Il est habituel d'entendre que le jeu vidéo doit l'immaturité de son propos a son jeune âge. Après tout, le cinéma, déjà séculaire, a bien commencé avec l'histoire
d'un mec qui se fait arroser la gueule, et qui arrose en retour.
Vengeance primaire pour un propos primaire. Mais pour une première
oeuvre cinématographique, les spectateurs étaient totalement comblés. Le jeu vidéo, quant a lui, a déjà plus de trente ans. Le FPS militaire,
qui est devenu un genre très populaire au sein de ce média, a
probablement atteint sa majorité si on devait en faire une allégorie.
Pourtant... le genre se résume toujours a une histoire d'arroseur
arrosé. Analyse d'un genre empreint d'une profonde immaturité dans
son propos, et qui se met au service de la propagande néo-conservatrice
américaine. Propos primaire pour une vengeance primaire...

La vision néo-conservatrice des
relations internationales est somme toute assez simple a comprendre. Il
existe des états libres, et des états oppresseurs. Le rôle des états
libres est de répandre la liberté a travers le monde, alors que celui
des états oppresseurs est de détruire l'idée même de liberté, jusqu'au
sein des états libres. Les "gentils" combattent les "méchants" Dans sa
version évangélique, l'idéologie néo-conservatrice est chargée de
répandre la morale chrétienne, contre la barbarie islamiste ou
communiste (athéiste). Le "bien" combat le "mal". "L'axe du bien" combat "l'axe du mal". Il s'agit là d'une vision binaire -et nécessairement erronée- du monde, qui détourne le concept de "choc des civilisations" pour servir un propos politique assez réducteur, destiné a soumettre les masses en inculquant aux citoyens la peur. A travers la désignation d'un ennemi commun, menaçant leur intégrité.
Implicitement, dans le cadre de cette vision binaire, le citoyen n'a
d'autre choix que de se ranger  dans le camp des défenseurs de la liberté... c'est a dire sous la bannière étoilée. Ami ou ennemi... il n'y a pas d'autre choix possible.

Or... le FPS militaire reproduit totalement ce schéma, profondément immature. Ce qui peut agacer dans un premier temps, c'est l'impossibilité
d'incarner dans la majorité des FPS "l'ennemi", le camp adverse. De la
même façon qu'il n'existe aucune alternative au "bien" selon les
neo-con, le joueur se voit interdit d'appréhender le conflit du point de vue des ennemis. Ainsi, alors qu'il existe tant de FPS relatifs a la seconde guerre mondiale, aucun ne propose au final d'incarner un soldat nazi ou japonais. Alors que la littérature ou le cinéma a depuis
longtemps levé ce tabou, en proposant d'appréhender ce conflit dans sa
globalité et dans sa complexité. Dans son humanité, dirais-je. Car il
n'y a pas de "bien" ou de "mal" au sein d'un conflit armé, juste des
choix, des contraintes, et des nécessités. Chez tout les belligérants.

~~~ Le FPS militaire, tel qu'il est aujourd'hui... ~~~

 

Cette complexité, les neo-cons, et
par ricochet, le FPS militaire, qui est imprégné de cette idéologie
neo-conservatrice, la refusent. Pire même, ce tabou, plus qu'une fuite,
constitue en fait une arme idéologique. Dès l'instant ou l'ennemi est
placé sur un pied d'inégalité, puis exclu hors de la sphère d'humanité
constitué du seul camp allié, il devient possible de le déshumaniser
pleinement, a des fins de propagandes. C'est ainsi que le FPS moderne,
incarné par Modern Warfare, propose
d'affronter des nationalistes russes, ou bien des islamistes un peu trop barbus, réduits au simple statut de chair a canon. Rien n'est dit sur
leurs motivations, ou sur leur cause. C'est l'absence même de
motivations ou de cause d'ailleurs, qui leur ôte définitivement toute
humanité, car en vertu cette absence, il ne reste a l'ennemi que
l'irrationalité animale.
Aucune once d'intelligence. Le dernier Medal of Honor va plus loin encore dans cette inégalité de traitement. Dans son mode
multijoueur, vous pouvez incarner un soldat américain, et massacrer a la chaine des talibans. En revanche, il est impossible d'incarner un
taliban pour massacrer a la chaine du soldat américain. Décision prise
suite a quelques pressions subies par Electronic Arts de la part d'associations de défense des soldats américains. En
conséquence, les talibans ont étés simplement renommés... "forces
d'opposition" (sic). Chair a canon eut été moins hypocrite. En
enlevant un trait d'identité majeur aux talibans, ces derniers sont
encore un peu plus déshumanisés. En revanche, personne ne s'est bien
évidemment offusqué que l'on puisse incarner un soldat US chargé de
massacrer des talibans. Doit on en conclure que la vie d'un afghan
vaut beaucoup moins que celle d'un soldat US ? L'empathie vis a vis du
soldat est elle a géométrie variable, suivant le camp auquel il
appartient ? Le simple fait que l'on puisse se poser ce genre de
questions démontre la profonde immaturité du genre FPS.
Indiscutablement.

~~~ Au sein de la chaine alimentaire, tous les hommes n'occupent pas la même place... ~~~

 

Une fois l'ennemi déshumanisé, le FPS militaire a la sauce néo-conservatrice n'a plus qu'une seule chose a faire : glorifier le camp néo-conservateur. Pour ce faire, en
premier lieu, le FPS se débarrasse de tout scénario élaboré, afin que le joueur n'ait jamais à se poser de questions, ou ne trouve une
justification aux agissements des ennemis qu'il devra affronter.
Comprenez par là que le genre FPS n'est pas condamné a proposer des
scénarios insipides (System Shock, Deus Ex ou bien encore Bioshock démontrent admirablement le contraire...) il s'agit là d'un choix
délibéré et profondément teinté d'idéologie, afin d'éviter que le camp
allié néo-conservateur voit son image égratignée. Ce qui arriverait
immanquablement si le joueur devait se poser des questions. En second lieu, cette quasi absence de scénario est destiné a refléter au plus
près le mode de résolution préféré des conflits inter-étatiques des
neo-cons : le conflit armé, décidé de façon unilatérale.
Pas de scénario, cela veut dire : pas de considérations d'ordre diplomatique, pas de négociations. Pas d'Organisation des Nations Unies. Juste la loi du plus fort. Coïncidence : les neo-cons noyautent l'état à la tête de la plus grande armée du monde (les USA) et, c'est
généralement cette armée là que vous incarnez dans un FPS militaire. Le
hasard fait bien les choses...

 

~~~ Mwawawawawawawah, C'EST MOI LE PLUS FORT... euh... désolé. Au fond, ce n'est pas la
violence du FPS qui est dangereuse pour nos chères têtes blondes. Mais
on contraire, son extrême aseptisation, qui déshumanise l'ennemi, et de
façon plus large, minimise a l'extrême la valeur d'une vie humaine... ~~~

 

Enfin, le dernier outil de glorification du camp neo-conservateur, c'est... la censure. Le FPS militaire est en fait un genre très aseptisé, qui présente la
guerre comme un simple divertissement, un peu a la manière de la Deuxième Guerre du Golfe (1990-1991 - Irak) : pas de civils tués a l'écran, pas trop de sang visible, pas
de corps démembrés, juste une mise en valeur aseptisé de la
toute-puissance de l'appareil militaire américain. Et lorsqu'un FPS militaire ne va pas dans ce sens là... il ne trouve tout simplement pas d'éditeur ! Il en va ainsi par exemple de Six Days in Fallujah, qui devait être initialement édité par Konami. L'éditeur, suite a de nombreuses pressions, a jeté l'éponge. Comment pouvait-il en être autrement ? En effet, Six Days in Fallujah devait relater un évènement qui a réellement eu lieu : la mission d'une escouade de US Marine pendant la Seconde Bataille de Falloujah (Irak - 2004), confrontée a l'enfer du combat urbain. Le jeu avait
notamment pour ambition de faire vivre au joueur l'enfer vécu par cette
unité, face a la détermination quasi suicidaire des insurgés irakiens. Un renversement des rapports de force qui allait a l'encontre de l'image
de toute puissance de l'armée américaine habituellement véhiculée par le FPS militaire.
La crainte ultime eut été la présence dans ce jeu
des bombardements par l'état-major américain de quartiers civils au
phosphore blanc... c'est a dire d'un crime de guerre patent. L'arroseur
arrosé... une occasion manqué pour l'instant mais, jusqu'à quand ?

Conclusion : C'est en analysant le genre FPS
que l'on s'aperçoit que le jeu vidéo est un média encore largement
immature. Pour autant, cette immaturité quant a son propos ne doit
surtout pas être interprété comme un strict cantonnement du jeu vidéo au rang de simple divertissement. Bien au contraire, un propos politique
s'est déjà infiltré dans le genre FPS, de façon insidieuse. Le FPS a
fait allégeance a la politique néo-conservatrice américaine ! Est-ce une démarche volontaire de la part des éditeurs, ou bien une entreprise
inconsciente ? Cette vision binaire (les méchants vs. les gentils) du
FPS militaire est elle simplement une simplification du genre, destiné a coller aux attentes des joueurs qui, pour la plupart, n'ont que faire
des considérations idéologiques et des aspirations des peuples frappés
par leurs munitions virtuelles ? Ou bien, les politiques américains
essaient-ils dans l'ombre de manipuler les masses grâce aux jeux vidéo
(cf. le cas du jeu America's Army) comme ils l'ont déjà fait avec le
cinéma par le passé ? Cet article ne prétend pas répondre à ces
interrogations, mais simplement à poser un constat. Ceci dit, vous
pouvez tout a fait y répondre vous-mêmes, si vous avez un avis sur la
question.

Addendum : le lecteur qui souhaite approfondir le sujet trouvera son bonheur en lisant Les Cahiers du jeu vidéo #1 : LA GUERRE aux Editions Pix'n Love

Source : article publié à l'origine sur mon blog, le 22/12/2010