Bouh, les vilains chiffres.

Le jeu vidéo continue de chuter, -20% de consoles vendues sur ce début d'année, -14% pour les portables et -10% pour les jeux. Il y a des morts. Pour cette semaine seulement, Etranges Libellules, développeur Lyonnais, a fermé ses portes. Sega France (Australie, Allemagne, Espagne, et Bénélux également) a fermé ses portes. Radical Entertainment a quasiment fermé ses portes. Et ça va continuer. Codemasters France ne sera sans doute bientôt plus. D'autres développeurs périront. D'autres éditeurs fermeront ou réduiront considérablement les effectifs de leurs antennes locales, ou de leurs studios de développement. Que se passe-t-il donc ? Le jeu vidéo serait-il en crise ?

Non.

Pour commencer, la crise est générale, et non propre au jeu vidéo. Ensuite, pour ce dernier, je continue de penser que de nombreux signes montrent au contraire que le jeu vidéo est une industrie plutôt saine, qui, simplement, traverse une évolution (ou une mutation) rapide et tous azimuts (voir : Edito #26 : Le Jeu Vidéo va-t-il si mal ?). En revanche, comme il fallait s'y attendre, elle laisse de nombreux acteurs, petits ou gros, sur le bas côté ; et bien souvent, c'est parce qu'ils ne s'adaptent pas assez vite ou pas assez bien. Une histoire de sélection naturelle, donc, qui tranche dans le vif de tout ce qu'il y a entre le gros surpuissant et le petit malin flexible. Comme souvent à la fin d'un cycle... Sauf qu'en plus de cette fin de cycle qu'on a déjà connue maintes fois, l'époque est à l'éclatement, à la fragmentation, à la redéfinition de l'offre comme de la demande sur un marché en profond bouleversement. Pour espérer y faire face, il devient urgent d'accepter un certain nombre de choses, à mon avis...

Diversifier son offre. Pensez-vous qu'Ubisoft est aujourd'hui dans cette position parce qu'ils ont Assassin's Creed ou Splinter Cell ? Que nenni, ces titres sont à peine rentables. Si un seul se plantait, les conséquences seraient énormes. Ce qui leur rapporte des bénéfices, ce ne sont pas ces grosses licences gamer, mais Just Dance et les Lapins Crétins. On ne vit pas qu'en produisant des Blockbusters AAA ; si 38 Studios ou Radical Entertainment ont fermé, c'est parce qu'il n'y a presque plus de place pour les seconds, plus du tout pour les moyens, ni tous ceux qui investissent trop sur des jeux qui n'émergent pas assez au sein des rayonnages de gros titres, et pas assez pour qu'ils les colonisent en étouffant les autres.

Créer sa propre richesse. Les adaptations d'autres licences peuvent fonctionner un temps, mais aucun développeur ne survivra cycle après cycle s'il n'a pas créé lui-même une partie de sa richesse avec une identité, des licences dont il est l'auteur, des éléments à faire valoir. Si Etranges Libellules vient d'être placé en liquidation, c'est parce que les contrats pour des adaptations ne constituent pas un fond de commerce pérenne.

Ne pas rester prisonnier de la tradition. Est-il véritablement raisonnable de croire que le modèle du jeu à 70 euros pour 10 heures de solo, un peu de multi, le tout en boîte dans des boutiques spécialisées ou des rayons de grandes chaînes qui tanguent toutes dangereusement financièrement, pourra perdurer dans les dix prochaines années ? On sait tous que non. Pourtant, nombreux sont ceux qui ne veulent pas entendre parler d'autre chose. Du jeu dématérialisé, de titres calibrés et tarifés pour ceux qui n'ont pas le temps de jouer autant qu'avant, des mobiles, du social... pourtant le jeu est plus protéiforme que jamais et il n'y a jamais eu autant de joueurs qu'aujourd'hui, même si beaucoup ne sont plus en mesure de jouer comme ils le faisaient quand ils étaient étudiants.

Respecter les joueurs. Tout en honorant la nécessité d'explorer de nouveaux modèles, d'exploiter les nombreuses possibilités disponibles, les abus en matière de DLC, de passes machin, de contrôle absolu de l'expérience des joueurs doivent être soigneusement évités. Proposer plus et différemment, c'est bien, flirter avec l'escroquerie ou déposséder complètement l'acheteur de son contrôle sur sa propre expérience, c'est se tirer une balle dans le pied à plus ou moins long terme. Ne serait-ce que parce qu'inéluctablement, quelqu'un renoncera à la pratique et montrera à quel point la valeur d'un jeu bien fini, bien complet, bien vendu, contribue à l'édification d'un public captif qui se montrera le meilleur des vendeurs, à l'heure où le moindre réseau social peut faire de l'expérience d'une minorité l'éveil à la conscience de la majorité. C'est l'ère du buzz, et il fonctionne dans les deux sens.

L'Effet Papillon

Quoiqu'il arrive, les gens continueront de jouer, d'une manière ou d'une autre, et il ne fait aucun doute que l'industrie du jeu vidéo continuera de vivre, d'évoluer, de s'adapter. Si les gros éditeurs s'obstinent à trop limiter les risques et produire une logorrhée de FPS contemporains et de TPS sans valeur ajoutée, ils mourront, remplacés par ceux qui auront misé sur une stratégie moins monomaniaque et pris un tout petit peu plus de risques.

Le véritable problème, c'est qu'on est un peu tous dans le même bateau ; quand des éditeurs ou des développeurs ferment leurs portes, des gens partent au chômage, des budgets disparaissent, des idées meurent. Bien sûr, beaucoup renaissent ailleurs, mais combien de sous-traitants, de boutiques, de médias, de régies ou de cabinets seront au passage secoués, parfois jusqu'à tomber, par ces chutes ? Evidemment, chacun est partie d'un écosystème, chaque écosystème communiquant lui-même avec d'autres au sein d'écosystèmes plus grands. C'est la réalité d'un monde globalisé, qui ne saurait être construit autrement, d'ailleurs. Pour traverser les âges et suivre le train de l'évolution plutôt que d'y succomber, il faut être plus fort - ou plus malin. Pas s'inscrire dans une spirale inflationniste dont tout indique qu'elle ne mène à rien, car on ne peut pas continuer éternellement à devoir vendre plus à plus de gens année après année.