Le 25 mars 2011 :

Cette semaine a été improductive au possible. Pas été en stage, pas travaillé, perte d'une bonne partie de l'après-midi dans la salle d'attente de mon médecin généraliste pour cause d'ordonnance perdue...
Je pars en retard et cinq trains me passent sous le nez car ils ne s'arrêtent pas à Bry-sur-Marne. Bref, cette soirée ne pouvait mieux commencer.

19h15 : J'arrive au poste de soin. Je dis bonjour à tout le monde et je m'installe dans mon coin.
Le chef de garde me voit et me rappelle que le début des gardes est à 18h. Bon, rien à dire, je mérite de me faire taper sur les doigts. Il ne me le reprochera pas plus.
Il a l'air un peu plus austère que les autres chefs avec qui j'étais de garde ici, mais sympathique tout de même.

19h33 : Lui disant être au fait du fonctionnement des urgences, il m'envoie au feu sans plus tarder. Je dois interroger un homme d'une cinquantaine d'année qui s'est fait agresser à son domicile par un cambrioleur, passé par le balcon (alors qu'il vit au quatrième étage !). Il a le bras légèrement ecchymotique mais rien de trop visible. La police l'a poussé à venir, sans doute pour épaissir les charges contre le suspect qu'ils ont arrêté.
Rien de grave sur le plan clinique, mais de lourds antécédents : diabète de type II, valvulopathie apparemment due au Médiator (il a été contacté par Servier pour un règlement à l'amiable qu'il a refusé), œdèmes des membres inférieurs qui lui donnent le statut d'invalide de type II...
Après peu de temps, sans doute pressé d'en finir, il partira.

19h45 : Arrivé d'une jolie fille qui s'est pris sa roue de vélo dans la cheville, en regard du tendon d'Achille. Il faut donc une radio et une exploration à la compresse et au porte-aiguille pour vérifier qu'il n'est pas touché.
Pas grand-chose à dire d'autre, sinon que je tombe amoureux. Erf...

20h27 : Sans transition, je dois suturer une patiente qui s'est auto-mutilé l'avant-bras avec un couteau. Elle m'a dit qu'elle se sentait bête ; je lui ai répondu qu'il ne fallait pas et que c'était une chance que ça lui arrive aujourd'hui et pas demain : son week-end est encore sauvable...
J'ai réussi à la faire rire. Moi et mes blagues foireuses, une autre histoire d'amour.
Sinon, quatre points, sans problèmes.

20h45 : Tout de suite après, je dois interroger une dame qui a chuté dans la rue sans raison apparente. Elle dit être resté consciente mais ne sait pas pourquoi elle est tombée. C'est confus...
Ses antécédents (ostéoporose, thyroïdectomie) ne me mettent sur aucune piste. L'infirmière ne les ayant pas prises, on me demande de prendre ses constantes : 37,5°C, 17/8 de tension. Hm... C'est élevé.
Cela poussera le sénior à l'envoyer faire une tomodensitométrie cérébrale pour en avoir le cœur net.

21h12 : La blessée à vélo me demande si elle peut voir rapidement ses proches qui l'attendent à l'accueil. Magnanime, je l'y mène. Le brancardier qui passait par là commence à me prendre la tête en me disant : « Moi, j'm'en fous, quand je vais l'emmener à la radio, je vais pas la chercher à l'accueil !!! ».
Il m'a tellement pris à froid que j'étais à deux doigts de le pourrir à mon tour. Mais je me suis promis de ne plus me prendre la tête avec le personnel jusqu'à la fin de l'année. Zen...

22h00 : Les pompiers nous apportent un livreur de chez Pizza Hut en mauvais état. Le pauvre malheureux est entré en collision avec une moto et a perdu connaissance entre le choc et le réveil par les pompiers. Malgré ses incisives complètement défoncées (les casques de scooter, c'est de la merde, on ne le dit pas assez), il a l'air en bonne forme et se permet même de glisser quelques plaisanteries. Je sens que ça ne va pas durer...
Je le mets de côté, je le reverrais tout à l'heure.

22h20 : Pendant ce temps, le sénior suture sa cheville de la cycliste. Ce qui me permet de voir la bague à son auriculaire gauche. Ah ! Mon cœur se brise ! Je ne m'en remettrai pas. Je pars pleurer dans ma chambre, une fois qu'elle est partie.

22h28 : Non, je plaisante, hein. Rien à faire des filles, haha ! Je dois continuer à sauver le monde.... En interrogeant et en prescrivant une radio à un ado qui s'est pris un coup dans le nez en se battant. *soupir*

22h49 : Je peux à présent interroger plus en profondeur le livreur de l'extrême. L'examen clinique ne révèle rien, à part un léger mal de tête. Une fois au fait, il me demande d'aller chercher sa fiancée. Je la trouve, puis je les laisse se parler.

23h28 : Le sénior annonce tout de go au couple qu'on va lui faire passer une TDM cérébrale. Je me sens obligé de passer derrière pour lui expliquer en quoi ça consiste pour éviter qu'il ne prenne (trop) peur. D'ailleurs, à en croire les larmes sur ses joues, la discussion en tête-à-tête lui a permis de lâcher un peu les vannes. On ne peut pas avoir un accident pareil et garder le sourire de bout en bout, ce n'est pas humain...
Le gamin bagarreur a bien le nez cassé : consultation en ORL dans les jours qui viennent et antalgiques.
Je m'occupe de la tonne de paperasse qui traîne et je vais manger ce qu'il y a d'infâme dans le frigo des internes.

00h19 : Retour de repas. La France a gagné, youhou ! Hm... On m'accueille avec un autre trauma du nez, mais plus original : un homme d'une vingtaine d'année s'est ouvert le nez lorsque sa barre de traction a cédé en plein exercice. Résultat : une bonne ouverture d'un centimètre sur l'arête du nez. Interrogatoire, puis un bon de radio des os propres du nez écrite.

01h10 : Une autre suture, au front cette fois. Encore à scooter. Un jeune imprudent de 18 ans qui s'est pris une barrière dans la tête, alors qu'il coupait par une place de marché. Mais il avait un casque, non ? Oui, mais il l'avait mis à moitié pour ne pas se décoiffer. Sans commentaire !!
L'ouverture n'est pas très grande (2 cm), mais profonde. : elle coupe toute l'épaisseur de sa peau.
Mais la seule préoccupation de monsieur, c'était d'aller en boîte le plus vite possible. Il s'est dit qu'il y avait un problème lorsque les gens le dévisageaient au Quick...
Lors de l'interrogatoire, je lui demande s'il a des antécédents notables. Il me répond qu'il est souvent venu parce qu'il se bat souvent.
Néanmoins, il m'a bien amusé avec son obsession d'aller se la donner sur la piste plus vite possible. Et il a eu assez de goût pour louer la qualité de ma suture, haha !
On lui déconseille de sortir, vu qu'il a subi un choc à la tête, mais je savais que c'était peine perdue.

Il m'a même laissé prendre une photo pour la postérité...

01h45 : Toujours pas passé à la radio, je m'occupe finalement du nez du malheureux sportif. Une de ses amies, infirmières ici, prend copieusement des photos pour alimenter son profil Facebook.
Pour plaisanter, en posant mon matériel sur la table, je lui ai dit : « Êtes-vous prêt à entrer dans un monde de souffrances ? ». Il a ri, mais ça n'a pas eu l'air de le rassurer.
Un point a suffi, mais j'ai dû réfléchir cent fois à l'endroit précis où le placer. Pas mécontent du résultat !

03h00 : Depuis, un peu de paperasse, beaucoup de rien. Je vais me coucher, en croisant les doigts.

05h35 : Bon, l'infirmière m'appelle. Une patiente en salle de suture. Je ne vous raconte pas le torrent de pensées négatives qui m'a traversé en m'habillant... Néanmoins, j'arrive à me lever et à me traîner tant bien que mal au poste de soin. Je lis le succinct compte rendu d'entrée : plaie du doigt. *soupir*
J'entre dans le box et je tombe sur une femme obèse en tenue de soirée, portant des bottes aussi larges que mes cuisses. Elle s'exprime dans un français minimal, à base de trois mots par phrase.
De ce que j'ai compris, elle s'est ouverte la base de l'index gauche en brisant un téléphone entre ses doigts lors d'une esclandre. Vu la largeur de ses doigts, je le conçois sans mal.
Je fais mon rapport via DECT au senior, et je m'affale sur le bureau en attendant le retour de la radio que j'ai demandée, non sans broyer un peu de noir.

06h24 : Ci-gît ma nuit de sommeil.
Deux patientes viennent d'arriver coup sur coup. La première est une mère de famille qui a eu un accident de voiture. Elle a la cheville gauche gonflée. Un des deux enfants est en pédiatrie avec un hématome important au niveau de l'arcade. Dès que j'ai terminé, elle demande à le rejoindre. Je prescris un bon de radio et je passe à la suivante.

06h37 : La deuxième patiente est une femme qui dit avoir reçu des coups de son mari alors qu'elle dormait. Malgré un examen minutieux des zones douloureuses, je ne trouve rien. Je sens que je vais appeler le sénior...

07h28 : Bon, ben pas la peine : il s'est présenté de lui-même pour accueillir un patient amené par les pompiers. Il avait le crâne et le visage couvert de sang, et hurlait comme un damné. Ça m'a un peu impressionné. En fait, le vieux monsieur avait chuté et s'est tapé contre un meuble durant le processus. Résultat : plaie de la partie pariétale du crâne et fracture du col du fémur droit.
Le senior m'ordonne de lui coller trois points de suture. Le problème est qu'il est allongé sur le dos. La marge de manœuvre est faible, encore plus si on ajoute les spasmes de douleur de sa hanche qui le lance toutes les vingt secondes.
Il m'a fallu pas mal de temps pour les faire, mais le travail est fait. Après ça, je lui bricole un pansement de fortune et je retourne dans la salle de soin guetter l'horloge.

07h41 : Plus de nouveau patient, la relève commence à se faire. Le sénior m'autorise à partir. Enfin ! A la boulangerie et au lit !