Les lames d'une boîte à musique résonnent de la douce mélodie d'un passé lointain, avant que des choeurs enflammés prennent la relève pour faire écho à la dramaturgie de cette guerre fratricide entre les deux peuples de Valentia. On connaît la ritournelle, cependant il est impensable de rester de marbre à l'écoute des thèmes décidément intemporels de Yuka Tsujiyoko, suppléés ici par les compositions de Takeru Kanazaki et Yasuhisa Baba. Au delà d'accents tantôt gothiques, tantôt celtiques de bon aloi, l'orchestration symphonique leur donne non seulement de l'envergure, mais surtout une tonalité parfois bouleversante poussée à son paroxysme par quelques morceaux d'opéra et autres envolées lyriques, sans jamais trahir la pureté de la partition originale. En un mot : grandiose. Il en va de même pour la mise en scène, les événements cruciaux suscitant des séquences animées relativement nombreuses et absolument somptueuses réalisées par le studio Khara. Et ce sans le moindre artifice technologique, pour ne pas dénaturer le(s) trait(s) du character design signé Hidari, qu'illustrent ses magnifiques dessins le cas échéant.

Fresque animée ou presque

L'immense majorité des dialogues bénéficient de doublages en anglais d'excellente facture, fussent-ils un peu stéréotypés, avec des textes intégralement traduits dans la langue de Molière. Malgré l'absence des voix nippones, ce travail de localisation assidu témoigne du soin apporté au récit, nettement étoffé par rapport à la version Famicom. À commencer par l'ajout d'un prologue pour mieux poser le décor, d'autant que celui des endroits visités est désormais matérialisé en 3D. Il faut toutefois se contenter de plans quasiment fixes en vue subjective dans les villages, où l'on a loisir de converser avec les habitants et d'observer le paysage afin de glaner des babioles ou des informations, notamment les cristaux souvenirs (synonymes de flash-backs). Les déplacements s'effectuent donc en allant d'un point à l'autre de la carte, à l'image des voyages sur celle du monde. Des ennemis arpentent d'ailleurs aussi ces chemins et bougent à chaque mouvement des troupes, au tour par tour en somme. Car la facette exploration introduite par cet opus se situe véritablement au sein des donjons, souvent débutés par un monologue du héros histoire de s'immerger dans leur ambiance.

Au plus près de l'aventure

A l'instar des bourgades, des châteaux et de l'ensemble du continent, ces lieux dits "spéciaux" reprennent assez fidèlement la topographie du cru 2D, néanmoins on peut y déambuler librement par le biais d'une caméra à la troisième personne. Ces dédales comportent des passages secrets, des trésors, ainsi qu'une multitude d'éléments destructibles qui renferment diverses victuailles. Une tel vacarme alerte éventuellement les créatures belliqueuses aux alentours, dorénavant visibles de façon à initier les hostilités dans une situation plus ou moins (dés)avantageuse selon la manière dont on les aborde, voire à les éviter. La disparition des combats aléatoires est rendue encore plus appréciable par l'intégration simultanée de la fatigue, nos ouailles perdant leurs forces au fil des joutes, jusqu'à s'épuiser et devoir évacuer la zone. Cette perspective s'inscrit dans le prolongement de l'opportunité de battre en retraite lors d'une escarmouche mal engagée, avec pour seule contrepartie la régénération de la santé des adversaires si on les recroise. Ceux vaincus demeurent au cimetière, tandis que le butin et l'expérience acquis par notre camp sont conservés.

Idées revigorées

Les singularités de Gaiden ne s'arrêtent pas là, surtout que cette refonte sur 3DS les mélange avec des ingrédients modernes. Alors que les fontaines autorisaient déjà les résurrections et l'amélioration de caractéristiques de son choix dans une moindre mesure, Shadows of Valentia permet d'emblée de s'affranchir de la mort permanente, ou de sélectionner son niveau de difficulté sans cheat code (celui du sound-test fonctionne toujours). Dans la même logique, l'Horloge de Mila octroie le pouvoir de revenir plusieurs tours en arrière, suivant le nombre d'engrenages en réserve. Et les statues de la déesse servent à présent au rechargement de ce mécanisme ou à ragaillardir toute son escouade au prix d'une offrande, en plus de changer de classe via une méthode moins alambiquée qu'auparavant. Plus besoin de refuser les promotions jusqu'à se voir proposer celle voulue, on détermine directement le destin de nos fringants villageois dès qu'ils ont atteint le pallier nécessaire. Gare à ne pas se précipiter puisque l'arbre des jobs reste très réduit, si bien qu'un leveling s'impose pour maximiser les capacités de ses personnages.

L'éloge du peu

Une voie guère aisée en raison de l'importance du hasard au cours leur croissance, nonobstant les points d'XP bonus distribués ici aux participants sur pieds à l'issue des confrontations, dans l'optique de modérer le phénomène de stagnation. Globalement, cet épisode repose pourtant sur une formule sans détour et a priori simpliste en comparaison des itérations récentes, comme le souligne l'unique objet transportable en guise d'équipement. Mieux vaut piocher dans l'arsenal plutôt que dans les vivres, l'apprentissage des techniques dépendant des armes utilisées. Celles-ci ne s'usent pas en prime, une particularité aux airs avant-coureurs, contrairement au système de magie dont le coût des sorts puise dans la jauge de HP. Il en résulte des guerriers aux capacités plus diversifiées qu'escompté, et potentiellement surpuissantes en combinaison avec les sorts adéquats ou les archers. D'autant que la mécanique de force/faiblesse triangulaire des armes manque toujours à l'appel, les vulnérabilités élémentaires n'atténuant pas l'impact décisif des attaques à distance, a fortiori grâce aux liens de soutien établis dès lors entre les unités.

Taïaut !

En dépit de l'intrusion de ces bavardages au beau milieu des affrontements, une composante aujourd'hui récurrente dans la série, Shadows of Valentia ne fait résolument pas d'enfantillages, ni dans la dentelle. Cette philosophie se manifeste par une prise en compte minimale des aléas environnementaux du terrain, dont l'architecture se révèle rudimentaire à côté des allures d'échiquiers qu'affichent les champs de batailles des volets contemporains. En outre, l'intelligence artificielle ne badine pas et tend à foncer tête baissée dans la mêlée, où les estocades se montrent évidemment plus spectaculaires que par le passé, réservant les postures défensives aux configurations de siège. Idem quand on lui délègue les manoeuvres automatisées de son armée, avec des stratégies réunies dans un menu d'instructions sommaires, tant la teneur du contingent définit le déroulement des assauts. Enfin, les recrutements n'engendrent que rarement des dilemmes cornéliens, idem pour l'ordre d'enchaînement des conflits prépondérants. Une approche efficace et indubitablement pragmatique en adéquation avec l'identité de Gaiden, qui mise moins sur la tactique que sur la force brute.

DLC à la page

La narration ne cherche pas non plus à s'appesantir sur les ramifications du scénario, au demeurant précurseur des évolutions de la saga en la matière, avec ses deux épopées menées en parallèle. Cette structure laisse la place à des myriades de quêtes annexes confiées par les autochtones, l'occasion d'obtenir de précieux matériaux pour la forge, d'enrôler d'autres soldats ou de creuser l'intrigue. Une mission également taillée sur mesure pour les DLC, dont les packs visent à ce que les débutants mettent plus facilement le pied à l'étrier, le challenge devenant rude à partir de la seconde moitié de la campagne, de sorte que le surplus de ressources n'est pas de trop pour aider les plus pressés à parvenir jusqu'au bout, sans oublier le renfort plus temporaire qu'illusoire des amiibo. S'il semble vain de critiquer l'agenda de publication de ces packs additionnels, ou leur tarif, on regrette que leurs principaux apports résident finalement dans les classes supplémentaires, qui méritaient d'être inclus d'entrée. Dommage que les disciples de Fire Emblem aient ainsi à payer au prix fort le privilège de redécouvrir ce chapitre majeur dans son entièreté.