Ce test est une republication du test paru le 30 Juillet 2012, effectué à partir d'une version import aimablement prêtée par Trader.

Mais l'obsession Persona va beaucoup plus loin. Voilà trois ans que la version PS2 rôde chez moi, au détour des rangements, me stalkant comme on scrute la page Facebook de son ex. L'obsession, c'est aussi cette musique qui nous hante. Trois ans que j'écoute la bande-son en boucle. Si j'en crois cette usine à gaz qu'est iTunes, "I'll face myself", la musique des boss, a été jouée 157 fois à elle seule. Ces percussions enrobant un lancinant riff à la guitare, implacable, un rappel à chaque mesure que Persona 4, un petit miracle venu des studios japonais d'Atlus, n'est qu'obsession.

Le RPG scolaire

Hypnotiser avec une bonne mécanique de jeu, c'est la base de tout bon RPG, la clef de voute sans laquelle toute narration n'est finalement que du blabla plus ou moins bien écrit. Dragon Quest, la Roche de Solutré du JRPG, fait mouche à chaque fois en ne changeant quasiment rien. Final Fantasy opère sa séduction en changeant du tout au tout, capable de sacrifier une composante essentielle du genre. Bon dieu, même Pokémon arrive à être obsédant, en jouant sur la collection et, à son niveau, sur la soif de pouvoir. Persona 4 The Golden est beaucoup plus audacieux, car il propose de retranscrire une année entière de cette période de la vie que nous avons en toute logique détesté : nos années lycées.

Meurtres mystérieux à Inaba

Arrive un jeune ado dans un bled lambda du Japon, suffisamment grand pour avoir un lycée et un petit centre commercial. Il va être accueilli par cet oncle, un enquêteur dans la police, un "vieux beau" qui délaisse sa petite fille de six ans. Un an à tuer à Pétaouchnok, ça peut paraitre long, sauf quand commencent à se succéder des meurtres, fil rouge de l'aventure... Le mutique héros, flanqué de ses nouveaux camarades de classe, va faire la découverte d'un monde parallèle en entrant dans les postes de télé. C'est dans ce monde délirant qu'ils vont tous réveiller leur "Persona", arcanes de tarot et incantations indispensables pour affronter les "Shadow", ces monstres qui semblent être la cause de tout ce désordre.

Le RPG des hipsters

Mais plus que les démons et plus que Teddie (cette mascotte débile qui fait le guide à travers un monde parallèle), le plus hallucinant ici reste ce groupe d'ados, stylés jusqu'au bout des ongles. Il serait facile de considérer que du haut de sa direction artistique de "jeu pour hipsters", Persona 4 : The Golden n'est qu'un Dungeon RPG pour bobos qui iront bruncher leur Vita sous la main. Le style n'est pas tout, chaque design de Shigenori Soejima est mûrement réfléchi. Le héros, formel, n'a rien à voir avec son buddy Yosuke, le petit bourge de la ville qui se balade avec son casque sur la tête. Que ce soit Chie, l'obsédé des arts martiaux, ou Yukiko, la jolie introvertie, chacun trouve ici une identité visuelle bien distincte, malgré les uniformes japonais de tous les jours.

Génération "Beaux gosses"

L'idée d'ancrer un RPG dans le quotidien, c'est la raison d'être de la série des Megami Tensei. L'ado que j'étais, cloîtré dans sa chambre à jouer sur Super Famicom à l'âge où les filles commencent à flirter avec des mecs plus âgés, ne se serait pas douté qu'il jouerait à une aventure entière réinventant ces peu glorieuses années. Bien entendu, ce qu'on ne sait pas encore, c'est qu'un jour, à force de faire des pompes le matin et de mettre des it blousons, on devient ce gars qui nous horripilait, tant alors qu'au fond, on regrette la simplicité d'une époque où l'on pouvait consacrer une centaine d'heures à un jeu. C'est un des paradoxes de Persona : retranscrire cette année scolaire qui n'en finissait pas, cette époque de la vie où le temps n'a pas encore l'air de filer à toute allure. Entre ses cours, ses donjons et ses activités extrascolaires, une par jour, on ne se projette pas à la légère dans une aventure aussi chronophage. On s'y dédie.

RPG multi strates

Persona 4 est un jeu culte mais pas encore tout à fait mainstream en occident, donc cédons un peu à l'exercice de la description, et pardon aux baroudeurs qui l'ont déjà terminé dans toutes les fins possibles. Le RPG, c'est des donjons semi-aléatoires d'une difficulté parfois si rebutante qu'Atlus n'hésite plus à rajouter une option "Easy", pour les salarymen trop occupés pour vivre l'expérience dans son intégralité. C'est la partie la plus classique : du tour par tour pépère, avec la possibilité de choisir une tactique pour chaque perso. La subtilité des attaques élémentaires n'étant plus une surprise, il reste cette attaque générale totalement cartoon dont je ne me lasserais jamais, qu'on déclenche une fois que l'ennemi est à terre. Les réjouissances de Persona, c'est tout le reste : les cours, les examens, les job à mi-temps, les activités, les sorties entre potes... Tout cela avec en ligne de mire l'augmentation de ses Social Links. En se montrant bon camarade, bon garçon ou ami fidèle, on va pouvoir augmenter ses stats. Il y a vraiment un plus à être un mec bien, à préparer un bon bento pour ses copines, à travailler le soir en rentrant, à s'occuper de la petite... Tout ça pour optimiser ses Persona en les fusionnant entre eux dans la Velvet Room, ce no man's land mystique se trouvant dans une limousine façon Cosmopolis. Déjà beaucoup de paramètres ? Bougez pas : la Midnight Channel annonce constamment la météo, sonne comme un rappel des gens à sauver, prisonniers qu'ils sont dans le monde parallèle. Tellement de choses à faire et si peu de temps ! Les années lycée passent finalement plus vite que dans nos souvenirs.

Le RPG participatif

Mais vous savez sans doute déjà tout ça. Suffisamment connu, Persona n'a plus la même aura intimiste, voire arrogante. Sortir en 2008 sur PlayStation 2, c'était déjà faire la nique à toute une génération de JRPG qui luttent encore à retrouver leur panache. Aujourd'hui sur Vita, Persona 4 : The Golden n'est que le portage d'un jeu PlayStation 2 dont le design raffiné n'avait pas tant vieilli que ça. Le revoir en HD dans le creux de la main fait plaisir, mais tout n'est finalement que prétexte à s'y replonger. Le paradoxe de ce jeu portable, c'est qu'il incite à jouer avec une connexion internet, et donc le plus souvent peinard, à domicile. Tout comme dans Catherine, une statistique se fait automatiquement à chaque choix des joueurs, et si besoin des dizaines de bulles s'afficheront à l'écran, représentant les actions les plus populaires. La pêche, nouvelle possibilité pour tuer le temps revient donc assez souvent. Et même si cette méthode de suggestion n'est absolument pas justifiée par le scénario, on a une tendance naturelle à se reposer dessus, histoire d'essayer d'approcher le plus possible de la "vraie fin". Dans les donjons, on pourra lancer un SOS, histoire qu'un autre joueur vous guérisse un peu vos corps malmenés. Des événements en plus, une chaîne de télé bonus permanente, plus d'événements doublés, autant de goodies plaisants qui n'avaient même pas besoin d'être, tant Persona 4 tutoie la perfection. Ceux qui ne l'ont pas fait prendront le train de la Vita en route, tandis que rien, pas même l'argument pécuniaire, n'empêchera les vétérans de replonger.

More than meet the eye

Mais ce qui m'étonnera toujours autant, après toutes ces heures passées à manger des snacks à la sortie du lycée en attendant de me plonger dans un donjon, c'est toutes les strates de lectures des productions de la Team Persona. Catherine n'était pas juste un puzzle-game frustrant emballé dans un joli papier, c'était avant tout le jeu prétexte sur la frustration, une tentative de réflexion métaphysique sur l'épanouissement et le bonheur. Dans Persona 3, on faisait apparaitre son alter égo en se tirant une balle dans la tête. Moins violente, la métaphore se prolonge dans cette suite, meilleure en tout point. Persona 4 est tout d'abord une esquisse d'œuvre psychanalytique émanant d'un pays où le confucianisme est l'idéologie dominante, au dépend de la réflexion sur l'inconscient. Il n'y a qu'à voir comment les personnages luttent contre leurs propres démons. Au fond, leur Persona (un terme repris du champ lexical de la psychologie analytique de Jung) n'est qu'un autre "eux-mêmes" que les héros doivent affronter. Derrière la façade qu'il offre à des gamins plein de panache, les boss sont le résultat de tout leur mal-être, de leur refoulement comme avec Kanji, ce charismatique loubard qui lutte pour affirmer sa propre identité sexuelle. C'est dans ce genre de différence que Persona 4 est remarquable. Ce n'est pas toujours très fin, même parfois un peu gimmick, mais c'est largement au dessus du simple rpg passionnant qu'il pourrait se contenter d'être. La leçon est finie.

Il est étonnant de voir à quel point Persona 4 explore tout un tas de pistes, tente des choses et les réussit quasiment toutes. Cela vaut aussi pour cette conversion tranquille. Jouant à la fois sur la mélancolie du souvenir, du défi pour gamer, et puis sur la classe innée de ses personnages, il réussit presque à nous faire oublier les longues et harassantes heures passées à s'ennuyer durant d'interminables cours qu'on rêvait de sécher pour retourner jouer à sa console. Il réussit presque à nous faire oublier que ces longs corridors de donjons ne débouchent finalement que sur nos propres obsessions. Pour qu'au bout du couloir retentisse la guitare. "I'll face myself", une fois de plus.