On voulait y croire, c'était écrit en larges caractères blancs sur le poster.

On voulait y croire, on a essayé, de toutes nos forces, seulement on ne le pouvait plus.

On n'avait plus la foi.

14 ans.

C'est le temps qu'il a fallu pour qu'on nous l'arrache, qu'on nous en prive à notre insu, un peu plus à chaque mois qui passe.

Ce n'est pas tant la saison 10 de X-Files, qui est un échec.

C'est l'univers qui nous a filé entre les doigts.

Carter a fait ce qu'il pouvait mais c'était peine perdue : X-Files ne pouvait pas revenir.

X-Files n'est plus de ce monde.

X-Files ne pouvait exister qu'au sein d'un espace-temps aux frontières du réel. Un espace-temps écartelé entre science et superstition, fantasme et clairvoyance.

Un espace-temps qui n'est plus le nôtre.

 

Un aboutissement, dirons-nous - avec enthousiasme pour certains, amertume pour d'autres.

Car pour commencer, nous avons tué nos fées, nos faunes, les dieux païens qui se cachaient dans la mousse, sous les pierres, dans les ronds des rochers sur l'eau. En grandissant, nous leur avons tourné le dos et nous avons cessé de croire en eux au nom d'un Dieu unique qui n'a rien amené de mieux, sinon plus de conflits, de tension et d'obscurantisme. Puis nous l'avons tué à son tour, au nom d'un autre Dieu, plus accessible, que nous avons appelé la Science, et qui nous a moins apporté qu'il ne nous a enlevé. Froidement, méthodiquement, atome après atome, nous avons désenchanté le monde, nous l'avons disséqué, nous lui avons enlevé ses vertiges et angoisses existentielles.

 

X-Files, à l'opposé, est née d'un besoin collectif de maintenir un équilibre entre cœur et raison, de garder l'inconnu à portée de chimère. Elle s'est emparée des derniers farfadets, des derniers succubes, des derniers anges et nous a commandé d'y croire encore, sous d'autres noms, d'autres formes, d'autres traits – plus modernes, plus tangible, plus actuels.

C'était sa force et mieux que sa force, sa magie : souffler sur ses braises faiblissantes avant qu'elles ne s'éteignent.

 

On ne pouvait plus croire aux lutins, on était trop savants pour ça, mais il nous restait les petits hommes verts, ou bleus, ou gris, ou cachés dans l'ombre d'un escalator. Que les loups garous soient malades, ou mutants, ou hybrides, ils couraient tous de la même foulée sous le vent, si bien que nous ne perdions rien au change. Nous vivions nos croyances différemment.

Et nous nous étonnons du fiasco de ce revival ?

 

Pendant 14 ans, nous avons oublié de regarder le ciel - non pas pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il devrait représenter.

 

Comment une série de six épisodes aurait-elle capable de lutter ?

 

Que lui reste-t-il, au-delà, maintenant que nous ne savons plus - ni ne voulons plus - croire, à une époque où tout est confronté, contesté, tourné en dérision ? Une époque d'ignorance éclairée où l'homme n'en sait pas plus, ou si peu, mais se repose sur la conviction que quelqu'un d'autre, quelque part, sait à sa place. Une ère de scepticisme qui a levé le voile sur nos plus belles énigmes. Plus de Triangle des Bermudes, plus de monstre du Loch Ness, plus de Marie-Céleste, plus d'OVNI dans le contre-jour. Les Krakens ne sont plus des calamars plus gros que la moyenne. Rien de bien romanesque.

 

En 1993, un lac qui se vidait en quelques heures aurait enflammé les esprits.

Des roches qui se déplacent dans le désert auraient inspiré mille intrigues d'une belle invraisemblance.

Aujourd'hui, c'est à peine s'ils suscitent un haussement d'épaule indifférent.

Car ça s'explique, on le sait bien. Si ce n'est ce soir, ce sera demain. Or le moment venu, on n'aura pas envie d'être de ceux qu'on raillera pour leur imagination trop fertile.

 

Que leur reste-t-il, à Mulder et Scully, dans notre quotidien 2.0 ?

Quelques os à ronger, quelques hoax à dépoussiérer, quelques allumés du bocal avec des pots de yaourt sur la tête...

 

Au-delà, et c'est la vraie question que pose cette saison X, sans le vouloir : que nous reste-t-il à nous ? Pour rêver, nous projeter, nous remettre en question ? A quels nouveaux dieux avons-nous sacrifiés les anciens, et pour quels bénéfices ?

 

 

Si cette saison X est si creuse, au fond, n'est-ce pas à cause de la réalité dans laquelle, par principe, elle est obligée de s'ancrer ?

En 2016, quels secrets peuvent encore faire vibrer les foules, sans que celles-ci vous rient au nez ?

En quels monstres peuvent croire ceux qui ne croient plus en rien ?

Ceux qui ne jurent que par le scepticisme ?

Dans quelles constructions fantasmatiques puiser, désormais, pour brouiller les frontières ?

De plates histoires de conspirations pharmaceutiques, des fables prométhéennes sur les manipulations génétiques, quelques questions timides sur les états de conscience altérés, quelques réflexions symboliques sur les légendes urbaines, et puis quoi ?

La série n'est pas dupe. L'épisode 3 (remarquable) dresse un constat entre amertume et renoncement : à part ces conspirations déjà vues, banales à en pleurer, il ne nous reste rien - et c'est beaucoup trop peu pour asseoir un mythe, si télévisuel qu'il fût.

 

L'échec de la saison X d'X Files, c'est celui du monde dans son entier.

Une veillée funèbre au rabais pour ce besoin de merveilleux, cette curiosité enfantine qui nous a jadis poussé à donner le meilleur de nous-mêmes, pour aller voir au-delà des colline, de la mer et du ciel. Cette course après nos ombres qui nous aura conduit en pleine lumière. Tout ça pour qu'au final, nous ne fassions que nous regarder le nombril.

 

Chaque épisode se débat comme il peut, avec une embarrassante maladresse, partagé entre ses hautes ambitions et ses moyens réduits, sans conviction, conscient de n'être pas à sa place, d'avoir perdu la guerre, de se battre pour l'honneur. Mulder n'y croit plus, parce qu'il n'y a plus rien à croire. Plus de voiles à soulever. Il se raccroche désespérément à ses fantômes d'hier, mais tout ce qu'il attrape, ce sont des coups de froid et des courants d'air.

 

Aujourd'hui, Dieu, c'est nous.

La Vérité n'est plus Ailleurs.

Elle est partout.

Sur Twitter, sur Facebook, sur Hoaxbuster.com.

Ou du moins le croit-on, si bien que c'est tout comme.

 

A trop se faire sceptique, trop se prendre pour un grand, l'homme a oublié que chaque jour, à compter du moment où il ouvre les paupières jusqu'à l'heure où il ferme les yeux - jusque dans les moindres intervalles -, il se trouve confronté mille énigmes, mille phénomènes inexpliqués, mille affaires non classées... et plus il croit savoir, plus il oublie qu'il ne sait rien. Ni sur la nature véritable de sa réalité, ni sur la vie qui l'anime, ni sur la matière, ni sur le temps, ni sur cet ADN dont il est tributaire. Qu'importe. Tout ce qui compte, pour lui, c'est gagner plus de sous et passer l'été sur la Côte d'Azur.

 

Oui, nous sommes devenus nos propres dieux, mais nous ne sommes pas moins factices que les anciens.

 

Chacune de nos journées, nous la vivons aux frontières du réel, et pourtant nous nous enfermons dans une illusion de rationalisme qui n'est que déni et prétention mal placée.

Et l'on s'étonne que Scully n'y croie plus ? Que Mulder peine à s'emballer ?

Désormais, ils n'ont pas plus leur place ici que Merlin l'Enchanteur.

On ne les acceptera que Disney-isés, bit-littérarisés.

 

L'échec de la saison X n'est pas seulement un rendez-vous manqué, une erreur de casting, un caprice de producteur, un soubresaut de nostalgie. C'est cela et bien plus encore. C'est petit, si petit, et grandiose à la fois. La démonstration implacable de notre déchéance, notre appauvrissement intellectuel.

Ce n'est pas digne de la série originelle. Et en ce sens, c'en est la parfaite continuation.

Plus que jamais, entre ses lignes, cette saison X nous rappelle l'essentiel.

 

Que la Vérité est ailleurs.