Sur la génération des consoles dites HD, la PS3 et la 360, nous avons pris l'habitude d'une Xbox centrée sur les gamers (en tout cas à son lancement, elle s'est diversifié ensuite) et soutenue par un Microsoft encore jeune et humble sur le secteur, tandis que la PlayStation poursuivait sur la lancée d'une PlayStation 2 hégémonique, remplaçant le DVD par le Blu-ray, et présentée par un Sony parfois arrogant ("la nouvelle génération commencera quand nous l'aurons décidé"). Moins de 10 ans plus tard, alors que les premières cartes de la génération PS4 / Xbox One ont été abattues, les rôles s'inversent... presque dans tous leurs aspects.

Tu gardes le salon, je prends le joueur

Là où Sony aura choisi en février, en dévoilant sa PS4, de rester centré sur le jeu, et de s'adresser entre autres aux développeurs tout en rappelant que l'ère du social et des seconds écrans (smartphones et tablettes) a changé la donne, Microsoft poursuit la conquête du salon. Efficacement, certes (en tout cas si on en juge par la démonstration faite du système, spectaculaire), mais la bataille n'est elle pas ailleurs ?

Pour les américains, avec lesquels Microsoft joue à domicile, peut-être que non ; eux ne bénéficient pas des multiples offres "Triple Play" accessibles qui dominent en France ; eux sont peut-être plus attachés à leur télévision (leur "big screen"), que les français ; eux sont moins bien lottis en matière de qualité des connexions internet que nous autres. Mais bien sûr, personne ne s'y trompe : l'affrontement sera mondial entre les deux constructeurs, et indubitablement, c'est en Europe que la bataille fera le plus rage.

En effet, dominant aux Etats-Unis et capable de conserver son avance sur ce territoire, Microsoft rêve sans doute de connaître lui aussi l'hégémonie d'une PS2 ou d'une Wii avec sa Xbox One, et investira probablement sur l'Europe, traditionnellement acquise à Sony, puisque le Japon semble hors de portée. De son côté, Sony devra au contraire maintenir sa domination Européenne, et, en l'absence de moyens financiers aussi développés que ceux de Microsoft, risquerait de se disperser sans grande chances de succès en se concentrant trop sur les Etats-Unis, tandis que le Japon, sa terre natale, ne saurait lui échapper. Bref, c'est bien entre le Japon et les Etats-Unis qu'on imagine voir les forces se concentrer : en Europe. En tout cas, du côté de Microsoft, on a déjà fait passer ce message en déclarant publiquement que l'Europe était "cruciale".

Seulement voilà : plus les mois passent, plus il semble que l'écran principal, autrefois celui du salon, cède sa place à celui qu'on emporte avec soi, qu'il s'agisse du téléphone ou de la tablette. Le public est d'ores et déjà en train d'offrir une attention plus longue, plus régulière, et même plus soutenue à ce "second" écran qu'à celui de son living room, même si ce n'est pas pour le même usage. Aux Etats-Unis, les offres 4G se développent, en attendant la 5G déjà testée par les constructeurs de mobiles, Samsung en tête, et si le gigantisme du territoire américain freine probablement le déploiement d'une fibre de plus en plus présente chez nous, le sans-fil aura sans doute tôt fait de rééquilibrer les accès à internet des nord-américains par rapport aux pays européens les mieux pourvus en la matière : un argument supplémentaire en faveur des "seconds écrans", de la mobilité, et de l'élément personnel au sein de communautés de joueurs pour qui le salon n'est définitivement plus le seul endroit où rester en contact avec le jeu.

Certes, Smartglass existe, et les éditeurs tiers chauffant leurs companion apps, le Xbox Live, et le "cloud" font bien partie de l'équation Xbox One : la portabilité de tout ou partie de l'expérience n'a donc bien entendu pas été écartée par Microsoft, loin de là. Mais si on s'en tient à la conférence du 21 Mai, la télé, le living-room, restent au coeur de leur vision pour la prochaine génération. Une vision qui s'est concentrée pour l'heure sur les très grosses licences, de sport chez EA (qui pour le coup aura déjà témoigné de son allégeance), de course et de shoot avec Forza et Call of, le tout saupoudré d'un soupçon de Remedy qui reste très obscur, tandis que les indies n'ont pas existé une seule seconde (pas de jeu indie, mais pas non plus d'ouverture à l'auto-édition comme chez Sony, suppression du Xbox Live Arcade et des Xbox Indie Games au profit d'un seul Xbox Store, et le XNA à présent arrêté). Oui, c'est vrai, Microsoft a clairement annoncé avant, pendant et après la conférence qu'il faudrait attendre l'E3 pour parler longuement de jeux, mais le sentiment demeure : les gamers sont déçus (une fois encore).

Pas de gagnant ?

Comme beaucoup, rétrospectivement, j'ai la sensation d'avoir été dur avec Sony au sortir de leur conférence, en arguant que c'était sans doute "trop peu, trop tôt". A présent que l'événement Xbox One est passé, j'ai plutôt l'impression qu'aussi maladroit que Sony ait pu être sur certains points, et bien qu'en aucune façon ce qu'ils ont montré des jeux PS4 n'aura été suffisant à mes yeux, leur stratégie, leur ouverture, et leur ton sont ceux, recontextualisés pour les années 2010, que Microsoft avait début 2000, tandis que Microsoft, lui, prend la place du Sony d'il y a dix ans. Il présente ainsi, avec une conférence efficace réglée comme du papier à musique, un visage de leader poursuivant en ordre de marche une stratégie sans doute efficace, mais qui vise à conquérir une position qui n'est peut-être plus aussi centrale qu'elle l'était au moment de dresser ces plans.

Mais en vérité, en me repassant le film de la conférence Sony en parallèle de celle de la Xbox One, bien que la première paraisse tout d'un coup moins inapte, il faut se rendre à l'évidence : aucun des deux n'a su briller comme on attendait qu'il le fasse. Bref, par cynisme, on pourrait tout à fait se dire que finalement, ni Sony ni Microsoft n'a réussi son coup pour le moment. Zéro partout, la balle au centre ? C'est bien possible, mais le match ne fait évidemment que commencer.