Il y a quelque chose de fascinant à admirer ces animations toujours plus réalistes (bien qu'un peu hollywoodienne parfois) de petits bonshommes d'un temps passé en train de s'enfiler avec des épées acérées. Total War : Rome II projette assez bien le joueur en 272 avant Djeezeuss Chraïste, une période durant laquelle aucune communauté internationale n'existait pour empêcher les conquêtes sanglantes et les massacres guerriers ou civils. De nos jours, mettez un pays à feu et à sang et vous verrez ce qui va vous arriver !

Bref, pendant un moment, on regarde ce passé virtuel vaguement historique et on se demande combien de millions de gens se sont entretués depuis des lustres, de toutes les manières possibles et imaginables. Ça file un peu le tournis. Alors on prend un peu de recul et on gère ça sur une carte stratégique, avec des chiffres en pagaille et des jolies couleurs. C'est magnifique quand le rouge de Rome s'étend sur l'Europe, l'Orient et l'Afrique du Nord. Et puis de temps en temps on rejoint le champ de bataille en mode tactique, en rase campagne ou dans les murs d'une cité en flamme. Parce qu'une grosse charge de la cavalerie dans le flanc d'une troupe d'archers sans défense, ça reste la plus belle des poésies, non ?

Jeu & stratifié

On ne va pas trop revenir sur le gameplay de Rome II, qui est celui de tous les Total War : gestion (commerce, industrie, agriculture, entretien de l'armée, taxes, contentement de la population), stratégie à grande échelle (conquête militaire ou diplomatie, stabilisation économique et culturelle, choix des unités en fonction des ennemis en cours...) et enfin tactique sur le terrain (positionnement des troupes, contrôle en temps réel, furtivité et embuscades, charges dévastatrices, compétences spéciales, etc.) On retrouve tous ces éléments et, ma foi, l'ensemble ne présente pas vraiment de grosses nouveautés au final. Il y a bien le système politique, que The Creative Assembly avait déjà tâté auparavant, mais qu'ils ont cette fois mis en avant dans la promo de leur titre, façon série télé HBO, mais...

Un coup de pilum dans l'eau

Eh bien, c'est une déception. Il y a plus de drama lors d'une réunion tupperware que dans une partie de Rome II, qui vous demande de pistonner des généraux ambitieux de votre famille pour progresser en société et obtenir ainsi de nouveaux avantages. Contre monnaie sonnante et trébuchante, assassinats, mariages arrangés, rumeurs sournoises ou corruption pure et simple sont au menu, mais sans aucune passion ni narration. Le mécanisme d'équilibre de puissance entre les différentes maisons (ou clans ou tribus) est très mal expliqué et aussi obscur qu'une note de frais d'un sénateur européen. Eh, du coup, c'est peut être voulu comme ça ? En tout cas, c'est très peu attirant.

Alea Jacta à l'ouest

De même pour les événements spéciaux qui viennent - assez rarement - perturber le ronron du passage des années. Je n'ai vu qu'une poignée de scénarios se battre en duel (quoi, ma fille est encore une traînée ?) et le résultat de votre choix lors du "dilemme" semble bien trop aléatoire pour qu'on se sente investi au moment de le prendre. S'installer en politique demande un effort global dans le jeu : gagner de l'influence, du "gravitas", avec un général de votre maison (si possible un qui soit ambitieux), en le plaçant dans les meilleures batailles et en espérant qu'il ne meurt pas trop vite. Payer pour calmer l'ardeur des autres. Puis monter dans la société. Les bonus peuvent être pas mal, bien que ça manque de surprise, mais... tout ça pour ça ? Pour un type qui va claquer de vieillerie au mieux 20 tours plus tard ? Expliquez-moi quand ça vaut le coup, parce que là j'ai du mal à être excité...

On vous civilisera jusque dans vos toilettes

Je préfère passer mon temps et mon argent à gérer mes provinces durement conquises, région par région. La carte est immense, il faut bien le comprendre. IMMENSE ! Au bout d'une journée de jeu, vous aurez peut être annexé quelques territoires contigus à votre mini empire de départ, guère plus. Il faut être sacrément ambitieux pour imaginer s'étaler sur le reste de l'Europe. Mais tout vient à point à qui sait s'étendre... On progresse pas à pas dans Rome II, car chaque prise doit être stabilisée (plus ou moins) avant de passer à la suivante. Cela veut dire fixer des troupes (en nombre limité) sur place et utiliser des agents (eux aussi en nombre limité) pour amuser la population et lui apprendre le latin pendant qu'on pose en douce des latrines dans les arrière-cours. Au bout de quelques tours/années, ces vils barbares seront tous d'accord pour admettre que votre culture et le tout-à-l'égout c'est vachement mieux que leur vieille hutte qui sent le chaume pourri. Et vous pourrez alors défiler jusqu'au au prochain village d'irréductibles crétins refusant encore et toujours le confort moderne et le système décimal.

Ces barbares, ils se ressemblent tous !

Je précise pour ceux qui préfèrent incarner les braillards rigolards et bagarreurs en question que c'est tout à fait possible : les arbres de recherches technologiques et culturels sont différents et adaptent bien les mécanismes du jeu au background de la faction sélectionnée, qu'elle soit barbare, Méditerranéenne ou Orientale (huit sont jouable au départ, sans DLC). C'est d'ailleurs plus probant dans la varieté des bâtiments constructibles avec sa civilisation, plutôt que dans les unités, qui se révèlent bien trop nombreuses pour que l'on se soucie trop des divergences entre peuples. C'est toujours la grosse poignée de statistiques qui gèrent chaque type de troupe, et à moins d'être un vrai tacticien pro sur le champ de bataille, vous ne ferez pas trop la différence entre une légion romaine et une bande de Gaulois en braies de même type (c'est-à-dire infanterie, cavalerie, engin de siège, plus le facteur "léger" ou "lourd"). Quelques unités vraiment spécifiques permettent tout de même de mettre un peu d'exotisme dans votre quotidien martial, comme les chiens de guerre, les éléphants ou les chariots. Les mécanismes de diplomatie varient légèrement eux aussi. Avec les barbares, le sang familial qui coule dans les veines d'un clan ou d'un autre pourra favoriser les alliances.

Comment ça, une contre-offre ?

S'il est assez aisé de promettre à son voisin qu'on ne l'attaquera pas, transformer ces paroles en vraies amitiés n'est pas facile dans Rome II. C'est un des points les plus innovants de ce nouvel opus : une diplomatie plus riche et plus intelligente qu'avant. Il existe plusieurs niveaux d'alliance et la paix n'est acquise que sur une longue durée. À croire qu'en ces temps d'expansion, personne ne fait confiance à personne ! Certes, un bon nombre d'alliés sur lesquels j'ai roulé quand je n'ai plus eu besoin d'eux pourrait vous en toucher deux mots... Mais au-delà de la conquête pure et dure, celle qui demande de s'attarder sur chaque région pour assimilation, on peut aussi sécuriser des territoires qui ne nous intéressent pas forcément, mais dont on pourrait utiliser l'aide militaire afin d'assurer ses arrières ou renforcer une attaque. Il faut juste, comme d'habitude, les surveiller pour qu'ils ne piquent pas la ville qu'on convoitait. Les habitués de Total War connaissent le problème, et non, on ne peut toujours pas prévenir les alliés de ne pas toucher à nos objectifs. En revanche, l'interface permet maintenant de leur donner des cibles précises, ce qui peut les occuper sans déranger nos propres opérations.

Je vous ai dit de ne pas me faire confiance

Les alliances comptant dans le total des territoires nécessaires aux conditions de victoire, vous comprendrez que l'option est viable. Ça reste un Total War et il n'est pas question de se planquer dans sa province en manipulant tout le monde à la Littlefinger, mais dans une partie tendue, vos armées ne pourront être partout. Et comme je l'ai dit : la carte est immense. Il ne faut pas recréer l'erreur de l'Empire Romain et s'écrouler sous son propre poids. Et c'est un jeu vidéo, on est là pour gagner, donc autant réfléchir aux conditions militaires, culturelles ou économiques proposées. Oui, c'est nouveau et c'est un bon point qui permet un peu de flexibilité dans la partie.

Le temps colmaté

En revanche, la limite en tour de jeu a disparu, ce qui restreint votre prise de risque dans une précipitation nécessaire. Ce n'est pas une mauvaise nouvelle, surtout vu les mécanismes de stabilisation à gérer, mais en difficulté normale, les ennemis ne sont vraiment pas agressifs, préférant se battre entre eux pendant que vous les gobez un par un à votre rythme. Ils n'ont pas l'air de chercher la victoire... Du coup, ça devient carrément facile. Un Total War facile ?! Bah oui, avec l'accroissement de l'Empire arrivent divers soucis de gestion : maintenir de front la qualité de vie, l'économie et la nourriture n'est pas chose aisée. Mais côté militaire, je n'ai encore rien vu de tendu. C'est pourtant quand les forces sont équivalentes qu'on abandonne la résolution automatique des combats pour assurer la victoire sur le terrain. Il ne faut pas avoir peur d'être tacticien, c'est fun !

Au ras des pâquerettes

Et ça demande de l'entrainement aussi, alors si vous ne mettez les manu militari dans le cambouis que pour les combats importants, vous risquez de vous engluer plus qu'autre chose ! En dehors de la campagne, Rome II propose toutes sortes de batailles, customisées ou historiques, pour vous faire la main : profitez-en ! Les cartes sont gigantesques, et les villes s'étalent de façon crédible, bien que l'agencement des bâtiments soit parfois trompeur. J'ai cru une fois pouvoir passer entre deux maisons avec mon général à cheval, mais malgré un large espace, il fut bloqué par un mur invisible. Un peu frustrant ! Il vaut mieux bien comprendre comment fonctionnent les zones urbaines avant de s'y battre. Pour les fins tacticiens, la ligne de vue réaliste permettra des embuscades sympathiques en défense comme en attaque, s'il y a quelques élévations derrière lesquelles se planquer. En revanche, j'ai peu apprécié le recul de la caméra trop limité, pendant que la vue stratégique générale n'offre pas assez d'options de contrôle des troupes. Quant à la caméra embarquée pour le spectacle, c'est vraiment chouette, mais elle aussi manque un peu d'options, et ne servira vraiment que pendant les replays.

Crayon rouge et stabilo jaune

En parlant d'interface, vous noterez bien - avec votre burin dans une plaque de marbre - que l'administration des provinces se montre pas mal du tout à l'usage : avec deux à quatre régions, possédant chacune une ville qui propose différents emplacements de construction, il fallait bien trouver un truc du genre pratique. Cliquer sur une cité ouvre donc un panneau de gestion pour l'ensemble de la province, avec le choix des bâtiments et le résumé des stats. Si chaque ville est prise une par une, leur intendance reste globale, heureusement ! La plupart des autres infos sont bien présentées : listing des évènements au début d'un tour, situation de votre empire, etc.

Total Comptable

On remarquera quelques déficiences ici et là : la fenêtre remplacement d'un général mort par exemple, trop... spartiate. Ou bien les menus de diplomatie qui auraient pu être plus ergonomiques. Ou encore quelques déplacements de troupe étranges quand il s'agit de passer de la terre ferme à la mer. Mais d'une manière générale, Rome II se prend bien en main et ne frustre pas le joueur, même si, l'Empire grandissant, on peut se perdre dans toutes ces provinces. Ça fait partie du gameplay : c'est un jeu d'addition de petits pourcentages glanés ici et là. De bonus et de malus à équilibrer. Si The Creative Assembly vous refilait un document Excel tout propre et compréhensible, ça serait moins rigolo !

Je rase des civilisations par impatience

Pestons à présent un peu plus contre le manque d'optimisation et les fuites de mémoire. Clairement, il est conseillé d'arrêter de jouer 5mn toutes les 8 heures environ pour relancer Rome II, sinon il finit par vraiment ramer. Roh, ça va, je plaisante. Cependant, et c'est probablement dû à la taille de la carte, la vue stratégique est moins impressionnante que je ne l'espérais. Et parfois très moche, quand on regarde les rivières par exemple. La mer n'est pas très réussie non plus. Et je suis en mode "extrême" sur mon PC (Intel i7 2,93GHz, 16Go de RAM, Nvidia GTX580). C'est une vieille config Materiel.net datant de 3 ans et modifiée avec de la mémoire, mais guère plus.

Si je regarde ce qui se fait maintenant, et en prenant en compte les grosses batailles qui se montrent tout de même impressionnantes en mode cinématique, comptez donc sur une config gamer dans ce genre là . Oui, le grand spectacle se paye (et puis vous êtes tranquille pour un moment). Sinon, ça tournera également sur cette config, mais il va falloir baisser quelques options. Sur les champs de bataille, c'est pas trop grave, mais la carte stratégique peut rapidement devenir plus moche. Au final, ce qui vous dérangera le plus, à part les bugs et les crashs toujours bien présents, ce sera la longueur interminable des calculs de l'IA entre deux tours. Avec les déplacements des unités, c'est encore pire. Oui, on peut les virer, mais on aurait préféré pouvoir en virer certaines et en garder d'autres : les factions avec lesquelles notre empire est en guerre par exemple, ou celles qu'on surveille. Jamais content, hein ?

J'ai vaincu, j'ai vaincu, j'ai vaincu

Techniquement, Rome II s'en tire finalement plutôt pas mal. L'IA et le pathfinding se montrent bien étranges parfois, mais rien qui n'empêche d'apprécier l'immense travail fourni par The Creative Assembly sur ce nouveau Total War. Le plus embêtant pour chaque joueur sera de trouver la juste difficulté qui lui convient. Le challenge initial dépend de la faction, il s'agit donc plus d'un choix du coeur plutôt qu'un calcul. Pour la difficulté globale, je me demande s'il ne vaut mieux pas pousser jusqu'en hard au minimum. Enfin, vous pouvez aussi manipuler le réalisme des combats tactiques pour en profiter à votre niveau. Mais attention, car même en mode par défaut, diriger vous-même les troupes peut parfois totalement retourner des situations perdues d'avance. Alors si vous facilitez cela...

Un Total War se doit d'être difficile, sinon ce n'est pas un Total War. La suppression de la limite de temps pour accomplir les objectifs (par rapport à Shogun 2) pose problème si la résistance de l'ennemi, voire son agressivité, n'est pas assez développée. Dans ce cas, Rome II deviendra répétitif et ennuyeux. Soyez donc téméraires, quitte à baisser un peu le niveau en cas de grosse raclée (mais c'est comme ça qu'on apprend). Il faut profiter à fond des restrictions de gestion, des impératifs de la diplomatie, des retournements de situation sur le terrain et même de la fourberie de la politique, qui doit bien servir à quelque chose ! D'habitude The Creative Assembly vous impose cette difficulté. Cette fois, vous la composerez vous-même. Si vous choisissez la facilité, vous ne méritez pas de conquérir le monde.

Nous n'avons pas pu encore essayer le multijoueur, mais il semble très complet autant pour la customisation des batailles à 4vs4, qu'avec la campagne jouable en 1vs1 ou en coop. On trouvera bien un moment pour vous en reparler !