Nous retrouvons donc la jeune Ellie là où nous l'avions laissée à l'automne dernier : dans les rues de Seattle, en proie à une végétation dense, et potentiellement truffée d'ennemis. Comme chacun sait, les humains et leur cruauté réfléchie sont sans doute plus à craindre que les Clickers, relativement binaires. Qu'importe, les rues semblent pour le moment désertes, prétexte à un peu d'urbex post-apo, qui témoigne immédiatement de l'ouverture maîtrisée de cette seconde partie : tout autour de nous, les bâtiments abandonnés regorgent de loot et d'améliorations en tout genre, mais encore faut-il avoir la curiosité d'y pénétrer. Il faut dire que les barricades sont nombreuses, et il faut donc faire preuve d'un peu d'observation pour trouver un interstice salvateur, qui dévoile une narration environnementale à la carte, riche, variée, et toujours d'une grande justesse. Ne comptez pas sur une quelconque map, aussi mini soit-elle : pensé jusque dans les moindres détails, le design de The Last of Us Part II se suffit à lui-même, et à l'instar des dernières grosses productions first-party de Sony, témoigne d'une volonté affichée de réduire au plus strict minimum les éventuelles indications présentes à l'écran. Les résidus de HUD qui apparaissent lors du choix de l'arme s'effacent aussi sec pour mieux permettre à l'image de remplir la totalité de l'écran, et le résultat s'avère aussi immersif qu'intelligent.

Un pavé dans la vitre

Sans carte pour se repérer, il suffit alors de faire appel à son sens de l'orientation (combiné avec un peu de jugeote) pour explorer du sol au plafond les structures environnantes, qui s'entendent comme autant de potentielles rencontres : loin de servir de prétexte pour gonfler artificiellement une durée de vie qui n'en a sans doute pas besoin, les combats de cette première zone exploitent avec ingéniosité le level design des bars, hôtels et autres garages que l'on remonte progressivement, en conservant les yeux sur la croix rouge que l'on distingue toujours au loin, afin de ne jamais perdre le fil. Pour peu que l'on prenne de temps d'admirer le paysage, les possibilités sont partout : une simple vitrine ne demande qu'à être pulvérisée d'un bon coup de brique pour s'y aventurer... Seule ombre au tableau : les Infectés qui avaient jusqu'ici fait preuve d'une relative discrétion n'en demandaient pas tant, et c'est en quelques secondes toute la rue qui se transforme de terrain de chasse, alors que l'on se demande, tapi dans les hautes herbes, si tout ce raffut en valait finalement bien la peine. Heureusement, Ellie peut une nouvelle fois compter sur son arc pour descendre un à un les quelques gêneurs qui déambulent, avant de récupérer un butin bien mérité.

L'intelligence du joueur

Plus loin, un autre bâtiment abandonné se révèle être le théâtre d'une rencontre optionnelle au possible, qui donne sans jamais les expliciter les codes de cet univers évidemment impitoyable, et permet parfois en quelques secondes de comprendre tout ce qu'a dû endurer la jeune adulte depuis le premier épisode. The Last of Us Part II semble ainsi jouer dans une catégorie à part, celle des AAA intelligents, qui n'ont pas besoin d'afficher continuellement l'explicite pour raconter leur histoire, préférant faire appel à l'intelligence des joueurs, et à leur capacité d'interprétation. On en redemande. Il en va de même des puzzles à résoudre : si les plus habiles trouveront seuls la solution, à certains d'entre eux, il faudra parfois explorer avec astuce un pavillon délabré pour remonter le fil d'Ariane qui vous permettra de trouver la combinaison de ce fichu coffre-fort. Naughty Dog consentira parfois à lâcher un indice, une fois passées plusieurs minutes à tourner en rond, mais c'est toujours au joueur qu'il revient de recoller les morceaux (ou les wagons), tout seul comme un grand, un parti-pris rare dans un jeu au budget si conséquent, qui lui permet de s'élever encore un peu plus au-dessus de la mêlée.

Avec pertes et fracas

L'expérimentation est également le maître-mot qui structure plus qu'aucun autre les combats, qui ponctuent avec un sens du rythme maîtrisé tout du long l'exploration intérieure et extérieure de Seattle. La première rencontre avec les Stalkers pose d'emblée les règles du jeu pour ceux qui auraient oublié ces Infectés, si discrets qu'ils masquent leur présence même du mode Écoute : occupés à grignoter une carcasse humaine, ils fuient immédiatement pour mieux surprendre au dernier moment la pauvre Ellie, qui se remémorera quelques trucs et astuces à voix haute au fil des échecs. L'absence d'humains permet heureusement de faire péter l'artillerie lourde sans complexe, et l'on se félicite alors d'avoir amélioré le fusil à pompe pour venir à bout de la meute sans avoir à recharger. Quelques dizaines de minutes plus tard, le braquage du coffre-fort s'avère plus que payant.

À l'extrême inverse, la confrontation avec les Scars requiert la plus grande discrétion, et une vitesse de mouvement que l'utilisation du mode Écoute ne facilite pas. Ces ennemis des "Wolf" (le fameux Washington Liberation Front) sont passés maîtres dans le maniement de l'arc et de l'encerclement en groupe. Face à ces humains d'une féroce rapidité, il faudra profiter des hautes herbes tout en décochant une à une des flèches en pleine tête, pour les récupérer en continuant à décimer les troupes adverses. L'entrée en scène de ces adversaires d'un nouveau genre change alors la donne, et oblige le joueur à la plus grande polyvalence. La tension est palpable à chaque instant, mais l'observation permet une fois de plus de s'en sortir : pour communiquer entre eux, les Scars usent comme dans le Béarn d'un langage sifflé, dont on comprendra assez vite les grandes lignes, pour mieux filer à l'anglaise, ou dans le pire des cas balancer un bon vieux cocktail Molotov sur la meute qui ressert son étreinte. Ellie pourra compter sur de toutes nouvelles améliorations, qui se situent d'un bout à l'autre du spectre de la discrétion : d'un côté, les flèches explosives permettent de distraire l'adversaire ou de générer de gros dégâts sur un petit groupe, tandis que le silencieux du pistolet automatique autorise l'usage d'arme à feu même en pleine infiltration. N'espérez toutefois pas en abuser, puisque ce dernier saute après trois utilisations, et il faudra en crafter un nouveau, à moins de consommer quelques pilules chèrement acquises pour renforcer leur durabilité. Une fois de plus, tout est question de choix.

L'arène du bal

Malgré l'ouverture de la zone de jeu, le pathfinding reste clair, logique, tenant compte de l'architecture des bâtiments parcourus, et le studio californien joue avec subtilité sur les couleurs vives ou les infiltrations de lumière pour orienter le regard du joueur, et faciliter une progression qui semble ne souffrir d'aucun temps mort. Et derrière ses somptueux graphismes qui s'accompagnent d'un langage corporel assez saisissant, The Last of Us Part II impressionne sans doute plus par ce qu'il ne montre pas : de subtils équilibres permanents dans son design, qui permettent à un environnement de prime abord simplet de se transformer en arène, et de raconter, à chaque fois, un affrontement structuré, et pourtant aléatoire. La mort et le reboot d'une séquence d'affrontement peut très bien changer la disposition des ennemis, et le schéma qui se mettait en place doit être complètement repensé, pour espérer progresser sans dégâts. La route qui mène à l'hôpital n'est pas si difficile, mais le niveau semble tout de même monter d'un cran à chaque rencontre. Libre à vous de foncer tête baissée dans la mêlée, mais pour la jouer discrète, Ellie sera bien inspirée de fouiller en profondeur les couloirs sombres de l'hôpital, qui tranchent radicalement avec la nature sauvage qui recouvrait jusqu'à présent le béton de Seattle.

ON L'ATTEND... À MORT !!!
Difficile de cacher notre enthousiasme après cette nouvelle séquence dans les Converse d'Ellie : aussi brillant sur le fond que sur la forme, The Last of Us Part II s'annonce définitivement comme une suite ouverte, intelligente, et qui profite d'une technique au service d'une immersion totale. Alternant les moments de tension avec des phases d'exploration, cette suite poursuit un exercice d'équilibriste assez fou, en distillant sa narration à travers une multitude de situation et de détails, tout en affichant la plastique intestable d'un AAA first party. Autant vous dire que nous n'avons plus qu'une hâte : découvrir le fin mot de cette incroyable histoire !