Certaines bandes-originales marquent si profondément qu’elles traversent les âges avec vous. Il ne fait plus aucun doute que celle de Baldur’s Gate 3 connaîtra le même destin. Derrière cette œuvre magistrale, se cache un compositeur au parcours singulier : Borislav Slavov. Déjà reconnu pour son travail sur Divinity Original Sin 2, le musicien bulgare a su redéfinir une nouvelle fois la musique du jeu vidéo avec Baldur’s Gate 3, transmettant toutes l’émotion et la profondeur du jeu dans ses compositions. Un défi de taille pour un jeu attendu au tournant après 20 longues années d’attente, mais le musicien avait déjà dû faire ses preuves dès ses débuts chez Larian Studios.

De Crysis à Baldur's Gate 3, un parcours façonné de défis

En 2016, après avoir collaboré avec Hans Zimmer sur Crysis 2, Borislav Slavov rejoint le studio belge dans un contexte particulièrement délicat. Larian Studios, alors en pleine ascension, venait de perdre son compositeur emblématique, Kirill Pokrovsky, figure emblématique des précédents jeux du studio. Une transition qui n’a pas été facile pour Slavov. « C’était un énorme défi, mais je l'ai réussi grâce aux personnes autour de moi. Prendre la place de Pokrovsky, qui était l’un de mes compositeurs préférés, était un défi de taille. Les joueurs s’attendaient à ce que je sois au même niveau. C'est rare d’accepter un tel challenge et d’y repenser en ayant des souvenirs aussi calmes des années plus tard », se souvient-il avec une touche de nostalgie. « Mais tout le monde à Larian m’a soutenu, a été accueillant et c’est plus facile quand on est dans un environnement qui laisse autant de liberté créative. »

Cette liberté, Slavov en fera le moteur de son œuvre. Après avoir signé la bande originale de Divinity Original Sin 2, saluée pour son inventivité et sa personnalisation musicale, il s’attelle à un projet d’une tout autre ampleur : donner une identité sonore à Baldur’s Gate 3, héritier d’une saga mythique et attendu de pied ferme par les joueurs. Pas question en revanche de répéter le même refrain entêtant. Pour ce nouveau projet, le compositeur fait le choix de la rupture. Fini les thèmes personnalisés pour chaque protagoniste et les sélections d’instruments. Place à une structure plus globale, conçue comme un fil conducteur traversant l’ensemble du jeu. « Quand j’essaie de faire quelque chose que je n’ai jamais fait auparavant, ce qui est mon objectif, je commence avec une base solide que les joueurs attendent. Cette fois, j’ai voulu articuler la bande originale autour d’un morceau principal pour tous les gouverner : “Down By the River” », nous explique-t-il.

La musique au service de l'expérience des joueurs et de la narration

Mais Slavov souhaite aller plus loin encore. « J’ai voulu faire un thème pour les joueurs. Quand j’y pense, je ne crois pas que ça avait été fait auparavant », confie-t-il, quelques heures avant que son œuvre ne soit interprétée par l’orchestre symphonique de Londres à l'occasion du Game Music Festival, organisé au Southbank Centre de Londres. De cette réflexion naît un morceau très personnel pour le compositeur et qui s’est imposé comme un véritable symbole : I Want to Live. « II reflète une partie de qui je suis. Et c’est sans doute pour cette raison que j’ai eu envie de donner aux joueurs leur propre thème, une musique capable de refléter leur parcours et leurs émotions », explique Slavov. Conçu comme le miroir émotionnel du parcours de chaque joueur de Baldur’s Gate 3, le morceau trouve un écho particulier auprès de la communauté, tant pour sa puissance mélodique que pour le contexte dans lequel il a été écrit : celui de la pandémie de COVID-19.

Un isolement qui, paradoxalement, n’a pas freiné la créativité de Slavov. « C’est mon quotidien, en réalité. Je compose dans ma petite maison nichée au cœur des montagnes près de Sofia », sourit-il. Le morceau devient rapidement emblématique, fredonné des mois après la fin de l’aventure dans les Royaumes Oubliés par des joueurs touchés par sa sincérité. Une réussite qui illustre, selon Slavov, ce qui fait la force d’une composition : « Un morceau réussi est de ceux que l’on peut fredonner ». Chez Larian, la création musicale n’obéit pas à un plan rigide. Certaines musiques les plus marquantes de la bande-son de Baldur’s Gate 3 sont nées d’heureux accidents, comme les appelle le compositeur.

C’est le cas de la chanson d’Alfira, la barde qui peut accompagner brièvement le joueur. « Une scénariste m’a apporté des paroles qu’elle avait écrites pour son personnage, et je les ai réarrangées. C’est ainsi que la chanson est née. » Une anecdote qui illustre bien la philosophie de Larian Studios : « Chez nous, tous les personnages sont importants, même ceux qui auront une scène vue que par cinq personnes, car chaque expérience des joueurs compte », explique Slavov. Autre exemple de l’esprit collaboratif du studio : le thème de Raphaël, né d’une demande du studio pour l’acte final de Baldur’s Gate 3. Pour Slavov, ce morceau témoigne de la culture du studio, où la créativité est encouragée et non restreinte. « Tout est guidé par la passion et la créativité de l’équipe et cela se reflète dans le jeu ». Sincérité est le maître-mot chez Larian Studio, et cela se reflète jusque dans la bande-originale, aussi mélancolique, épique et mémorable que le jeu.

Du jeu vidéo à la scène

Le succès de la musique dépasse aujourd’hui le cadre du jeu. Le 4 mai 2024, lors du Game Music Festival de Londres, les spectateurs ont pu redécouvrir les compositions de Baldur’s Gate 3 sous un nouvel angle. Pour l’occasion, Borislav Slavov a préparé plusieurs arrangements symphoniques inédits. « L’expérience du concert est différente. Nous voulions surprendre le public tout en respectant les traditions symphoniques classiques. “Down By the River” sera interprété dans un arrangement totalement nouveau », nous expliquait-il quelques heures avant le concert.

S’il maîtrise les codes orchestraux, le compositeur plaide avant tout l’authenticité dans la musique des jeux vidéo. Interrogé sur les propos de Nobuo Uematsu, compositeur légendaire de Final Fantasy, qui déplore une uniformisation du genre vers les musiques de films, Slavov se veut optimiste et offre un conseil aux jeunes compositeurs: « N’imitez personne. Le monde n’a pas besoin d’un autre Hans Zimmer ou John Williams. Trouvez votre propre identité. L’émotion vient de l’authenticité, pas de la copie.»

Qu'attendre pour l'après Baldur's Gate 3 ?

L’avenir s’annonce chargé pour le compositeur. Larian Studios travaille actuellement sur deux nouveaux projets mystérieux, pour lesquels Slavov promet d’explorer encore davantage la notion de liberté du joueur. « Je vais continuer à mettre l’accent sur la liberté du joueur, c’est notre pilier. Je vais m’appuyer sur ce que j’ai accompli jusqu’ici, mais j’introduirai également quelque chose de nouveau… je veux continuer à surprendre », glisse-t-il. Et lorsqu’on lui demande s’il compose lui aussi simultanément sur ces deux jeux, il élude avec amusement : « Si je réponds à cette question, je révélerai quelque chose que je ne devrais pas. Mais j’ai récemment composé mon premier morceau pour le prochain jeu, et je ne l’ai pas encore fait écouter à l’équipe. ». Tout comme Down By The River et son air entêtant étaient le cœur battant de toute la bande-son de Baldur’s Gate 3, Slavov nous a confié avoir déjà trouvé celui du prochain jeu.

Avec Baldur’s Gate 3 a fructifié le mariage entre liberté des joueurs et musique adaptative. Borislav Slavov incarne cette génération de compositeurs qui prouvent que la musique du jeu vidéo est un art à part entière, qui peut être à la fois profondément personnel, intensément interactif et résonne fortement avec les joueurs et leurs choix. Ce n’était visiblement que le début, il d’être transportés vers de nouveaux horizon musicaux