Si j'avais déjà été plutôt enthousiasmé par mon premier contact, manette en mains, avec le titre d'Eidos Montréal, je dois avouer que les quelques jours passés dessus m'ont encore plus donné envie de voir la suite. Car la version avec laquelle j'ai passé beaucoup (beaucoup) de temps s'arrêtait brutalement après ce qui semble être le premier chapitre d'une histoire qu'il me tarde de parcourir entièrement.

La pointe de l'iceberg

A bien des égards, il faut distinguer la surface de DXHR, de son coeur. Bien sûr, pas seulement du côté de l'histoire, qui s'articule autour d'une gigantesque conspiration qu'on ne fait finalement qu'effleurer lors de ces 10 premières heures, mais aussi du point de vue technique. Car il faut bien reconnaître que si la direction artistique s'affirme comme une réussite totale, et confère une identité visuelle sublime au jeu, la technique et de menus détails pourraient faire grimacer. C'est sûr, après avoir passé des heures dans Detroit, l'un des plus gros hubs du jeu, et d'autres niveaux annexes, mais aussi noté quelques éléments un peu perturbants, il faut bien reconnaître que si on peut encore s'attendre à des raffinements d'ici la sortie cet été, Deus Ex : Human Revolution ne sera pas le plus abouti des jeux de 2011 au niveau technique. Certains personnages secondaires sont un peu grossiers, le moteur reste fluide mais n'affiche pas non plus une myriade de détails à la Crysis Ouatemille. Quand on attrape un corps pour le tirer et le planquer, aucune main ne saisit le malheureux, pas plus que lorsqu'on saisit un objet. En fait, c'est exactement comme le premier Deus Ex, ou presque, de ce point de vue. Sans doute dans un souci de fluidité ludique. Alors, oui, on peut toujours rêver d'un jeu qui eût été époustouflant à ce niveau, mais ce ne sera pas le cas. Sinon, on peut aussi se concentrer sur la beauté de la direction artistique, et surtout de l'ambiance absolument géniale, pour mieux plonger dans un gameplay, qui, lui, restitue l'expérience originale comme on le désirait, tout en introduisant de jolies nouveautés. C'est ce que j'ai fait, et ceux qui n'en feront pas autant risquent de passer à côté d'une expérience qu'on devine tout à fait prenante.

Explorer pour mieux observer

Maintenant qu'on a évacué les sujets qui fâchent un peu (j'ai joué sur une version PS3, il faut noter qu'évidemment, la version PC sera un peu plus fine et propre, sans toutefois toucher des sommets non plus), abordons l'immense, que dis-je, la titanesque quantité d'éléments magiques, malins, bien vus, ou même tout simplement plaisants que laisse entrevoir ce contact (très) prolongé. D'abord, la direction artistique, oui, mais aussi, pour étendre sur les composantes d'une atmosphère tout simplement époustouflante, une musique absolument géniale. Michael McCann s'est surpassé. On savait que le soin sonore était un élément fondamental dans l'établissement d'une atmosphère, mais en complétant les sonorités d'un Vangelis ultramodernisé d'influences visuelles très bien digérées et mélangées, issues pour part de l'Art de la Renaissance et pour autre des codes de la SF à la Blade Runner, l'ensemble devient impressionnant de justesse. Presque comme si la chance s'en était mêlé. Partout, des coupures de presse numériques à consulter, des emails à lire, des passants discutant de politique, s'opposant aux "augmentés" de manière virulente, échangeant sur le terrorisme et les nombreux sujets d'une société sombre, caricaturant la nôtre (ou anticipant son futur, penseront à raison certains).

La première fois qu'on entre dans l'appartement d'Adam, dans une des ruelles riches de Detroit, et que les volets automatiques s'ouvrent pour laisser passer les rayons d'un soleil mordoré semblant artificiel, c'est tout simplement magique. Le contraste entre la propreté de bloc opératoire des locaux marbrés et clairs de Sarif Industries, et les arrières-rues crasseuses de l'autre côté de l'hopital de Detroit ; la complexité des couloirs du commissariat local, où chaque salle et chaque bureau semble avoir sa fonction, et la simplicité des appartements de classe moyenne clonés jusque dans leur papier peint comme des cages à lapins pour humains ; chaque élément sonne juste. La variété des décors est paradoxalement à la hauteur de leur cohérence dans un univers où tout est travaillé pour renforcer l'immersion de ceux qui prendront le temps de l'explorer. Et explorer les ruelles, bureaux, et appartements dans le Detroit de Deus Ex HR, c'est déjà, en soi, un plaisir rare.

Observer pour mieux réfléchir

Car c'est par le biais de l'exploration qu'on trouvera d'une part des solutions alternatives en pagaille (oui, oui, vraiment, en pagaille) pour infiltrer certains lieux ou trouver des informations pour différents objectifs, et d'autre part des quêtes secondaires en plus (très habilement tissées dans l'univers et l'histoire principale). En grande partie grâce à un level-design dense et finement pensé (car ce ne sont pas une ou deux possibilités, mais plutôt 7 ou 8 qu'on peut trouver à chaque fois pour avancer), mais aussi à une écriture assez fine, qui ne fait pas l'économie du volume, ni d'un humour grinçant ou geek, ni d'une réflexion vraiment intéressante sur les thèmes sous-jacents de cet univers cyberpunk, tant sociaux que politiques ou éthiques. Evidemment, explorer, hacker des appartements privés, et autres keypads d'entrepôts, tout cela permet aussi d'accumuler plus de points d'expérience, et autant être clair : vous allez courir après ces points, tant le système d'augmentations, qui demande deux points de "praxis" pour ouvrir une nouvelle voie, et 1 point pour en améliorer une que l'on possède déjà, va vous mettre la bave au lèvres et l'envie de tout essayer. Mais nous y reviendrons plus tard.

Pour l'heure, l'exploration de l'univers fonctionne donc à merveille. Exit les couloirs étriqués de Deus Ex Invisible Wars, retour à des environnements aussi denses que ceux du Deus Ex original. Cela ne veut pas dire pour autant que Detroit fait des kilomètres de large : on la parcourt de bout en bout assez rapidement, en vérité. Elle pourrait même paraître, à l'heure des jeux open-world tels que GTA, un peu petite. Mais ses rues sont suffisamment tarabiscotées, ses passages et voies suffisamment portées sur une certaine verticalité, pour qu'on en ait le tournis. Egoûts, voies du métro, ruelles, escaliers de services, intérieurs de bâtiments aux multiples entrées, arrière-cours, bouches d'aération, gouttières, trous de palissades cachés par des caisses... en réalité, plutôt que de faire dans le très grand, DXHR a choisi de faire dans le très dense. Et ça marche. Chaque découverte devient ou aboutit sur une récompense. Parfois les deux. Vous avez choisi l'augmentation de force physique en pensant faire un tank d'Adam Jensen ? Qu'à cela de tienne, vous pourrez en profiter pour déplacer les lourdes bennes à ordures, là, et découvrir un couloir inaccessible aux autres. Vous avez opté pour le camouflage optique ? Dans ce cas, passer devant ces deux sentinelles pour atteindre la petite bouche d'aération, là-bas, sans vous faire remarquer ne devrait pas être un problème. Vous n'avez rien de tout ça ? Pas grave. Un peu de jugeote et d'observation, et vous trouverez toujours un moyen de progresser.

Réfléchir pour mieux progresser

Vous pouvez aussi vous la jouer gros bourrin, et ne pas chercher à honorer tous ces éléments. Soit, après tout, c'est aussi un jeu d'action. Mais progresser ainsi, dans les limites de l'inventaire strict (qu'il faut améliorer grâce aux implants de force, dans ce cas), ça ne veut pas dire pour autant faire n'importe quoi. On n'est pas dans un Call of Duty, malgré la variété des armes proposées, toutes personnalisables avec de rares et prisées améliorations diverses, ou des munitions d'un autre genre. Je continue pourtant de penser que négliger le côté très travaillé de l'infiltration reste dommage, mais c'est vous qui voyez. Ou verrez, plutôt... Car même au niveau du combat, il faudra faire usage de multiples possibilités. Soit jouer la rapidité pour déchirer la gorge d'un ennemi avant qu'il ne donne l'alerte en passant par un "take down" cinématique bien classieux, soit user du système de couverture très fluide pour mieux éliminer des ennemis qui peuvent se montrer coriaces ou pénibles. Au cours des missions qui constituent le début de DXHR, quoiqu'il arrive, et quelle que soit votre approche, si vous n'êtes pas du genre à vous investir un minimum pour jouir d'un game design riche, vous pouvez le retirer de votre liste d'achat. Ici, on ne vous prend pas beaucoup par la main, et il y a beaucoup, beaucoup de choses à côté desquelles passer si on se lance dans DXHR comme dans un FPS de base. D'ailleurs, il suffit pour s'en convaincre de consacrer toute sa concentration à se dépêtrer d'une première discussion avec un preneur d'otage, afin qu'il puisse s'en sortir vivant, et qu'il nous apporte une aide inespérée quelques heures plus tard, pour se dire que les couillons qui feront descendre terroriste et otage par la négligence seront bien embêtés. Par contre, c'est vrai, ils ne se seront pas attiré les foudres du patron, eux...

Progresser pour mieux choisir

La seule chose que je n'ai finalement pas vraiment retrouvé de mon expérience sur le premier Deus Ex, c'est la possibilité d'échanger avec les autres membres de la rédac sur les méthodes employées pour telle ou telle mission. Forcément, j'ai squatté la version comme un enfoiré, et eux n'en avaient pas. Mais pour palier un peu à ce plaisir finalement important d'une expérience aux multiples chemins comme celle que propose Deus Ex Human Revolution, j'ai consacré le temps nécessaire à essayer différentes approches et à tout bien explorer. Que ce soit au niveau des dialogues de scènes importantes, ou pour les niveaux, bien sûr, mais aussi des augmentations. Et là, c'est la CA-TA. La CATASTROPHE. Bin oui : TOUT a l'air trop bien ! Qu'on opte pour les renforts de discrétion qui permettent de faire moins de bruit en sautant ou marchant, ou bien pour une réalité augmentée plus présente permettant par exemple de voir à travers les murs, un radar plus précis, le camouflage optique, ou l'amélioration des différents outils du parfait hacker cybernétisé (parce que le piratage est aussi primordial que trippant, tant le mini-jeu est génial), de quoi faire des sauts de malade, ou soulever des trucs très lourds comme cette tourelle, là, ou bien encore de donner des coups de poing à travers les murs, d'augmenter sa capacité d'inventaire... il y a une tonne de possibilités, et aucune ne paraît moins intéressante que les autres. Seulement voilà : il n'y a pas des myriades de points de praxis à récupérer (on en gagne un par niveau, et certains objets très rares permettent d'en récupérer un de plus quand on les trouve). Alors il faut faire des choix. Et c'est un peu toute l'histoire de ce Deus Ex. Choisir son approche, choisir sa stratégie, ses armes, ses réponses, ses augmentations... bref, son histoire. Et alors que je m'apprête à mettre un point final à cet article dans lequel il me fut très dur de ne pas spoiler trop ces premières heures de jeu, le casque sur les oreilles en réécoutant les musiques du jeu, je me remets à avoir envie d'y jouer. De voir la suite, après ce combat de boss assez éprouvant. Il va falloir que je patiente, tout comme vous, pour cela, mais je sais que je ne regrette pas ma pré-commande. Oh, ça non.

Vous l'aurez compris, Deus Ex Human Revolution laisse une véritable saveur en bouche, creusant l'appétit du joueur dans la longueur. L'appétit pour son histoire, son univers, son gameplay multiple et habilement ciselé vient en le dévorant. Passés quelques grincements vis-à-vis de certains petits détails un peu gênants, on plonge finalement de plain-pied dans un univers à la narration ultra soignée, qui se dévoile peu à peu dans tout ce qu'il a de plus subtil, à celui ou celle qui sait pourquoi il y joue. C'est jouable, propre, malin. Ça n'a pas le niveau technique du plus gros blockbuster de l'année, non, parfois, l'IA fait des siennes (un flic qui ne réagit pas alors que deux de ses potes ronflent à 2 mètres après une giclée d'anesthésiant), mais ça a tout de même tellement plus de richesse... En tout cas, il semble parti pour remplir son contrat, et j'ai hâte, vraiment, de voir la suite. Le cyberpunk est enfin de retour.