Avec ce premier volume du Grimoire d'Askaël, Blue Flame dévoile Hamnasya, le monde Fantasy de son auteur, Nicolas Lenain, et pose les bases de son "e-GameBook". Mais en matière de game design, même les concepts les plus simples peuvent se traîner des erreurs d'équilibrage et des idées agaçantes...

Les grosses ficelles

Tout commence bien entendu par la création du personnage qu'on incarne, Edhan. On prend sa propre photo pour lui donner un visage, puis on tire des dés pour ses caractéristiques. D'abord les primaires : Force, Intelligence, Adresse, Résistance. Puis les secondaires : points de vie, or de départ, objets de départ. On choisit ensuite un certain nombre d'aptitudes (pister, soigner, convaincre, etc.) dans une liste, et de même avec les pouvoirs (qui serviront en combat). Puis l'aventure commence, en nous balançant derechef dans de longs descriptifs de l'univers, au style ampoulé typique des romans d'Heroic Fantasy ordinaires. Noms compliqués et généalogie excessive, concepts religieux classiques mélangés, histoires de divinités maléfiques, de puissants archimages, de races familières aux lecteurs de Tolkien : tous les poncifs du genre y sont, mais on échappe au moins au syndrome porte-monstre-trésor commun à la plupart des Livres-Jeu des années 80 dont il s'inspire. On découvre le menu du jeu un peu par hasard, en voulant tourner une page, avec ses écrans classiques : fiche du personnage, inventaire, carte, une option pour prendre des notes (bonne idée), et quelques premières faiblesses du système. La carte qui ne montre pas où on se trouve dans le monde, l'inventaire désordonné qui ne rassemble pas les objets de même dénomination qu'on a en plusieurs exemplaires, ce genre de choses. Mais finalement peu importe : les premiers choix finissent par arriver (allez-vous suivre le sentier vers l'ouest, ou vous diriger vers le bastion de Janégatar ?), et on se laisse guider par le récit, même si celui-ci ne surprend guère, en retrouvant malgré tout ce plaisir simple du livre-jeu, enrichi par une ambiance sonore travaillée faite de musiques réussies et de divers bruitages d'ambiance. De même, l'esthétique globale est réussie, et à divers endroits clefs, des illustrations aident l'imaginaire du lecteur à apporter sa propre contribution - qui plus est, elles sont collectionnables pour pousser à rejouer l'aventure en prenant des choix différents.

Le livre qui buggait

Après plusieurs lectures et choix différents, plusieurs personnages et plusieurs explorations, le constat s'impose à moi : même une application en apparence très simple comme celle-ci peut souffrir de bien des défauts rédhibitoires. Le pire, je crois, que j'aie rencontré, c'était l'écran disant "Vous êtes Mort", après avoir cliqué sur "Acheter au Marchand" dans une échoppe. Obligé de repartir en arrière avec une sauvegarde antérieure. Parlons-en, tiens, des sauvegardes : il y a trois "slots", dits "signets" : ils donnent le numéro du chapitre, mais rien de plus, il vous reviendra donc de vous souvenir où ils se trouvent dans l'aventure. On ne peut pas jouer plusieurs personnages non plus ; ou alors, il faut effacer le précédent. Lorsqu'on finit l'aventure, tout du moins ce premier chapitre qui est loin de clore l'intrigue de départ, on peut en recommencer un autre, mais un nouveau bug survient alors : on a zéro dans toutes les caractéristiques de ce nouveau personnage. Il faut alors effacer la sauvegarde courante pour recommencer complètement. Puis, au cours de l'aventure, les combats laissent une telle place au hasard à chaque assaut qu'on peste parfois, d'autant qu'on ne comprend guère comment le jeu calcule : faut-il faire beaucoup sur les dés, ou peu ? En vérité, peu importe, il suffit d'avoir choisi le pouvoir "radiation mentale" et d'avoir pu ramasser quelques objets magiques (assez courants) pour se sortir facilement de presque tous les combats. Les épreuves, d'adresse, d'intelligence, de force, ou de résistance, reviennent simplement à choisir une case sur une large grille en priant pour que le chiffre qu'elle cache soit inférieur à la valeur demandée qui dépend certes de votre caractéristique mais avec une marge très limitée, et peuvent précipiter votre fin de manière particulièrement brutale. On tâtonne également au début pour utiliser ses pouvoirs ou ses objets, le jeu n'expliquant guère comment tout cela fonctionne, mais ce n'est heureusement pas trop compliqué ; c'est en revanche un peu trop fastidieux. Plutôt que d'afficher directement sur l'écran de combat illustré par votre fiche de personnage et celles des adversaires, quels objets, pouvoirs ou potions peuvent être utilisés, il faut naviguer dans les menus respectifs pour les y dénicher. Rien n'indique clairement quand on franchit un niveau (il faut consulter sa fiche de perso pour le voir), et moins encore comment et quand utiliser les fameux points d'évolution (l'équivalent des points d'expérience). Et, parfois, on n'arrive tout simplement pas à afficher le menu du jeu, Dieu seul sait pourquoi.

Au final, proposé à 4,5 euros pour une version universelle iPad et iPhone (compatible Retina), Hamnasya propose un récit qui aura un peu de mal à passionner les vieux routards de la fantasy, mais surtout une application qui souffre encore de défauts d'interface, de bugs, et d'un système de jeu opaque et archaïque, alors qu'il y avait là une occasion en or de le moderniser un peu. Pour autant, elle ne manque pas de charme, et surtout, elle est unique en son genre. Ca reste un peu cher pour un premier chapitre somme toute vite exploré de fond en comble, mais les amoureux des Livres-Jeu y trouveront le seul équivalent numérique sur tablettes et smartphones de ce genre né dans les années 70.