Beyond: Two Souls est l'expression d'une vision particulière du jeu-vidéo. La vision de son créateur, David Cage et de son studio Quantic Dream. L'objectif : faire naitre de l'union entre cinéma et jeu-vidéo, un film interactif où les actions du joueur influent directement sur le déroulement de l'histoire. Une vision ambitieuse donc, louable et même séduisante pour quiconque adhère au concept.

Quantic Dream n'en est pas à son premier essai. Le studio français est même parvenu à se faire une jolie petite place au soleil des développeurs "bancable" du moment après seulement trois titres : le plutôt très bon Nomad Soul (1999), le plutôt très moyen Fahrenheit (2005) et le plutôt très controversé (et raté de mon point de vue) Heavy Rain (2010).
C'est donc en toute logique que les regards se portent aujourd'hui vers le petit dernier de la famille, qui cristallise en quelque sorte les attentes de chacun : adorateur, détracteur ou simple curieux, le jeu aura au moins le mérite de n'avoir laissé personne indifférent. 

To begin with ...

Beyond : Two Souls (B2S) débute dans un petit commissariat de campagne, le genre Made in USA avec donuts et Café sur le bureau en prime. Le shérif vient de recueillir une étrange jeune fille prénommée Jodie. Alors qu'il tente d'en savoir un peu plus sur cette dernière, une brigade d'intervention du SWAT se prépare à assaillir le commissariat... Jodie serait-elle une menace ?

Ce sympathique Shérif semble en tout cas quelque peu emmerdé par la situation. Pour commencer, il est persuadé d'avoir déjà vu la tronche de Jodie quelque part. Elle lui rappelle vaguement un film étiqueté Indé (mais non en fait), initiateur de toute une pléthore de films étiquetés Indés (mais non en fait), lesquels ont permis à toute une génération de réalisateurs hipsters de comprendre qu'il était possible de faire du cinéma en recyclant les thèmes foireux de leurs albums de pop préférés (A noter que la réciproque fonctionne d'ailleurs tout aussi bien à en juger la BO des films en question).
Cela expliquerait en tout cas le traumatisme que semble avoir subi Jodie, sa descente progressive vers l'enfer de la drogue et surtout le fait que tout un commando des forces spéciales armé jusqu'aux dents ait l'air bien décidé à lui péter la gueule. Mais bon, là il faut avouer que notre Shérif digresse quelque peu...
D'autant plus qu'il se trompe doublement le bougre : Déjà il ne s'agit pas d'Ellen Page qui, rappelons-le, a eu l'excellente idée de préférer incarner Ellie dans The Last Of Us (kss kss kss...) et surtout, l'histoire de Jodie est un poil plus profonde et subtile que ça.
Elle le prouvera d'ailleurs quelques secondes plus tard. Sentant la menace se manifester autour d'elle, Jodie va libérer un mystérieux pouvoir et décimer à elle seule tout le commando de mercenaires avant de prendre la fuite, ne laissant comme seul survivant que ce bon vieux Shérif. Ce dernier conclura alors qu'il ne s'agit définitivement pas d'Ellen Page.

Voilà pour le commencement de l'histoire et nous conclurons cette première partie sur une citation de David Cage himself (à propos d'Heavy Rain, vous savez le jeu où l'on traque un tueur en série kidnappeur d'enfants) : « Pour moi, Gamekult et d'autres sont passés à côté de ce qu'on a essayé de faire. Et ce n'est pas grave ! Mais pour une certaine frange de la presse et des joueurs, ce n'est pas vraiment un jeu-vidéo. On en revient à ça. "Un jeu-vidéo ça ne doit pas être ça", "Un jeu-vidéo ça doit être de la violence, ça doit être un flingue, ça doit être tuer des gens", et s'ils n'ont pas cela, alors ils n'ont pas de jeu».

Bref, après ce petit prologue, tous ces impies seront donc rassurés...


Chef du SWAT : « Bon les gars, voilà où on en est arrivé et
c'est quand même un peu la faute de Joddie! Vous savez ce qu'il vous reste à faire... »

 

Beyond: Good ...

Rentrons maintenant dans le vif du sujet en abordant pour commencer les points positifs du jeu.
Si je me suis montré mauvaise langue dans le chapitre précédent, il n'empêche que le début du jeu est quand même plutôt convaincant.
Tout d'abord, si le choix d'une narration "décousue" ne surprend pas puisqu'il s'agit d'un procédé inspiré directement du cinéma (21 grammes, Eternal Sunshine...), cela n'en reste pas moins novateur dans un jeu-vidéo (où l'on suit généralement un ordre chronologique ponctué de quelques flashbacks pour les besoins du scénario).
Dans B2S, chaque scène du jeu correspond à une période différente, le tout raconté dans un ordre qui semble aléatoire à première vue mais qui permet de distiller progressivement tous les éléments de l'intrigue. Le menu de chargement est d'ailleurs symbolisé par une timeline permettant de repérer chronologiquement où l'on se situe dans l'histoire - ce qui est plutôt bien foutu.
On apprend ainsi petit à petit à connaitre Jodie, de sa petite enfance à sa vie adulte, en étant témoins de tous les éléments marquants de son existence. Et des éléments marquants, il y en aura un paquet, tant la demoiselle semble être abonnée à la poisse. L'essentiel de ses malheurs découleront du fait que Jodie est liée à une mystérieuse entité du nom d'Aiden, une sorte d'esprit qui l'habite depuis sa naissance, officiant tantôt comme protecteur (comme dans le prologue), tantôt comme source d'ennui (Aiden étant parfois un peu joueur). Elle paiera en tout cas dès son plus jeune âge le prix de sa singularité, puisque ces petits désagréments vont rapidement susciter l'intérêt de la CIA et faire d'elle une sorte de rat de laboratoire dont on cherchera à exploiter (à plus ou moins bon escient) le pouvoir.

Voici donc pour les bases narratives de B2S, et tout comme Heavy Rain et sa traque du tueur aux Origami, on a très vite envie d'en savoir un peu plus sur cette histoire.

Enfin, on ne peut clore ce paragraphe sans évoquer la qualité de la mise en scène et de la réalisation qui apportent un plus indéniable : les personnages et leurs expressions sont sublimes, tout comme leurs animations. Cela prouve au moins que toute cette comm' autour de la motion capture des acteurs n'étaient absolument pas du pipeau, et c'est déjà un bon point quand on connait la tendance du Sieur David Cage à crier un peu trop tôt (et un peu à tort) au génie de ses productions.
Dans le même registre, saluons également la qualité du doublage (en VO) et des compositions musicales (même si c'est un peu facile quand on a de quoi s'offrir les services de Hans Zimmer)


... And Evil

Bon c'est donc bien joli tout ça... Sauf que ça ne va pas durer.

Allez, commençons par le Gameplay et soyons clair d'emblée : c'est de la merde.
Oui, nous savons tous que cela n'a jamais été le point fort des productions Quantic Dream, ni même le but recherché je pense et personnellement, j'étais prêt à être tolérant, mais il y a des limites.
Techniquement, il faut savoir que l'on incarne deux personnages dans Beyond Two Souls : Jodie bien entendu, mais aussi Aiden.
Les phases où l'on contrôle Jodie sont assez classiques et dans la lignée d'Heavy Rain. On y déplace (mollement) Jodie dans les environnements (très cloisonnés) et on doit (se faire chier à) appuyer sur quelques (rares) boutons pour effectuer tout un tas d'actions (inintéressantes). Bref, pas de surprise à ce niveau, là est la formule Quantic Dream depuis Fahrenheit.
Une légère nouveauté néanmoins dans les phases de "combat" : l'animation bascule alors en mode slow motion ton sépia et il faut "accompagner" les mouvements de Jodie à l'aide du stick analogique droit. Si le principe reste le même, à savoir du QTE pourri, cela a au moins le mérite d'être un peu plus léché qu'un popup avec le nom d'une touche qui s'affiche à l'écran.   

Par contre, là où cela pouvait (devait) devenir intéressant, c'était dans les phases de jeu prévues avec Aiden. On pouvait espérer que le fait d'incarner un esprit viendrait ouvrir de nouvelles perspectives de Gameplay ou du moins combler le manque de liberté des séquences évoquées précédemment. Il n'en est rien.
Déjà, la maniabilité d'Aiden est atroce. Absolument tous ses déplacements sont laborieux et la caméra "flottante" ne facilite pas la tâche (en plus d'avoir une fâcheuse tendance à coller la gerbe). Après, et bien on reste sur du point'n click hyper limité puisqu'Aiden ne peut interagir qu'avec un nombre très restreint d'objet (voire qu'un seul très souvent, comme ça au moins c'est vite réglé).
Mais le pire de tout, c'est l'absence totale de cohérence durant ces séquences. Car c'est bien beau sur le papier, Aiden peut faire pleins de truc cools du genre défoncer des portes, pirater des ordinateurs, ou durant les phases d'infiltration/action étouffer des ennemis et même (allez tant qu'à faire) en prendre possession pour les utiliser contre leur propre camp façon kamikaze...
SAUF qu'on ne choisit ABSOLUMENT JAMAIS les actions qu'Aiden peut effectuer. Absolument tout est scripté ! 
Exemple typique pendant les phases d'infiltration : Tel ennemi pourra (devra) être étouffé. Quelques mètres plus loin, un groupe de deux ennemis dont l'un pourra (devra) être manipulé afin d'attaquer son partenaire avant de se donner la mort. Et un peu plus loin dans le jeu, un autre groupe d'ennemi et cette fois on ne pourra (devra) rien faire du tout. Pour couronner le tout, Jodie, en reine des cruches, osera pester d'être contrainte de faire demi-tour pour trouver un autre chemin car la route est bloquée... Putain de c....

Imaginer des possibilités de Gameplay (qui plus est complexes et donc casse-gueules) c'est une chose, les intégrer dans le jeu c'en est une autre. Généralement, c'est mieux de faire en sorte que ce soit le cas pour avoir au final quelque chose d'un petit peu convivial, et/ou d'un petit peu cohérent dans l'ensemble, et/ou tout simplement d'un petit peu rigolo à jouer.
Mais à partir du moment où c'est le script qui prend le pas sur tout, quel est l'intérêt de coller une manette dans la main du spectateur ? Chercher à l'impliquer, à lui donner le sentiment d'être acteur ? C'est bien ça le postulat de départ non ?
Alors paradoxalement, Quantic Dream aurait limite dû niveler son gameplay par le bas et scripter encore d'avantage les évènements. Le jeu aurait dû se cantonner aux déplacements de Jodie d'un point A à un point B avec quelques phase de QTE par ci par là vu qu'ils ont visiblement refusé de penser un Gameplay qui ne soit pas complètement con en plus d'être ennuyeux à en crever. Ainsi, le joueur aurait certainement eu le sentiment d'être moins pris pour une loutreet aurait pu apprécier le scénario du jeu à sa juste valeur...

Attendez, merde, à moins que cela aussi ne soit tout pourri ?


Non mais sérieusement, c'est quoi cette idée de merde ?!


Hey! Wouldn't it be cool if?

Oublions purement et simplement le gameplay maintenant, voire même tout le versant jeu-vidéo du titre et concentrons-nous sur les aspects narratifs.
Pour rester dans la comparaison avec Heavy Rain, ce dernier avait le mérite de tenir le joueur en haleine suffisamment longtemps, en laissant planer le mystère quant à l'identité du tueur (quitte à ce que tout s'effondre une fois le twist scénaristique lâché pour faire place au dépit face aux trous béants laissés vacants dans l'histoire).
Dans B2S, les scènes se succèdent et le joueur décroche peu à peu, s'éloignant progressivement des enjeux de l'histoire  face aux trop nombreux défauts dans la narration.
La faute tout d'abord aux clichés en pagaille, preuve que Cage n'a décidemment rien appris depuis la dernière fois. Sérieusement, j'ai eu envie de hurler devant la scène de la boom d'anniversaire. Comment oser prétendre que B2S est un titre mature et intelligent après ça ?

Et que dire du casting, digne du plus mauvais des téléfilms (oui c'est devenu le reproche cliché contre le casting cliché, mais bon sang c'est tellement vrai) : Le père trop méchant auquel Jodie essaiera de trouver un substitut, le black trop cool, le mec trop beau, les clodos trop sympas...

Et toujours peu à peu, cette narration décousue - dont je me réjouissais un peu plus haut - apparait non plus comme un procédé narratif (fût-il maitrisé ou non) mais comme une excuse maladroite pour justifier un gros gloubi-boulga insipide de scènes qui s'enchainent et dont le seul mot d'ordre serait : "Hé les gars, est-ce que ce ne serait pas trop cool si on collait une scène de " Insérer au choix : (Spoil) Accouchement / Fuite d'un immeuble en feu / Exorcisme / Tentative de Viol / Entrainement militaire / Cuisine à la maison / Assassinat d'un dictateur ... "  dans notre jeu, même si cela n'apporte rien à l'intrigue".
Le personnage de Jodie en est d'ailleurs la parfaite illustration. Je veux bien que l'on suive une jeune fille sans repère tout au long de son enfance-post-adolescence, que c'est une période difficile où l'on se cherche blablabla... mais quand même, la nana change de style et de personnalité à chaque nouvelle scène... Donc c'est sûr qu'avec ça on peut tout se permettre.

Enfin pour ce qui est du scénario proprement dit, on reste également sur du très moyen. Si l'intrigue reste truffée d'incohérences et part légèrement en couille vers la fin (un personnage en particulier, dont le comportement laisse entrevoir la volonté des auteurs de précipiter l'intrigue vers une conclusion malgré le manque de matière jusqu'alors), l'harmonie globale reste malgré tout plus satisfaisante que celle d'un Heavy Rain. De là à s'en réjouir... 

Restera ce sentiment de retrouver toutes les ficelles (cordes) de David Cage, qui nous rejoue le couplet du bukkake émotionnel comme s'il s'agissait d'un baume aux plaies de ses créations... Perso, je trouve ça sale et je suis donc sorti de ce cercle de joie assez rapidement, décidé malgré tout à connaitre le fin mot de l'histoire mais sans vraiment y croire encore pour autant.

 


Cette scène défonce ! lol.


Beyond : Ex Machina

Pour finir, je n'ai pas vraiment parlé des répercussions que peuvent avoir chacune des actions que l'on effectue durant les scènes. Elles sont de deux types :
A court terme tout d'abord : le jeu étant dépourvu de système de Game Over, ne vous en faites pas si jamais vous êtes un vrai manche durant les phases de QTE, puisque cela n'aura pas vraiment d'incidence. Par exemple, durant une scène combat, vous vous prendrez juste une grosse branlée en direct à l'écran et Aiden (ou toute autre intervention divine) vous portera secours en ultime recours pour que le script puisse vous remettre tranquillement sur les rails de la narration. 
A plus long terme, certains choix peuvent néanmoins avoir un impact à la fois sur le dénouement de la scène en question et même sur d'autres scènes un peu plus tard dans l'histoire [2], voire même sur la fin du jeu (bien que l'on vous laissera choisir votre fin lors de l'épilogue)

Exemple - (Spoil) : Si vous décidez de faire le mur durant votre adolescence pour rejoindre vos amies dans un bar, malheur à vous car comme toute jeune fille désobéissante, vous serez immédiatement et sévèrement punie : vous vous retrouverez dans le bar le plus creepie de tous les Etats Unis, perdu en pleine campagne, là où les habitués ne picolent que pour avoir un prétexte en attendant que des jeunes filles ne s'égarent en ce lieu pour pouvoir les violer sauvagement (Oui oui...)... Jodie leur échappera avec l'aide d'Aiden, mais conservera quelques légères séquelles (tu m'étonnes) ... Si bien qu'elle refusera quelques années plus tard une petite partie de jambe en l'air avec Ryan.
Voilà, vous savez maintenant que j'ai raté la scène de cul et comprenez mieux pourquoi je suis vénère et crache sur le jeu depuis tout à l'heure

 


Et voici le système de combat de Beyond: Two Souls.
Pas d'inquiétude, un mode facile est disponible dans les options.


Conclusion: What!? You didn't tell me he was the president?!

Si comme je l'ai dit dans mon introduction, je crois sincèrement qu'il est possible de faire quelque chose d'intéressant avec ce concept (et le cas de The Walking Dead me conforte dans cette idée), la formule adoptée par B2S est loin d'être une réussite.
Le jeu se voulait être un hybride, il est un bâtard. Beyond n'est ni un bon jeu-vidéo ni un bon film. David De Gruttola n'a visiblement rien appris de ses erreurs avec Pluie Lourde, puisque le résultat est encore plus mauvais. La faute à un Gameplay qui, bien que paradoxalement sévèrement amputé de tout enjeu, réussit à créer des incohérences monstrueuses dans une histoire qui en possède déjà suffisamment. Au final, les seules émotions sincères que j'ai ressenties en jouant à B2S étaient un mélange d'ennui, d'agacement et de désintérêt.