On cite souvent, dans le trio des grands créateurs français, les représentants ultimes de la french touch dans le jeu vidéo, Michel Ancel. Le créateur de Rayman et de Beyond Good and Evil mérite que l'on jette un regard critique sur son œuvre afin de voir si cette dernière possède cette touche française qui manque cruellement aux auteurs précédemment sondés : Frédérick Raynal, Eric Chahi et David Cage.

 

 

 

 

 

 

 

 

Rayman

 

Première œuvre de Michel Ancel, Rayman demeure encore aujourd'hui fortement associé à son créateur. Personnage sans membres, qui proviendrait d'un vieux dessin retrouvé tardivement selon des sources, ou, autre version, simple conséquence d'une animation qui se voulait la plus fluide possible. Peu importe au fond de telles anecdotes pour notre dossier consacré à la french touch.

 

L'humour distillé dans le premier opus renvoie à une tradition du cartoon à l'américaine, dans la veine d'un Tex Avery. On est loin d'un Jean Image, auteur de dessins animés français beaucoup plus sages. Les disproportions du corps de certains personnages (le gros nez de Rayman, les gros yeux des moustiques tueurs...), le comportement loufoque de Rayman posant derrière un panneau et se faisant prendre en photo ou Rayman tirant sa bouche et la déformant comme le loup de Tex Avery justement, Rayman surfant sur une poêle à frire sont autant d'éléments rapprochant plus la première œuvre de Michel Ancel des productions américaines que françaises.

 


 

De même, l'esthétique globale du jeu oscille entre le cartoon américain et une inspiration européenne mais pas spécifiquement française. Ainsi, dans les premiers niveaux, le joueur découvre une jungle luxuriante. Le découpage étrange, la forme bizarroïde de la végétation constituent un lien avec le dessin animé américain. L'esthétique des personnages, et non plus des décors, renvoie elle souvent à un imaginaire européen. On croise ainsi une sorte de colon britannique dans les premiers niveaux, une fée comme échappée d'un conte pour enfants, etc.

 

Les autres stages ne sont pas plus identitairement français que ce début d'aventure. On parcourra une plage, un univers musical évoquant, pour l'aspect sonore, la tradition du free jazz, donc tradition américaine.

 

Rayman premier du nom n'est pas dans son esthétique, sa musique, son univers, son histoire un exemple d'un jeu français dans son aspiration. Au-delà des lieux communs des contes populaires, les rares références proviennent vaguement d'un folklore européen ou de cultures et sous-cultures américaines.

 


 

Tonic Trouble

 

Le jeu Tonic Trouble nous présente Ed, un extraterrestre maladroit. En faisant le ménage, ce dernier tombant sur une canette se met à la boire. Ne digérant pas le contenu, notre héros le recrache et laisse tomber de son vaisseau le breuvage sur Terre. Malheur, la boisson échouant sur nos vertes contrées provoquera une catastrophe. Les animaux, d'abord paisibles, comme les moutons se transforment en monstres féroces. Le barbare Grögh lui deviendra un véritable génie du Mal.

 


 

Là encore, le scénario du jeu ne nous apporte pas grand-chose, un classique affrontement du Bien et du Mal. C'est l'humour du soft qui a de la valeur pour notre étude. Proche de celle de Rayman, on retrouve là encore cet absurde propre aux productions américaines. L'esthétique des personnages est également assez significative. Ed, le héros, est extrêmement proche de Rayman, ce dernier n'a pas de membres non plus. Les remarques rédigées plus haut sur le héros à la houppette blonde sont toujours valables ici. Seul le méchant, Grögh, fait preuve d'une référence précise à une culture nationale. Ce dernier est l'archétype du viking avec son casque à cornes. Une référence aux pays nordiques et non à un folklore, vestimentaire, français.

 

L'univers dans lequel baigne le jeu est lui aussi fortement marqué par le cartoon américain. Le joueur retrouve des troncs complètement tordus, des décors découpés à la serpe renvoyant à cette tradition de la torsion drolatique. Assez proche du second Rayman (même moteur, le personnage du général expliquant le jeu est issu de l'univers de Rayman...), étudié ci-dessous, on retrouvera logiquement des remarques identiques pour certains points.

 


 

Rayman 2

 

Avec Rayman 2, Michel Ancel fait passer son personnage fétiche à la 3D. L'histoire de ce second opus reste dans le ton du premier. On trouve des robots-pirates qui viennent de l'espace et veulent conquérir le monde, réduire en esclavage la population terrienne. Il n'est pas question de Grögh comme dans Tonic Trouble mais de Barbe Tranchante. Ce dernier est une inspiration, déformée (le coup de la déformation du cartoon américain, encore et toujours), de Barbe Noir. La référence à L'Ile aux trésors de Robert Louis Stevenson est évidente. Une référence à la littérature de genre américaine donc puisque l'écrivain s'inspire de cette vraie légende des mers. Une légende qui fait partie du folklore, là encore, américain et non français.

 


 

L'esthétique des personnages, comme les environnements, sont proches de Tonic Trouble et dans le même esprit que le premier opus. Les remarques précédentes, génériques, sont donc encore applicables pour cette suite. Pas plus de french touch ici que là-bas.

 

Beyond Good and Evil

 

L'univers futuriste de Beyond Good and Evil est également non marqué identitairement parlant. Ce dernier ressemble à tant de dessins animés européano-américains dans lesquels pullulent des voitures volantes, des portes automatiques, des lasers, bref des lieux communs propres à une sous-culture...les seules touches culturelles ne renvoient pas à une identité française. C'est le cas des garagistes rasta qui constituent des stéréotypes des jamaïcains amateurs de reggae.

 

Si l'on devait creuser du côté de la, ou des, sous-cultures dont Ancel s'inspire il faudrait voir du côté des pulps américains, des comics vendus sous forme de quelques feuillets. L'histoire se déroule en 2435 sur planète Hillys du système 4. L'univers développé dans le jeu est similaire sur bien des points à cette science fiction très codée jouant sur le lointain et le « futur technologiquement très avancée ». Une imagination débridée plus qu'une vraie réflexion du style anticipation/critique politique d'un George Orwell.

 


 

La dictature à laquelle le joueur se confronte est un stéréotype d'une dictature vue à travers les yeux d'un dessin animé ou d'une production jeunesse. Il n'est pas évident de localiser précisément la source réelle de cette inspiration. Le nazisme ? Pas vraiment. On retrouve, encore et toujours, des lieux communs visibles dans des productions européennes ou américaines mais pas spécifiques à tel ou tel pays.

 

Les personnages incarnés ne sont pas plus français dans leur esprit, leur être. L'anecdote veut que Jade, la reporter, soit modelée sur l'image d'Emma de Caunes, actrice française, mais le lien avec la France s'arrête là. Si ce n'est Pey'J, le cochon mécano qui accompagne la jeune femme. Ce cochon rose est le même que le cochon de nos prairies. Un cochon qui n'a rien à voir avec les porcins chinois par exemple. Le cochon a eu une importance capitale dans le développement de l'économie française, dans notre art culinaire...mais rien ne dit que Ancel ait utilisé ce personnage pour rendre hommage à ce passé.

 


 

Pour en revenir à Jade, on découvre rapidement qu'elle manie un art martial : le daï-jo. Là encore, Michel Ancel va chercher du côté de l'Asie pour peaufiner son personnage. A aucun moment, il ne regarde du côté des traditions martiales françaises comme la savate ou la canne. Jade n'est française que de visage d'une certaine manière.

 

En revanche, petit retour au personnage de Pey'j, notre mécano, dans sa VF, est résolument Français dans son langage. Il parle un argot qui fait penser à ce parler des faubourgs, mélange d'expressions traditionnelles et du langage des rues comme le maniaient les poulbots de Paris. « Ça me rappelle la morue au kiwi et au chocolat de ma tante Hortense. » ou encore « De dioux, faut vraiment tout faire tout seul dans c'te baraque ! ». Néanmoins, le lien avec la France est là aussi limité puisque la nourriture préféré de notre cochon est le chili con carne ou les fajitas. Bref de la cuisine tex-mex (cuisine du Texas, influencée par le Mexique).

 


 

Rayman M

 

Rayman M est un jeu de course se basant sur l'univers de Rayman. Le joueur retrouve des lieux propres à la licence, toujours aussi peu porteurs d'une identité française. Les endroits parcourus constituent une fois encore des lieux communs. Le joueur découvre une grotte, des volcans, des mondes désolés avec des monuments en pierre...Pas la peine de plus s'épancher dessus.

 


 

King Kong

 

King Kong est une œuvre de commande, certes soignée mais qui ne reprend que les éléments du film et soumis à un cahier des charges dont Ancel n'avait qu'à s'y soumettre. Le jeu n'est pas propice à une étude sur la french touch, le long métrage dont le soft s'inspire étant américain.

 


 

Conclusion

 

C'est ici que se termine cette partie consacrée à Michel Ancel. Après King Kong, il y eut certes les lapins crétins mais le créateur français n'est crédité que comme co-designer des personnages et non comme créateur. Or, seules les créations pleines et entières, ou du moins pour une grande part, émanant de son imagination méritent notre attention. Le prochain Rayman semble être à nouveau un vrai jeu d'auteur, pas encore sorti il est donc impossible à l'heure actuelle de l'interroger. Les dernières images et vidéos semblent néanmoins nous montrer que ce dernier opus des aventures du héros à la houppette s'inscrit dans la droite ligne des précédents épisodes pour ce qui nous concerne.

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=118:reflexions-french-touch-label-ou-realite--partie-4-&catid=35:reflexions&Itemid=29