Il y a un an jour pour jour débarquait chez nous Uncharted 4 : A Thief’s End, opus final des aventures de Nathan Drake. Lequel nous lançait sur les traces du célèbre pirate Henry Avery et de son trésor perdu. Cette date anniversaire est aujourd’hui l’occasion de revenir sur la partition d’un autre Henry, et de voir s’il s’agit là aussi d’un petit trésor… ou alors d'une simple babiole. En mer, moussaillons, larguez les amarres et ouvrez grand vos écoutilles !

 

Un marin d’eau douce dans la musique de jeu vidéo.

De prime abord, le choix de changer de compositeur pour la célèbre saga de Naughty Dog a dû en surprendre plus d’un. En effet, jusqu’à présent c’était le même Greg Edmonson que l’on retrouvait aux manettes pour des bandes originales toujours plus intéressantes (de la sympathique partition de Drake’s Fortune à l’excellent et foisonnant score de Drake’s Deception). Certes on avait eu le Golden Abyss de Clint Bajakian sur PS Vita (une BO qui gagne vraiment à être écoutée, cela dit en passant), et encore ce dernier n’était pas un inconnu puisqu’il avait supervisé les musiques sur la trilogie et même participé à la composition de certaines pistes additionnelles.

Henry, un ami qui vous veut du bien ?

 

Pourtant, à l’approche de la sortie d’Uncharted 4, nous apprenions donc qu’Edmonson ne serait pas de la partie et que le studio californien avait décidé de convoquer Henry Jackman. Un choix qui allait faire un peu de bruits, notamment chez les compositeurs de musiques de jeu.

Ce choix était-il délibéré ou provenait-il en partie des remous qui ont secoué les Dogs autour du développement du jeu (avec en point d’orgue le départ d’Amy Hennig) ? Difficile à dire. Toujours est-il que Greg Edmonson reste alors à quai et c’est Jackman qui prend la mer et composera donc pour la première fois de sa carrière de la musique pour le jeu vidéo.

Dans le cinéma, Henry Jackman a le vent en poupe depuis les débuts des années 2010. Compositeur britannique qui vient de dépasser la quarantaine, il a fait ses armes chez Remote Control Productions, le studio de musiques de films fondé et dirigé par Hans Zimmer, avant de larguer les amarres (oui, je sais que j’abuse de la métaphore filée maritime). Il sympathise avec le producteur et réalisateur Matthew Vaughn pour lequel il va composer les musiques de Kick-Ass, X-men First Class ou encore Kingsman. Son travail sur X-men lui ouvre les portes du blockbuster AAA, notamment celles de Marvel / Disney (il officie sur Captain America : The Winter Soldier et Captain America : Civil War).

Autant dire qu’en débarquant sur le projet A Thief’s End, Jackman est bien implanté à Hollywood. Ce qui peut poser problème, c’est qu’il est considéré comme un bon artisan mais produisant généralement des musiques génériques, qui soutiennent bien les films mais n’accrochent pas spécialement l’oreille, à l’exception de quelques fulgurances (je vous renvoie ici à l’extrait ci-dessus).

C’est le parfait contraire d’Edmonson qui lui travaille énormément sur la matière sonore et les couleurs musicales. Ce changement d'orientation musicale semble pourtant voulu par Neil Druckmann, du moins est-il entériné.

 

À l’aBOrdage

Et cela se matérialise dès la première piste, A Thief’s End, qui sert de support au très joli générique du jeu. Si le classique Nate Theme est présent, il est ici subtilement réarrangé. Moins épique, plus posé, il annonce en partie ce que nos oreilles découvriront par la suite, à savoir une volonté narrative de creuser sous l’appel de l’aventure afin d’atteindre à l’intime de Drake. Et c’est d’ailleurs sur cet aspect là que Jackman va surprendre le plus dans cette bande originale qui se développe en trois grandes sections.

Évidemment, nous avons droit à des morceaux d’action pure et dure qui vont faire retentir les cuivres, jaillir les envolées de cordes et alligner de grosses percussions. On retrouve ici le Jackman très « blockbuster composer » ; avec plus ou moins de réussite. Cut to the Chase, Those Who Prove Worthy, Meet me in Paradise, Race to Libertalia ou encore No Escape passent très bien in game mais n'accrochent pas plus nos oreilles qu’un petit sloop marchand le regard d'un flibustier à la vigie.

Cas bien différent avec The Twelve Towers (et sa variation avec la piste New Devon) qui offre le meilleur moment de bravoure de la bande originale ; une furie épique plus qu’entraînante. Dans ces deux morceaux on retrouve à la fois la veine super-héros mais surtout certaines intonations qu’on pouvait entendre dans les bandes originales de la saga Pirates des Caraïbes. Ce qui n’est pas surprenant, sachant que Jackman a composé des musiques additionnelles pour ces films (période Remote Control).

Malgré ce très bon thème on peut encore penser que le compositeur anglais reste dans sa veine générique, sans grande profondeur ou âme. Sentiment qui s’atténue quelque peu lorsqu’on découvre les musiques d’ambiance du jeu.

Uncharted 4 : A Thief’s End, grâce à son système de monde semi-ouvert, fait part pour beaucoup à l’exploration et aux moments calmes. Chose que certains lui ont d’ailleurs reprochés (et, si je ne partage pas du tout cet avis, du moins je le conçois parfaitement). Toujours est-il que Jackman va en profiter pour nous trousser quelques jolies pistes. Que ce soit lorsqu’il s’agit d’être en vadrouille en Ecosse (l’étrange et inquiétant The Graves of Henry Avery, et sa mélodie ténue et intrigante à la flute, reprise ensuite par les cors) ou sur l’île aux pirates (variation sur le thème d’Avery pour The Thieves of Libertalia et le plutôt glauque Avery's Descent).

Si l’Italie (Once a Thief…) et Madagacar (Hidden in Plain Sight) ne semblent pas réellement inspirer Jackman, il retrouve ses moyens en mer avec At Sea et Marooned. Deux morceaux qui dans l’album surprennent car c’est avec eux que le compositeur utilise pour la première (et dernière) fois des sonorités et couleurs ethniques. Deux morceaux que n’auraient certainement pas reniés Greg Edmonson.

 

Un trésor dans les cales

Lorsque j’évoquais la différence d’approche musicale entre les deux hommes, le juge de paix va se faire sur la musique en tant que fil narratif.

Là où le compositeur de la trilogie s’attachait à raconter l’histoire des lieux visités (d’où la caractérisation très prononcée de la jungle, du Népal, Carthagène ou encore du désert de la péninsule arabique), Jackman va raconter celle des visiteurs ; avec un brio assez surprenant car ce n’est pas forcément là où l’on attendait et où il est généralement le plus à son aise.

Sous ses abords d’aventure dépaysante et de chasse au trésor, Uncharted 4 traite de la famille (celle que l’on a, celle qu’on se choisit) et de l’histoire (celle que l’on vit, celle que l’on s’imagine, celle que l'on raconte et transmet). Le choix opté par Druckmann et son équipe a été de traiter cela avec un regard intimiste. Choix judicieux qui permet d’amener une réelle profondeur au jeu ainsi qu’à sa musique.

Lure of Adventure est ainsi le thème de l’histoire, de son appel, et de sa puissance évocatrice. Tout cela est induit par le chant de la flute, auquel répondent peu à peu les différentes sections de l’orchestre. Ce thème trouve écho avec One Last Time (référence ici à une réplique de Drake dans l’un des premiers trailers montré par Naughty Dog pour annoncer le jeu).

En ce qui concerne les personnages. Jackman travaille sur deux axes : Nate – Sam et Nate – Elena.

Pour le premier, il va reprendre la mélodie du Nate Theme d’Edmonson. Encore plus que dans l’intro, il joue la finesse avec des lignes claires pour l'accompagnement, laissant le chant au piano (instrument qui va revenir dans toutes les musiques dévolues aux personnages). Que ce soit avec Reunited et The Brothers Drake.

En brodant sur la même tonalité, il va même offrir aux deux frères un thème original, le très intelligemment nommé Sic Parvis Magna, utilisé lors d'un chapitre flashback capital dans la vie de Nathan et Samuel.

Le second axe nous plonge dans l’intimité d’un couple. Et la partition devient encore plus épurée. Un accompagnement arpégé à la guitare et quelques notes de piano en guise d’introduction, puis une mélodie minimaliste toujours au clavier avec en soutien de longues tenues de cordes.

Le thème est d’abord abordé dès les premières minutes de l’album avec A Normal Life, avant d’être repris dans For Better or Worse (pour le chapitre éponyme du jeu). Cette mélodie va être magistralement utilisée in-game à la suite d’une conversation entre Nate et Elena mettant en lumière les failles qui se sont petit à petit creusées entre les deux personnes et leur difficulté à communiquer pleinement (si le jeu utilise à bon escient l’adage « show, don’t tell », il réussit également très bien le « listen, don’t tell »).

Pour achever l’aventure, Henry Jackman synthétise le meilleur de ce qu’il a produit dans les différents genres (action, ambiance, narration) avec Brother’s Keeper.

Avant de nous quitter avec un Epilogue qui chante la fin d’une aventure, recouverte peu à peu par une vague de nostalgie alors que les personnages disparaissent à l’horizon, ne nous laissant que quelques photos sur un vieux journal ainsi que des souvenirs plein la tête en guise de reliques.

 

 

Note : la bande originale de Uncharted 4 : A Thief’s End est disponible en version digitale et CD. Et pour les collectionneurs, je ne saurais trop recommander la très belle édition vinyl disponible chez iam8bit.