Comme souvent, j'utilise les titres originaux et les dates de sorties américaines des films que je cite. Ce n'est pas vraiment par snobisme mais plutôt par commodité. Tout est uniforme et le plus souvent les titres sont aussi plus courts. De plus je parle du film comme si vous l'aviez vu...si ce n'est pas fait, allez réparer cet affront.

Le cinéma est un art vaste comme l'univers. Tellement vaste qu'il est impossible à un quelconque être humain de voir tout ce que l'homme a produit et ne cesse de produire dans ce domaine artistique, quand bien même il y dédierait sa vie. C'est ce qu'un certain Georg Simmel appelait ''la tragédie de la Culture''. Pourtant, régulièrement des films restent et marquent. Ceux-là on s'y accroche, parfois trop. On les porte haut au dessus de la foultitude d'autres images qui nous parviennent. On a l'impression de les surestimer, au point de ne pas oser les revisiter. Et quand on les revoit et qu'on se rend compte qu'on a le même sentiment après des années...c'est qu'il faisait parti des élus qui contrecarrent la tragédie de la culture. Dans ces films là, j'ai personnellement un top très particulier qui serait le top des films les plus cools de tous les temps. Ce sont des films qui m'ont marqué parce qu'à un moment T, ils ont eu tout pour être définissant de leur époque et d'un instant du cinéma. Aujourd'hui, je voudrais vous parler du plus cool d'entre eux. Tellement cool qu'il ferait passer Gerald de Hey Arnold ! pour un ringardos. Ce film, c'est Men In Black.

 

 Pour la petite histoire...

Men In Black sort en 1997. C'est une zone un peu particulière du film hollywoodien pour deux raisons. Premièrement, d'un point de vue technique, Men In Black est encore dans la période floue entre les effets spéciaux traditionnels (animatronique, maquillages, costumes, pyrotechnie...) et le tout numérique (fond vert).

Star Wars: Episode VI - The Return of the Jedi (1983)

Les années 1980 ont offert les plus beaux instant des effets spéciaux à la main. La fin de la trilogie Star Wars de George Lucas (1983), E.T de Steven Spielberg (1982), The Thing de John Carpenter (1982), le remake de The Fly par David Cronenberg (1986) ou encore le fabuleux Terminator de James Cameron (1984) ; on pourrait même évoquer Total Recall de Paul Verhoeven(1990) ou la suite (chef-d'oeuvre absolu) de Terminator, T2 :Judgement Day (1991) qui restent dans cette mouvance. On pensera aussi bien évidemment à toute la scène du film d'action policier entamée avec Beverly Hills Cop (1984) ; Leathal Weapon (1987), Die Hard (1988), Tango & Cash (1989). C'est réellement une période bénie en terme de films grand public venus des États-Unis ; de la science-fiction et de l'action à ne plus savoir qu'en faire et surtout avec des acteurs mythiques.

Star Wars: Episode III - Revenge of the Sith (2005)

Les années 2000 ont été l'occasion du soulèvement des machines et de l'avènement des films sur fond vert aux effets calculés par ordinateur, les fameuses CGI (Computer-Genarated Imagery). Clairement, c'est une arme à double tranchant. D'un côté, elle a permis de faire naître des choses qu'il aurait été impossible de faire auparavant pour des raisons techniques et de budget, comme Peter Jackson nous l'a prouvé avec sa trilogie Lord of the Rings (2001, 2002 et 2003) magnifiquement mis au monde grâce à Weta Workshop ou comme Sin City, 300, Watchmen ou Avatar l'ont montré, chacun avec un style visuel difficile (voir impossible) à atteindre sans le numérique. De l'autre côté, elle a aussi aseptisé une grosse partie de la production mondiale (même le Japon a fini par y céder) au point de perdre une partie de la magie de se demander comment ont été fait telle ou telle scène. Désormais, on peut faire s'écrouler des immeubles, on peut montrer Hulk qui met le coup de poing le plus jouissif de l'histoire du block-buster contre un ver géant de l'Espace mais on sait pertinemment comment cela a été fait. C'est aussi une des raisons du désamour (compréhensible) des fans envers la seconde trilogie Star Wars de George Lucas (bon il y a pas que ça hein...) ou des remakes de films comme Total Recall (2012), Clash of the Titans (2010) ou The Day the Earth Stood Still (2008) ; la relative facilité d'afficher ce que l'on veut, sans contrainte technique, à partir du moment où le budget suit, a fini par tuer une partie de ce qui fait des films des années 1980 des perles si particulières. C'est d'ailleurs grâce à une forme de retour à la vraie pyrotechnie et à l'ingénierie sur plateau que des réalisateurs comme Christopher Nolan font aujourd'hui la différence dans ce domaine cinématographique autrement complètement bouché. Qui n'a pas ouvert grand la bouche devant le 15 tonnes qui se retourne de The Dark Knight (2008) ou devant la baston dans le couloir d'hôtel à la gravité changeante de Inception  (2010)?

The Dark Knight (2008). Un des effets spéciaux les plus dingues de ces dernières années.

J'évoquais cependant deux raisons. La seconde raison est un peu plus sociale et tient à la place dans le contexte historique américain de Men In Black. Le film est sorti 4 années avant le séisme qu'a été le 11 Septembre 2001. Avant cette période, un film d'action se devait d'être une comédie en même temps qu'une montée d'adrénaline. Stallone qui insulte une machine pour avoir du papier pour s'essuyer aux toilettes dans Demolition Man (1993) ou Danny Glover qui se retrouve sur des chiottes piégées dans Leathal Weapon 2 (1989) ne me feront pas mentir. Il y avait une forme de décontraction chez les héros (toujours masculins malheureusement) de cette époque qui a disparu pendant des années de la production américaine puisque d'un seul coup, les explosions provoquées par des criminels ou des terroristes n'était plus sujet de plaisanterie et de grand-guignol. Après cette période, le block-buster est devenu beaucoup plus sérieux et surtout, il a vu l'avènement de ceux qui sauveraient l'Amérique, les gardiens de la puissance de cette nation endeuillé...les super-héros, les seuls capables de tout arrêter. Spider-Man, les X-Men, Batman, Captain America, Thor, Green Lantern, DareDevil, The Fantastic Four...on croule sous les collants et les immeubles qui s'effondrent et la tendance ne s'essouffle pas 12 ans plus tard, même si on sent un retour du fun avec les Avengers ou les anti-super-héros comme Green Hornet ou Kick Ass ou l'autre retour , celui des grandes gloires des années 80 comme Stallone, Bruce Willis ou Scwharzy dans des rôles très bourrins qui sont un appel à la nostalgie.

 

Un entre-deux rare.

C'est là que Men In Black devient un film extrêmement intéressant. MIB est donc un de ces films techniquement à la croisée des chemins. Réalisé par Barry Sonnenfeld, à qui on devait avant tout les deux longs métrages modernes de The Adams Family, il démarre sur un plan séquence en CGI d'une libellule que l'on suit dans un long périple, qui au passage se permettra un petit clin d'œil à E.T, jusqu'à ce qu'elle ne s'écrase à pleine vitesse sur le par-brise d'un passeur d'immigrés mexicains. Si l'on décèle sans peine ces passages réalisés en post-production sur ordinateur, le réalisateur n'hésite cependant pas à utiliser un mélange entre CGI et les effets spéciaux traditionnels. Un choix qu'avait également magistralement fait Steven Spielberg pour son Jurassic Park quatre ans plus tôt. Alternant ainsi entre réelle explosions de slime et soucoupes volantes numériques, Men In Black est un des rares films des débuts de la CGI a ne pas vieillir techniquement parce qu'il n'abuse pas de ces effets et que le film ne tourne pas autour de ça. Le premier Harry Potter (and the Philosopher Stone) par exemple est clairement dans la catégorie de ceux qui n'ont pas su faire ce choix et qui le paye aujourd'hui en affichant une technique vieillote, quand bien même le film est sorti quatre ans après Men In Black et donc huit ans après Jurassic Park. Surtout, Sonnenfeld a l'intelligence d'utiliser les CGI pour des plans assez courts (sauf le premier donc et le méchant final) ou sur des séquences lointaine ou au moins pas en gros plan. L'accouchement du bébé alien est d'autant plus hilarante que Will Smith tient un ''vrai'' bébé tentaculaire et gluant dans ses bras. S'il avait été réalisé par ordinateur, l'effet n'aurait pas du tout été le même. De ce point de vue technique, on ne doutera pas que la présence de Spielberg à la production a joué un rôle favorable dans les décisions de Sonnenfeld.

 

La direction artistique est également un élément intéressant. L'une des autres différences entre un films de SF ou d'anticipation pré-2000 et post-2000, c'est la représentation du futur qui peut y être faite. Alors que Blade Runner, Demolition Man, Alien ou même le Cinquième Élément (il est français celui là) ont une représentation de la machine et de la ville futuriste très sale, noircie et encombrée, Tron Legacy, Total Recall (le remake), Surogates, I,Robot ou bien le très récent Cloud Atlas ont tendance à montrer des avenirs plus blancs, lisses, transparents...plus Apple finalement. Pourtant bien avant la sortie du premier iPod, Men In Black prend le parti de montrer une technologie futuriste, ou très avancée et d'origine alien pour être plus précis, dans des décors blancs et aseptisés avec des ordinateurs ronds, des baies vitrées et une luminosité forte qui contraste avec le New York présent, celui qui est technologiquement ce qu'il est à la fin des années 1990. Le résultat est qu'encore aujourd'hui le film est visuellement très actuel. Évidemment, les modes sont amenées à changer, mais le design global du film est vraiment un régal ; il a de la personnalité (ce qui n'est pas forcément le cas de I,Robot par exemple) sans qu'il soit non plus vintage. Comme pour la partie technique, c'est vraiment le juste milieu. Mais il y a mieux encore sur cette direction artistique.

 

 

Le coup de génie d'Ed Solomon.

Men In Black de Lowell Cunningham paru en 1990 chez Aircel Comics (racheté par Marvel).

Si vous ne connaissez pas Ed Solomon, personne ne vous en voudra. À part avoir transformé le second comic-book Men In Black en script pour le premier film de la franchise au cinéma (oui MIB est un comic-book à la base) le monsieur a écrit les histoires de Super Mario Bros. ou de Charlie's Angels, l'adaptation de la série télévisée. Pas très reluisant. Pourtant MIB, je le disais plus haut, est un film fait avec des tics hérités des années 80. Ici, on a donc affaire à un film d'action/sf qui cherche à jouer également dans la comédie. Mieux encore, l'intelligence d'Ed Solomon a été de pousser le jeu du rappel au 80's en utilisant le schéma classique à la Leathal Weapon. Qu'est-ce que Men In Black finalement si ce n'est une version SF des aventures de Riggs et Murtaugh ?

L'implémentation de ce duo de flics classique mais à un niveau de responsabilité largement plus élevé permet également d'augmenter le décalage entre enjeu et humour. Dans Lethal Weapon, on rit de voir les personnages survivre à des cascades impossibles ou provoquer des accidents hors du commun, tout en arrêtant la criminalité dans leur ville. Dans Men In Black c'est le même principe, sauf que tout est multiplié par l'échelle galactique à laquelle se rapporte le film. Surtout le caractère imprévisible de celui-ci eu égard à son bestiaire extra-terrestre et à sa technologie inconnue permet au moins au premier visionnage de surprendre le spectateur sur des codes qu'il a pourtant assimilé. À ce niveau là, le film est également très bien écrit puisqu'il donne à J la nouvelle recrue du MIB la même perspective que le spectateur. Ce dernier n'a en effet que la séquence d'introduction d'avance sur le personnage incarné par Will Smith pour voir qu'il a affaire à une section secrète destinée à contrôler la présence extra-terrestre sur Terre. En conséquence, la plupart des gags viennent de surprises diverses et variées concernant l'univers du film. Le Neuralyzer, le Noisy Cricket, le chien qui parle, le bouton rouge, l'accouchement...que des séquences cultes.

"Hey, Kay, nah, nah. Come on, man, you-you get a Series Four De-atomizer and I-I get a little - little midgy cricket?!"

Dernière chose sur l'apport de MIB au genre du buddy/cop movie, ce sont les références culturelles constantes que son univers peut apporter. Dans cette optique, MIB montre une étrange parenté avec quatre réalisations de Robert Zemeckis, à savoir la trilogie Back to the Future et Forrest Gump. L'un des principaux ressorts comiques de ces films est la réinterprétation de faits ou de personnages historiques populaires pour intégrer réellement le film dans le terreaux de l'Histoire. Back to the Future nous apprends qu'en réalité c'est Marty McFly qui a indirectement inspiré Johnny B. Good à Chuck Berry. Forrest Gump, dans son film éponyme, a quant à lui (entre autres choses) apprit à Elvis son pas de danse endiablé ou déclenché le Watergate. MIB est dans la même veine. En parlant d'Elvis par exemple, on apprend dans le film que celui-ci n'est pas mort mais qu'il est simplement « rentré chez lui » ou encore que des célébrités comme Dennis Rodman, Stallone ou Spielberg son des aliens, ce qui expliqueraient bien des choses. Évidemment, c'est un esprit qui a été conservé sur les deux épisodes suivants et qui marche toujours, même si le troisième opus notamment avait forcé un peu trop sur le côté patriotique américain.

 

Un film avec des étoiles hollywoodiennes.

Finissons sur le casting du film. Comme pour le cas des grands films mettant en scène un duo de héros ou une star qui semble évidente une fois le film vu, il est très dur de s'imaginer ce qu'aurait pu être le film sans le casting actuel. Qui d'autre que Christopher Loyd pour jouer le Doc de Back to the Future ? Qui d'autre que Johnny Depp pour être le Jack Sparrow de Pirates of the Caribbeans ? Pourtant dans ces deux cas comme dans le cas de MIB, beaucoup de sites et de livres affirment que le casting aujourd'hui inaltérable a bien failli ne pas être celui qu'on connaît. Initialement c'est à Chris O'Donnell que Sonnenfeld voulait confier le rôle de J et à Clint Eastwood celui de K. Le premier a décliné parce qu'il ne voulait pas de nouveau jouer un assistant de héros après son rôle dans le mythique Batman & Robin...comme quoi ça partait d'une bonne intention. Sur IMDb on trouve également une note intéressante qui précise que Will Smith lui-même ne comptait pas accepter le rôle mais que sa femme l'y a poussé ; grand bien lui a pris.

En effet au moment du film Will Smith a déjà une grosse notoriété en tant que rappeur et acteur comique pour la série The Fresh Prince of Bel-Air qui a duré de 1990 à 1996. Dans le même temps il est aussi apparu dans deux block-buster par les rois de la subtilité : Bad Boys de Michael Bay (1995) et Independance Day de Roland Emmerich (1996). Il est d'ores et déjà bankable et MIB ne sera qu'une façon de plus de s'affirmer comme le nouveau Eddie Murphy. Des années plus tard, on peut d'ailleurs trouver une interview (pour le Times) dans laquelle il explique qu'à l'époque il s'était fixé comme but d'être « the biggest movie star in the world » et les plus grosses stars font les plus gros films. Même si aujourd'hui, on le connaît la diversité de son parcours (de Bad Boys à Pursuit of Happyness en passant par I Am Legend ou Ali) et son talent d'interprétation, il considère cette période comme la période des films sans réflexion : « I looked at [my] top 10 movies of all time. At that point, they were all special-effects movies. So Independence Day, no-brainer. Men in Black, no-brainer. I, Robot, no-brainer. ».

Les années 1990, c'est le démarrage en fanfare de la carrière de Will Smith, le mec qui a décidé d'arrêté de vieillir il y a 15 ans.

Ceci étant dit, Will Smith apporte quelque chose au rôle que n'avait pas par exemple Mel Gibson dans le même genre au moment de Leathal Weapon ou que n'aurait certainement pas apporté Chris O'Donnell, c'est le côté cool et hip-hop du personnage. Évidemment le fait qu'il soit noir et que son personnage joue sur la plupart des clichés du flic black cool de l'époque n'y est pas étranger. Ceci étant dit, il fait plus que bien et ajoutera d'ailleurs à la partition de Danny Elfman, décidément toujours dans les bons coups, le titre phare de la bande originale du film. Cela paraît facile à dire aujourd'hui, mais je pense sincèrement que Men In Black n'aurait pas eu l'impact qu'il a eu si ça n'avait pas été Will Smith dans le rôle de J.

Pour le reste du casting, on retiendra bien évidemment l'excellent Tommy Lee Jones en rachitique K qui forme avec Will Smith une pair incroyable. Mention spéciale également à Vincent D'Onofrio (New York - Section Criminelle) qui assure aussi le rôle du méchant bien dégueulasse qui pourri à vue d'œil pendant tout le film. Côté équipe technique, j'ai déjà mentionné Danny Elfman, mais je voudrais surtout mettre en avant Thomas Duffield, un autre proche de Tim Burton, ici directeur artistique. Il a bossé auparavant sur Batman Returns ou Edward Scissorhands ; bref encore une excellente pioche.

 

 

J'ai été long et dans le détail, mais il me fallait au moins ça pour exprimer pourquoi je vois en Men In Black plus qu'un simple « no-brainer » comme Will Smith le qualifierait aujourd'hui. Men In Black, c'est l'un des derniers films fait avec un esprit 80's qu'on ne retrouvera plus après, à part dans de rares productions comme Super 8 (2011), mais qui est passé par une transition d'univers culturel populaire. C'est le film définissant de ce qui était cool et grâce à son design ingénieux (le mélange du présent et du côté futuriste), à sa réalisation qui se sauve d'un éventuel vieillissement en mélangeant les techniques (animatroniques et numérique) et à son casting de pointures, il garde 16 ans plus tard la même saveur. À titre personnel, je le range à côté des Back to the Future, E.T ou Jurassic Park. Pas juste parce que c'est un film que j'ai découvert gamin, mais parce que plus de 15 ans après, je me suis rendu compte qu'il est toujours aussi excellent...et toujours aussi cool. Les Men In Black, c'est les nouveaux Ghostbusters.