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Que se serait-il passé si la PlayStation avait été le fruit d'une collaboration entre Sony et SEGA ?

Si cette question peut paraître farfelue à première vue, il s'agit pourtant d'une question que se sont posés les responsables de Sony et SEGA au début des années 90. Et plus particulièrement Olaf Olafsson et Tom Kalinske.

Olaf Olafsson n'est pas un nom fréquemment évoqué lorsqu'il est question de l'histoire de la PlayStation. Il était pourtant là lorsque Sony a commencé à s'intéresser aux jeux vidéo. Engagé par la branche américaine du géant de l'électronique en 1985, l'Islandais avait pour rôle la promotion du CD-Rom et des possibilités qu'il offrait auprès de sociétés comme Apple et Microsoft.

Le virage dans sa carrière survient en 1991 lorsque Sony le nomme président de Sony Electronic Publishing, une nouvelle division spécialisée dans la production de contenu pour divers supports comme les lecteurs multimédia ou les consoles de jeu. Tom Kalinske a de son côté été nettement plus médiatisé. Successeur de Michael Katz au poste de président de SEGA of America, Kalinske et son équipe sont responsables de la montée en puissance de SEGA et de sa Mega Drive en Amérique du Nord (en l'espace de trois ans, SEGA est passé de 5 à 55% de parts de marché outre Atlantique). Et c'est le rapport des deux individus à Nintendo qui a provoqué un rapprochement entre Sony et SEGA.

Sony avait peut-être produit le processeur audio de la Super Nintendo, cela n'empêchait pas Olaf Olafsson de vivement désapprouver l'attitude de Nintendo vis-à-vis des éditeurs et studios tiers qui produisaient des jeux pour ses consoles. À l'époque, Nintendo gérait de manière très stricte, et désavantageuse pour ses partenaires, le catalogue de jeux proposé sur ses consoles. Nintendo avait pour habitude d'exiger que des modifications soient apportées aux jeux, en plus de déterminer le nombre d'exemplaires mis en vente (en général 25% du nombre demandé par le studio ou l'éditeur), de fournir les cartouches, et de demander des droits d'auteurs en fonction du nombre de cartouches vendues.

Bien évidemment, Nintendo avait également droit de vie ou de mort sur les titres proposés par ses "partenaires." Après avoir vu un de ses titres, dans lequel Sony avait investi un million de dollars (Super Sushi Pinball pour ne pas le nommer), refusé de manière catégorique par Nintendo, Olaf Olafsson a décidé de tenter de raisonner le constructeur de la Super Nintendo. Sans succès.

Voici l'échange entre Olaf Olafsson et Howard Lincoln, alors vice président senior de Nintendo of America, tel qu'il est raconté dans le livre Console Wars :

Olafsson : Si Nintendo a le droit d'écrire toutes les règles alors, en tenant compte de la relation de longue date entre la société et Sony, j'aurais tendance à penser que le droit de bénéficier d'une certaine marge s'impose.

Lincoln : De quelle manière exactement ?

Olafsson : D'une manière très générale Monsieur Lincoln, j'oserais dire qu'un bon départ serait que Nintendo arrête de nous traiter comme de vulgaires esclaves sur la plantation.

Lincoln : Ne trouvez-vous pas que c'est un peu radical (comme comparaison) ?

Olafsson : Ma métaphore ? Son ton l'est peut-être. Mais en termes de ressenti, c'est exactement ça.

Lincoln : Je pense que nous nous éloignons du jeu. Et pour éviter des déraillements supplémentaires, je dirai simplement que Nintendo accorde de l'importance à sa relation avec Sony. Mais notre accord de licence en matière de création de jeu est le même avec toutes les entreprises et aucune exception n'est faite.

Pour Olafsson, Nintendo traite donc Sony comme des esclaves. Et même si l'intervention du responsable de Sony Electronic Publishing a réussi à choquer Howard Lincoln, la maison de Mario n'a pas plié. De quoi faire monter le ressentiment de l'Islandais au sujet de Nintendo.

Haute trahison publique

Le divorce, précédé d'une humiliation en bonne et due forme, entre Nintendo et Sony a eu lieu pendant le Summer CES de 1991 organisé à Chicago.

24 heures après qu'Olafsson ait déclaré l'arrivée de Sony dans le monde des constructeurs de consoles en partenariat avec Nintendo, ce dernier (en la personne d'Howard Lincoln) annonçait en grandes pompes que l'add-on CD-Rom de la Super Nintendo serait développé en partenariat avec Philips. Histoire de rendre la trahison encore plus forte, Olaf Olafsson était présent dans la salle de conférence au moment des faits. Ce que très peu de gens savaient alors, c'est que quelques semaines auparavant, Nintendo avait conclu à la demande d'Hiroshi Yamauchi un accord secret avec Philips.

L'ancien président de Nintendo craignait en effet la montée en puissance de Sony et n'était plus d'accord avec les termes de l'accord conclu en 1988 par Sony et Nintendo. Ce dernier indiquait en effet que Sony contrôlait les logiciels produits pour l'add on Sony de la SNES. Et comme montré précédemment, Nintendo accordait la plus haute importance au contrôle des titres édités sur ses machines. Dans l'accord Philips-Nintendo, le Japonais conservait bien évidemment les droits de tous les jeux CD, qu'ils sortent sur l'add-on de la Super Nintendo ou sur le CD-i. Comme l'histoire l'a montré, la relation entre Nintendo et Philips n'a pas été aussi loin que prévu. Mais là n'est pas le sujet du jour.

Peu après cet événement traumatisant, Tom Kalinske a reçu une invitation à un rendez-vous de la part d'Olaf Olafsson. Et c'est à New York que le patron de SEGA of America a fait la connaissance d'Olaf Olafsson et de son supérieur Mickey Schulhof, alors PDG de Sony of America. Après les amabilités d'usage, les trois individus sont rentrés dans le vif du sujet. Voici la conversation, une fois encore racontée par Console Wars :

Kalinske : J'aimerais connaître le rôle de SEGA (dans les plans de Sony). Est-ce que Sony envisage de faire un achat ?

Schulhof : Pas du tout. La synergie est quelque chose en quoi je crois sincèrement. Et il n'est pas question du mot clé sans intérêt, mais des conséquences dans la vraie vie de la découverte de situations qui bénéficient mutuellement à deux partis.

Olafsson : SEGA a l'expérience et est en train de gagner en crédibilité. Sony a la technologie et les ressources financières. Mais ce que nous partageons est l'intelligence de réaliser que le multimédia est le futur inévitable du divertissement. À ce sujet, est-il correct de déduire que SEGA a une console CD en chantier ?

Kalinske : Oui c'est vrai. SEGA prévoit un add-on pour la Genesis (nom américain de la Mega Drive, ndlr).

Olafsson : Où en est son développement ?

Kalinske : On s'approche de la fin. Nous voulons le mettre sur le marché fin 1992.

Olafsson : SEGA va communiquer à son sujet au CES de Vegas ?

Kalinske : C'est une bonne déduction.

Olafsson : Bien, c'est exactement ce que SEGA devrait faire. Et maintenant que nous savons que vous n'avez pas besoin de hardware, notre convergence devrait se concentrer au niveau des logiciels.

Schulhof : J'ai entendu dire que c'est là où se trouve l'argent de toute façon.

Olafsson : Est-il aussi correct de déduire qu'avec la montée en puissance de la Genesis, et des efforts de tout SEGA pour soutenir la console, vous avez davantage besoin d'éditeurs extérieurs pour qu'ils procurent à SEGA des logiciels basés sur CD ?

Kalinske : Clairement. Je n'imaginerais pas sortir un add-on CD en Amérique avant que nous disposions des bons logiciels.

Comme le montre cette discussion, il n'était alors pas question de la création jointe d'une console. Sony et SEGA envisageaient simplement de travailler ensemble autour du MEGA CD (appelé SEGA CD aux États-Unis). Mais avant de mettre un terme à cette première discussion, Sony a souhaité faire preuve de transparence :

Olafsson : Afin d'être complètement honnête, j'aimerais noter qu'un partenariat (entre SEGA et Sony) n'exclurait pas la possibilité que Sony entre un jour dans le marché des consoles.

Kalinske : Je n'en attendrais pas moins. Mais pour l'instant, je pense que nous avons beaucoup à gagner à nous tenir la main. Plus tard ? Peut-être que c'est quelque chose (la création d'une console Sony, ndlr) que nous explorerons ensemble, ou peut-être que nous nous séparerons. Ce "peut-être" me convient très bien.

Même s'il ne s'agit là que de paroles de pontes de Sony of America, il est possible de voir que l'idée de construire une console trottait déjà dans la tête de la société japonaise. Comme envisagé au cours de la rencontre racontée plus haut, le Mega CD a permis à Sony et SEGA de travailler ensemble. La société de Tom Kalinske a par ailleurs tiré une épine du pied de Mickey Schulhof en récupérant et en finançant le développement deux (Sewer Shark et Night Trap) des quatre jeux Full Motion Video (c'est-à-dire utilisant de séquences vidéo filmées avec de vrais acteurs) dont Sony avait acheté les droits et les assets et qui étaient initialement prévus pour sortir sur la NEMO d'Hasbro puis sur l'add on conçu pour Nintendo.

Aux États-Unis, le couple Sony-SEGA filait donc le parfait amour. Le premier a même aidé le second à organiser la fête de lancement du Mega CD. Mais dans les faits, il s'agissait d'une relation compliquée, Sony ayant encore des sentiments pour son ex.

Mais malgré l'humiliation subie, Sony pensait toujours à Nintendo... allant jusqu'à se lancer dans une série de négociations secrètes.