois de Dofus étant en réalité à 5€. Mais ce n'est pas fini. Probablement désireuse de noircir le plus possible le triste tableau qu'elle s'échine à dresser, Marie-Pierre Samitier annonce deux contre-vérités supplémentaires :

"Ce jeu propose en plus Audiotel, un service de téléphone surtaxé qui commence par 08 99. Résultat : la facture atteint ici 92 euros. Un piège dans lequel tombent les enfants pour avancer plus vite dans le jeu".

Eh non (bis) ! On n'avance pas plus vite dans Dofus en payant plus, en aucune manière : première contre-vérité. La seconde se trouve dans les images elles-mêmes, qui montrent les factures, "stabylobossées" sur les totaux des sommes. Seulement voilà : ce ne sont pas celles de la famille. Après les factures, une courte image frappante, montre en lettres blanches sur fond noir "il est temps de riposter..." - une véritable harangue, a-t-on l'impression, comme si les bonnes gens étaient attaquées par les jeux vidéo.

Interrogée par Arrêt sur Images (dont nous vous recommandons l'abonnement au passage), la journaliste a refusé de communiquer l'origine des factures filmées, et s'est défendue en précisant qu'elle n'avait "pas dit dans le sujet que les factures étaient celles de la famille". Dès lors, on peut se demander légitimement s'il n'y a pas là une volonté délibérée de créer la confusion, par l'intermédiaire d'un montage orienté. Questionnement d'autant plus pertinent lorsqu'arrive le témoignage de Jérôme Clauzure, de l'association française des utilisateurs de télécommunications.

Interrogé sur le système Audiotel, il est bien entendu forcé de répondre ce que la journaliste souhaite lui faire dire : que les audiotels peuvent être appelés sans limite, autant de fois qu'on en a le temps et l'envie. À aucun moment dans ce passage, il n'est précisé que l'on parle des Audiotel en général, ce qui n'a aucune pertinence dans le sujet abordé puisque les joueurs n'ont absolument aucun intérêt à multiplier les appels, cela ne les faisant pas progresser dans le jeu, au contraire de ce qui a été affirmé précédemment. Pire encore, Marie-Pierre Samitier conclut par la seule question audible de ce passage : "On peut aller jusqu'à mille euros ?" - évidemment que oui, en théorie. Une question qui n'a clairement aucune pertinence, ni aucun sens ici, si ce n'est celui de balancer une grosse somme aux oreilles du spectateur et ainsi de ne lui faire retenir que cela.

Toujours par l'intermédiaire d'@si, qui l'a contactée à ce sujet, la journaliste déclare : "J'ai fait ce sujet parce que j'ai vu la détresse de ces gens qui ont des factures de téléphone énormes. J'aurais préféré trouver des adolescents et ne pas mettre en cause une société française comme Ankama. Mais mon reportage n'est pas sur Dofus et ce n'est pas eux que j'accuse". Dans ce cas, pourquoi ne parler que de Dofus ? Pourquoi en parler nommément ? Pourquoi n'interroger que des jeunes enfants ? Pourquoi monter des images de "fausses" factures, et déclarer des contre-vérités, ou mélanger des faits qui n'ont aucun rapport entre eux ? Pourquoi finir sur une phrase telle que "des jeux qui se font au détriment du sport, ou de l'école, et qui se transmettent, tels des virus, entre copains" ? On ne nous fera pas croire que le choix du mot "virus" est innocent, pas plus que ne l'est l'absence totale d'implication parentale tout au long du sujet : une attaque frontale envers un loisir dont les acteurs n'ont pas à se substituer aux parents pour en éviter les abus.

Une fois de plus, c'est, au mieux, un cas d'école de travail bâclé, et au pire, un autre de désinformation qualifiée. Cela nuit profondément à l'image d'une industrie de loisir et de ses travailleurs, c'est une chose, mais aussi et surtout à celle d'une profession, journaliste, et d'une chaîne nationale du secteur public, France 2. Et cette dernière n'en est pas à son coup d'essai. Quand il s'agit juste de jeu vidéo, on peut encore en sourire jaune (comme avec la reprise très sérieuse, en 2004, de la blague des suicides collectifs par ingestion de prothèses mammaires de silicone, encore par France 2). Après tout il ne s'agit pas de la couverture des événements qui secouent la bande de Gaza...

N.B. : Merci à tous ceux qui nous ont écrit à ce sujet. Merci d'aider Gameblog à rester vigilant et engagé, aujourd'hui comme hier, face aux amalgames dont notre industrie est encore trop souvent victime. Enfin, pour les parents qui nous lisent et souhaiteraient en savoir plus, auprès d'une source nettement plus fiable, rappelons l'existence de l'initiative d'Etat PédaGoJeux.