Depuis trois décennies, chaque Dragon Quest démarre en fanfare, avec le fameux hymne de la série signé par le non moins illustre Koichi Sugiyama, un cérémonial que ce huitième épisode respecte bien entendu à la lettre. Contrairement à la version occidentale sur PS2, gratifiée en son temps d'une interprétation orchestrale, cet opus 3DS revient d'ailleurs aux instruments synthétiques. Que cette différence s'explique par un manque d'espace sur la cartouche ou d'obscures questions de royalties, les musiques - de toute façon fabuleuses - n'en souffrent guère. Leurs tintements de chiptunes font résonner le traditionalisme de "Draque", en sus des quelques inoxydables bruitages 8 bits, tandis que la qualité des arrangements suffit à porter le souffle encore plus épique de l'Odyssée du Roi Maudit. Un appel de l'aventure que le survol de ces terres, matérialisées pour la première fois intégralement en trois dimensions à l'époque, rend plus irrésistible que jamais. D'autant que les personnages avaient aussi gagné du volume, qui ne s'exprime pas seulement en nombre de polygones.

Dessine-moi un bouffon

La plume de Yuji Horii est résolument au coeur de Dragon Quest, une focalisation sur l'écrit restituée avec fidélité par la traduction, toujours exceptionnelle. Cette itération y a ajouté la voix, les conversations importantes s'accompagnant de doublages. Et pas n'importe lesquels, puisque la verve des acteurs demeure époustouflante aujourd'hui, notamment à travers l'emphase sur les accents anglo-saxons, qui donnent davantage de caractère aux protagonistes, sans parler des touches d'humour soulignées par les petits rictus lors des saynètes. La fougueuse Jaimi Barbakoff, remplaçante d'Emma Ferguson pour le rôle de Jessica, se montre à la hauteur de ce formidable travail, encore étoffé par les interventions évidemment plus appuyées de Morry et Rubis. Ces figures d'ores et déjà marquantes de l'épopée sont en effet les deux équipiers supplémentaires de cette édition 3DS. Leurs traits presque caricaturaux, dans le pur style d'Akira Toriyama, méritaient indiscutablement d'être creusés, à l'image du mystérieux passé de l'infâme trublion Dhoulmagus, enfin raconté.

Lointains souvenirs

Le héros reste quant à lui mutique, histoire de mieux s'y identifier, et se plonger dans cet univers magnifique. Cette déclinaison portable souffre évidemment de la comparaison avec son homologue sur console de salon, entre les textures moins fines, la végétation moins dense, ou les effets de lumière et autres fioritures graphiques moins élaborées. La réduction du niveau de détail se fait pourtant vite oublier, et passerait inaperçue en l'absence de souvenirs récents du cru orignal. Impossible en revanche d'ignorer le disgracieux clipping, la machine peinant à garder en mémoire tant d'éléments, notamment en extérieur. Malgré un léger brouillard, le moteur conserve heureusement une belle distance d'affichage, un aspect essentiel pour l'immersion. Ainsi le frisson de voir lentement se dessiner au loin un village ou un intrigant château est intact, ce qui rappelle combien ce Dragon Quest, né à l'aube de l'émergence des mondes ouverts, mise sur l'exploration. Son territoire dispose d'une taille encore très respectable de nos jours, alliée à une structure moins linéaire qu'il n'y paraît.

Carte aux trésors

Les chemins de traverse s'avèrent nombreux, de même que les coffres à dénicher, surtout que des bleus au contenu aléatoire et régulièrement réapprovisionnés viennent ici stimuler la chasse aux trésors. En dépit de la suppression de la boussole, nul risque de se perdre, car il n'y a plus besoin de trouver les cartes, celles-ci étant fournies d'emblée. D'aucuns y verront un côté visite guidée regrettable, néanmoins la visualisation de la topographie directement sur l'écran tactile se veut pratique, zoom à l'appui. Et cela ne retire rien à la dimension contemplative, enrichie par la possibilité de prendre des photos (éventuellement avec ses ouailles pour poser dessus), dans la perspective de partager ces cartes postales en ligne ou via StreetPass. Les clichés servent également à accomplir moult missions optionnelles assorties de récompenses, une tâche invitant à découvrir chaque lieu dans ses moindres recoins, idem pour le bestiaire. Car en dépit de la disparition d'une partie de la faune, cet environnement soumis aux variations diurnes et nocturnes n'est pas moins vivant.

Les temps modernes

Tous les ennemis sont désormais visibles, et théoriquement évitables, quoique les plus vifs se révèlent difficiles à semer. Leur comportement varie donc selon l'espèce ou le rapport de force avec nos troupes, les créatures recrutables - souvent plus féroces - se distinguant par une icône ostensiblement placée sur la tête. Cela fluidifie encore les expéditions, y compris les plus courtes, à l'instar de l'option de sauvegarde rapide à tout moment, naturellement adéquate pour le support. Une démarche pragmatique illustrée par les menus, dont l'interface jadis joliment modernisée reprend la forme austère initiale, tellement plus efficace. Dans la même logique, la confection d'objets avec l'Alchimarmite s'effectue instantanément et profite d'une assistance. Les ingrédients des recettes réalisables apparaissent à présent en surbrillance, une aide qui simplifie forcément les expérimentations. Il y a cependant matière à bricoler, qu'il s'agisse des compétences avec une répartition des points que l'on a loisir de différer, ou des stratégies de combat dont le déroulement peut être accéléré.

Du renfort

En parallèle du rééquilibrage global des caractéristiques, le duo de nouveaux guerriers introduit des armes et des talents spécifiques plutôt polyvalents, avec beaucoup de "Gusto". Ils élargissent par conséquent malicieusement le panel des configurations d'équipe, de quoi compenser le retrait des classes tant décrié autrefois. Dommage que ces compagnons rejoignent la quête assez tardivement, même s'ils constituent de précieux renforts au vu des monumentales épreuves finales, tout particulièrement le deuxième donjon bonus et sa cohorte de Boss. Le constat est plus mitigé dans le domaine du récit. En plus de mettre davantage en lumière un énergumène haut en couleurs, le ralliement de Morry donne un surcroît d'envergure à la traque des monstres, vouée essentiellement à l'arène dans ce périple. Rubis comble pour sa part un vide scénaristique béant, mais pas nécessairement celui escompté, la seconde conclusion alternative qu'elle engendre semblant tirée par les cheveux. Voilà l'unique point véritablement critiquable de ce remake, une goutte d'eau dans un océan de bonnes intentions.

Le roi est maudit, vive le roi !

La quantité d'ajustements destinés à améliorer l'expérience dans son ensemble suscite l'admiration : Au delà de quelques costumes neufs, elle comporte un surplus de mini médailles à collecter et de cadeaux à la clé, ainsi que des objets téléchargeables, quitte à rendre la progression un tantinet trop aisée. La force de la saga réside décidément dans le soin apporté à ses subtilités, en témoignent les discussions en aparté inédites (toujours déclenchées à l'envi), tantôt anodines, tantôt très instructives. De même, le classicisme de l'intrigue débouche sur une succession de péripéties inattendues, a priori anecdotiques, mais parfois profondément émouvantes. Car derrière son ton léger, la narration aborde des thèmes aussi sensibles que la religion, la mort, la tolérance, voire la nature des relations humaines. Et n'en déplaise aux RPG contemporains supposément matures, son propos ne requiert ni nudité, ni violence exacerbée, au point que certaines séquences ont été modifiées pour convenir au public juvénile. Seules comptent la justesse de la mise en scène et l'esquisse d'un message librement interprétable en filigrane. Pour toutes ces raisons, l'Odyssée du Roi Maudit s'impose comme le Dragon Quest le plus abouti de sa dynastie, et cette version 3DS en est indubitablement la meilleure incarnation.