Remettons quelques éléments en perspective, avant d'aller plus loin. En matière d'addiction, on peut distinguer deux grandes catégories : la dépendance physique (cigarette, alcool, les drogues en général, qui sont assimilées par l'organisme comme partie intégrante de leur fonctionnement, par phénomène d'adaptation), et la dépendance psychique (psychologique, comme la dépendance au travail dont je souffre, ou comportementale, comme la sale habitude qu'a Trazom de donner des coups de pieds dans les murs, un peu comme un tic). Il est évident que les jeux vidéo ne suscitent aucune dépendance physique... mais on peut comprendre que certains s'interrogent à propos de la seconde catégorie. Après avoir vu passer des centaines de jeunes depuis sa création, l'établissement spécialisé de Keith Bakker révise aujourd'hui son approche, poussé par l'expérience tirée du traitement de ces prétendus dépendants.

Des soins très efficaces pour d'autres dépendants ne seraient pas un besoin pour ces jeunes

M. Bakker, 47 ans, est lui-même un ancien junkie. Autant dire que la dépendance, il connaît bien. Les méthodes utilisées par son centre, basées sur l'abstinence, se sont révélées très efficaces dans le traitement de personnes témoignant de comportements de dépendants, telles que la consommation de drogues ou d'alcool (quoique la différence soit sans doute plus juridique qu'autre chose). Mais ce traitement, qui devrait marcher si une dépendance effective au jeu vidéo existait, se révèle complètement inefficace auprès de ceux qui demandent un traitement parce qu'ils pensent ne pas pouvoir s'abstenir de jouer.

Pour Bakker, il ne fait aucun doute que 90% des jeunes qui sont venus le voir, qui jouent plus de quatre heures par jour, souvent en ligne, n'ont pas besoin d'un accompagnement face à la dépendance. "Ces enfants arrivent en montrant quelques vagues symptômes similaires à d'autres addictions, et dépendances chimiques, mais plus nous travaillons avec ces gosses, moins je pense qu'on peut appeler ça de la dépendance. Ce dont beaucoup de ces enfants ont besoin, c'est de leurs parents et de leurs professeurs d'école - c'est un problème social". Jouer excessivement ne serait donc pas un problème psychologique, mais bel et bien social.

Un problème extérieur

La clinique s'oriente donc à présent vers un travail basé sur le retour au social, par le développement d'autres activités ou des compétences de communication. "Ce problème avec le jeu est le résultat de la société dans laquelle nous vivons", a déclaré Bakker à BBC News. "Quatre vingt pourcents des jeunes gens que nous voyons ont été tyrannisés à l'école et se sont sentis isolés. Beaucoup des symptômes peuvent être résolus simplement par le retour à de la bonne vieille communication". Il suffit donc, s'est aperçu la clinique, pour l'immense majorité des cas, de fournir un environnement accueillant à ces jeunes, dans lequel ils se sentent acceptés, pour qu'ils puissent rééquilibrer leurs activités. Initier ce cercle vertueux peut parfois nécessiter une intervention directe, surtout chez les plus jeunes, afin qu'ils se rendent compte de leur habitude et découvrent d'autres activités susceptibles de leur plaire, sans obligation. "C'est un choix. Ces gosses savent exactement ce qu'ils sont en train de faire, ils ne veulent simplement pas changer. Si personne n'est là pour les aider, alors rien n'arrivera".

Comme toujours, une question de bon sens

Pour beaucoup d'entre nous, joueurs, occasionnels ou gros consommateurs, adultes ou jeunes adultes, il n'y a peut-être aucun doute : le jeu vidéo ne rend pas dépendant. Mais comme toute autre chose de la vie, l'excès existe est ne peut être bon, que l'on soit un pré-adolescent ou un travailleur avec une vie bien calibrée. Lorsque des drames tels que la tristement célèbre fusillade de Columbine, aux Etats-Unis, font dire à certains que les jeux vidéo peuvent être responsables, il est nécessaire d'intervenir pour bien leur faire comprendre, avec patience, qu'il existe déjà suffisamment d'indices qui discréditent cette thèse. Car des sentiments d'impuissance et de colère sont souvent sous-jacents du choix de consommer de la violence à l'excès, sous forme de jeu vidéo ou autre, et c'est bien cela le point de commun entre ces drames, et pas le jeu lui même.

"Si je continue à parler d'addiction au sujet du jeu vidéo, ça enlève l'élément du choix qu'ont ces personnes. C'est un revirement total de ma pensée et aussi un revirement de celle de ma clinique et de la manière de traiter ces gens", explique Bakker, avant de conclure : "Dans la plupart des cas de jeu compulsif, il ne s'agit pas de dépendance, la solution est ailleurs".