Pour mes retours sur mes jeux 2011, j'ai choisi de faire quelques articles thématiques. Je commence par The Saboteur et Red Faction Guerrilla, deux jeux qui vous placent à la tête de la résistance, l'un à Paris pendant la Seconde Guerre Mondiale, l'autre sur Mars pendant un soulèvement ouvrier.

La Seconde Guerre Mondiale est une époque que le jeu vidéo a souvent visité. Les FPS comme Medal of Honor, Call of Duty, Brothers in Arms l'ont tous abondamment utilisé au début des années 2000, pour son caractère dramatique, réaliste, héroïque. Le plus souvent avec, sinon une forme de fidélité à la réalité, au moins une certaine déférence, et un profond respect pour les soldats alliés y ayant participé. Les missions tentaient souvent de se calquer sur des missions et bataillons réels, images et archives à l'appui. Certes, le point de vue allemand n'était pas traité, les scénarios restaient manichéens et à la gloire des alliés, et d'autres titres prenaient des tournures plus parodiques, comme Wolfenstein, mais dans l'ensemble, il y avait un vernis d'authenticité, qui rendait l'exploitation de cette guerre si ce n'est justifiable et respectable, au moins compréhensible.

Ce n'est pas le cas pour The Saboteur. Le jeu aborde certes un thème encore plus complexe avec la résistance, mais il ne se donne jamais les moyens d'y faire honneur. Tout d'abord, le choix du héros est parlant : on joue un Irlandais, comme s'il était impensable de jouer un Français. Ensuite, le jeu évacue tout concept de fidélité historique ou au contexte de l'époque : on parle bien du Führer, et on voit des croix gammées à condition d'avoir une version autre que française (étrange censure), mais le méchant officiel du jeu est l'ennemi personnel du héros, et nulle trace des chars Leclerc, ou même d'une libération effective de Paris à la fin du jeu (la représentation de Paris est un peu fantaisiste et toute l'esthétique du jeu est stylisée, mais ce n'est ni gênant ni spécialement mémorable). Le jeu semble éviter les sujets complexes qui seraient pourtant parfaits pour dramatiser l'intrigue, entre la vie qui continue pour la majorité de la population, les rivalités entre résistants, les dommages collatéraux, les drames personnels. Il préfère nous servir une soupe insipide de courses de voitures, de triangles amoureux, et une galerie de personnages européens tous plus clichés les uns que les autres. C'est caricatural sans être parodique, crétin sans être drôle. Le jeu se satisfait d'ambitions plus que modestes, et dévoile sans fard ses travers adolescents. Un DLC dénude des seins virtuels, et une séquence lascive dans le cabaret du héros dont on peine à saisir la pertinence. Le cabaret n'étant pas un lieu décisif de l'intrigue, son inclusion sert uniquement à flatter les bas instincts du joueur.

Au final, cela fait peine à dire, mais l'intrigue de Valkyria Chronicles, qui avait été à raison incendié pour son traitement léger de la Seconde Guerre Mondiale, abordait presque mieux le sujet. Il avait au moins le mérite de s'intéresser, même maladroitement, au génocide d'un peuple, ce que The Saboteur évite consciencieusement.

Red Faction Guerrilla souffre un peu des mêmes soucis, sauf qu'il met bien moins en avant son scénario, on l'en remercierait presque. Tout y est expéditif, l'arrivée du héros comme son implication dans le conflit avec la mort de son frère, ou son ascension fulgurante dans la rébellion. De fait, tout apparaît très factice, et l'histoire et la thématique du jeu apparaissent plus comme des prétextes que comme des sujets que le jeu aborderait pleinement.

La thématique fait tout de même s'interroger : en demandant au joueur de participer à des actions de guérilla, de faire exploser des complexes industriels, militaires ou résidentiels comme un bon kamikaze en envoyant une voiture bardée d'explosifs s'exploser contre des bâtiments, il évoque directement les actions des terroristes irakiens et afghans.

Le jeu tient bien compte des rebelles que l'on tue, et nous sanctionne en conséquence, mais on n'a jamais affaire aux vraies problématiques que posent ce genre d'actions : tuer des gens est-il le meilleur moyen de promouvoir des valeurs démocratiques ? Qu'en est-il des innocents pris dans les attentats ? Est-il judicieux de détruire les moyens de production et de subsistance dont on aura besoin pour vivre après le soulèvement ?

Red Faction Guerilla comme The Saboteur évitent soigneusement ces questions. L'ennemi est irrémédiablement mauvais, l'étiquette nazie et les armures intégrales de l'armée privant les adversaires de toute humanité. Ces deux jeux comptent trop sur les joueurs pour compléter les intrigues avec les valeurs nobles qu'ils souhaitent évoquer, en appelant à un idéal de résistance, de bataille pour la liberté, sans jamais donner la vraie mesure de ces combats. Sparky Clarkson dresse à ce sujet dresse la liste des occasions manquées bien mieux que moi.

Les deux jeux se complaisent donc à proposer uniquement des théâtres de destruction massive, dénués de toute culpabilité. Le joueur ne détruira ainsi jamais Paris dans The Saboteur, mais détruira uniquement une des innombrables structures militaires que les Allemands ont fait fleurir partout. Dans Red Faction Guerilla, on détruira tout sans se poser de question sur le long terme, tout est bon à être détruit.

Il faut cependant leur reconnaître qu'ils s'acquittent de cette fonction particulière avec panache. Détruire une usine à coup de marteau dans Red Faction Guerilla est assez viscéral, et placer furtivement quantité d'explosifs dans une base allemande avant de s'éloigner et de tout détoner est également assez jouissif.

The Saboteur propose ainsi une boucle de gameplay très simple et très courte, mais particulièrement satisfaisante, malgré la nécessité de la répéter : prendre à parti un soldat allemand isolé pour lui subtiliser son uniforme, grimper aux façades des immeubles parisiens, crapahuter sur les toits, placer du C4 un peu partout, et s'éloigner dans un joyeux feu d'artifice, puis recommencer. L'intelligence artificielle et l'efficacité des déguisements font de cette tâche une formalité la plupart du temps, mais la tension est bien présente. J'ai pris un plaisir presque coupable mais certain à nettoyer méthodiquement l'intégralité de la carte, m'offrant un challenge intéressant, puisque les Allemands surveillent chaque objectif et qu'ils peuvent vous voir d'un poste à un autre. Le sentiment de progression était bien réel, libérer Paris ne se faisait pas magiquement en une poignée de missions, mais méthodiquement, et chaque poste détruit aidait de façon notable les missions ultérieures, donnant un vernis d'utilité à cette tâche parfois abrutissante. Quelques défis m'ont également motivé à varier les plaisirs, même si le jeu perd un peu plus son équilibre en nous récompensant avec des capacités qui s'approchent du cheat code, notamment celle de poser des explosifs sans éveiller de soupçons...

Red Faction Guerrilla transcrit quant à lui assez bien les tactiques hit & run, qui obligent à attaquer avant de disparaître, pour mieux frapper à nouveau ensuite. En effet, les soldats adverses étant apparemment en effectifs illimités, il n'est jamais judicieux de rester trop longtemps au même endroit. Cela a malheureusement tendance à rendre le jeu plus frustrant que nécessaire, puisqu'il est quasiment inutile de chercher à se défendre lorsqu'on est attaqué, le temps et les munitions étant gâchées dès que les renforts ennemis arrivent. Le fait que certains bâtiments semblent défier les lois de la physique et tiennent debout plus longtemps qu'escomptés rajoutent à cette frustration. Le jeu semble donc encourager les attitudes suicidaires, comme courir en zigzag sur le champ de bataille pour rejoindre un véhicule et en ressortir tout de suite après. J'ai eu du mal à m'adapter à cette tactique, et couplé à la difficulté parfois retorse, je n'en suis toujours pas venu à bout, malgré une bonne dizaine d'heures dessus.

Au final, ces deux jeux me rappellent énormément cette vidéo parodique des films d'actions : Cool guys don't look at explosions (visible sur le blog de Skywilly en VOSTF). Leur principal mérite est de nous donner l'air cool, en nous permettant de réduire en cendres de grosses structures. L'expérience est intégralement tournée vers ce désir primaire de destruction, entretenu avec 1001 objectifs disséminés sur la carte, pour donner l'impression d'un monde gigantesque. Tout le reste n'est qu'accessoire. On peut très bien s'en contenter, mais les thématiques de résistance et de combat pour la liberté méritaient bien mieux que de se voir expurgées de toute complexité ou subtilité et remplacées par des intrigues indigentes.