Yop,

 

Petite chronique autour de Metal Gear Phantom Pain, qui peine à me convaincre totalement. Les univers ouverts ont toujours autant de mal à trouver grâce, chez moi, et je dois dire que le choix de Kojima d'implanter des missions sans impact réel sur le scénario me destabilise fortement, a fortiori sur une licence réputée justement pour la place prépondérante que prend généralement son intrigue dans l'expérience de jeu.

 

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Ambiance de fin de règne à tous les étages pour le très attendu dernier volet de la franchise Metal Gear, Phantom Pain. Dans un contexte de divorce avec ses employeurs, le père de la saga Hideo Kojima éclaire les dernières zones d'obscurité de son épopée culte avec, comme toujours, un talent consommé pour raconter les grandes histoires. Ainsi qu'un goût pour la prise de risque qui, une fois n'est pas coutume, n'a pas totalement payé.

 

Le prologue Ground Zeroes, sorti sur PS4 et Xbox One l'an dernier, avait annoncé la couleur : place désormais aux environnements ouverts et à l'infiltration en toute liberté pour Metal Gear V, dernier rejeton d'une saga qui accompagne les joueurs depuis les premiers temps de l'histoire des jeux vidéo. Une vraie petite révolution pour la franchise, qui avait jusqu'ici construit son succès sur les espaces clairement délimités et les impératifs d'infiltration millimétrés : désormais, la zone de jeu n'est plus que vastes environnements au fil desquels le joueur a tout loisir de s'étaler. Charge à « Big Boss » de prendre la mesure du défi qui lui est proposé.

 

Quartier libre

 

Phantom Pain est la suite directe des événements de Ground Zeroes, dont la fin avait été marquée par l'explosion de l'hélicoptère transportant le héros. Nous sommes désormais en 1984, et Snake sort d'un coma de neuf longues années pour découvrir que ses ennemis ont laissé derrière eux un champ de ruines. La mother base est détruite, les alliés du soldat parfait ont été éliminés. L'heure est donc à la vengeance et au retour de « Big Boss » sur le devant de la scène. Mais pour retrouver sa place, le personnage central de la saga doit consentir un véritable travail de fourmi afin de recruter de nouveaux subalternes, reconstruire peu à peu sa base, en développer les capacités logistiques et donc d'appui via le largage d'armes diverses et variées en cours de mission.

 

 

La grande force de ce concept, qui amène le joueur de l'Afghanistan à l'Afrique du Sud, tient à la diversité des gameplays qu'il autorise. C'est bien simple, Snake peut à peu près tout tenter pour accomplir ses missions. Privilégier l'infiltration en échappant à des soldats dont l'IA est vite plus subtile que ce que l'on croit, opter pour l'élimination silencieuse, au corps à corps ou à distance, ou même préférer l'option frontale : profitant du potentiel induit par les environnements ouverts, la Kojima Team reprend à son compte le concept de la jouabilité bac à sable, privilégiant la diversité des approches à la réussite d'une opération selon des process clairement imposés. Dans des maps souvent très grandes, joliment modélisées et tenant le choc d'une animation à 60 images par seconde, le logiciel est irréprochable sur cet aspect, au point que le joueur ne peut que s'enthousiasmer d'en découvrir, des heures durant, les multiples subtilités. Le lock d'ennemis avec les jumelles, à distance, est notamment particulièrement abouti, rendant l'accessoire pour une fois réellement indispensable ; et force est de constater que le Snake n'a jamais été si agile, et donc facile à manier.

 

Phantom Pain se déguste au fil de missions où il s'agit la plupart du temps de secourir des personnes kidnappées, de récupérer des papiers confidentiels, d'éliminer des cibles définies au préalable. Souvent, ces objectifs sont déclinés sur plusieurs zones de la carte, offrant encore au titre d'autres horizons, à savoir ceux de l'exploration. A cheval ou en véhicule, à pied si l'envie lui pren, Snake a tout loisir d'arpenter les zones de jeu et d'en chercher les petits secrets. L'occasion de comprendre l'étendue du terrain de jeu mis à disposition du joueur, et surtout d'oeuvrer au développement de la mother base en collectant les artefacts nécessaires à son fonctionnement (animaux, végétaux, éléments mécaniques ou énergie...). Car là est bel et bien le principal moteur du gameplay : à l'image d'un Assassin's Creed, la mother base est un véritable jeu dans le jeu, justifiant l'inlassable crafting de matières premières et de ressources humaines. Une approche qui va avec ses avantages et ses inconvénients ; elle justifie d'ailleurs bon nombre des errements narratifs dont il faudra s'accommoder au fil de cet opus parfois frustrant.

 

Peur du vide

 

 

Car si le joueur se plonge d'abord avec délectation dans les multiples finesses du gameplay, il en vient aussi, peu à peu, à interroger les limites du titre. Elles tiennent, pour beaucoup et de manière plus criante dans la première partie de l'aventure, à la narration. Outre imposer bien souvent de longs moments de solitude -les environnements sont assez vides - bon nombre de missions, assez vite répétitives dans leur construction, sont sans lien direct avec le scénario, si ce n'est qu'elles permettent ici et là de récupérer des cassettes audio donnant quelques informations sur l'intrigue. Les cinématiques se font également plus rares, ainsi que les moments clés permettant à l'histoire de réellement progresser. Il en résulte une désagréable sensation de dilution de l'intrigue. Il faut certes sans doute y voir la volonté de Kojima d'atténuer la structure narrative de son œuvre – à l'inverse d'un MGS IV qui en avait presque trop fait en la matière – au profit d'un univers qui se suffirait presque à lui-même, expliquant au passage la présence d'un multijoueur compétitif (MGS Online, dispo en théorie le 6 octobre) dans l'expérience de jeu. Il n'en reste pas moins que Metal Gear V en vient rapidement à manquer d'un véritable fil d'Ariane, privant par là-même le joueur d'une forte motivation à aller plus avant dans l'aventure.

 

En fait, tout sonne ici comme si Kojima cherchait à interroger les fondements mêmes de la franchise qu'il a bâtie au fil des années. Amener le vide, le silence, l'inaction, propices à l'introspection, au cœur d'un univers qui brillait jusqu'alors par son sens de la tension. Oser découper à l'excès l'expérience, par d'envahissants crédits, là où les précédents opus brillaient par leur fluidité. C'est d'ailleurs peut-être même ce qui explique cette drôle de sensation de contresens ludique que peut provoquer Phantom Pain chez les fans de la première heure. Là où les opus canoniques de la saga se faisaient fort de placer le joueur face à un challenge précis à surmonter, sans échappatoire, le dernier opus de la franchise invite en effet paradoxalement à l'évitement, à la recherche de solutions invitant à contourner la difficulté plutôt qu'à la surpasser. Une philosophie qui tranche radicalement avec ce que l'on connaissait de Metal Gear, et avec laquelle certains auront du mal à composer. Ceux-là vivront MGS V comme un rendez-vous (un peu) raté avec ce qui restera, il faut malgré tout le concéder, l'un des grands jeux de l'année. Peut-être aussi l'un des plus surestimés...