Si les volumes se révèlent stratosphériques (près de 60% des 25 milliards de téléchargements de l'AppStore), si le jeu est désormais partout, en revanche Apple pourrait bien être en train de paradoxalement casser la valeur du jeu. En effet, à force de proposer des expériences numériques à un prix dérisoire, le public s'habitue à ne plus payer, ou si peu. Conséquence, un choc psychologique... puis des répercussions économiques pour les développeurs !

L'Eldorado à bon dos

Ainsi Owen Goss (un développeur indépendant) a mené un sondage détaillé auprès des développeurs de jeux et d'applications iOS. On y apprend que la moitié de ces créateurs travaillent... seuls. Autres chiffres intéressants, 50% des développeurs génèrent moins de 3.000$ avec leurs applis (on ne parle pas ici uniquement de jeu), tandis que 4% dépassent le million de dollars. Beaucoup d'entrants donc... mais peu d'élus.

Dans le même temps, boostée par les très gros succès, la moyenne des chiffres d'affaires générés s'établit à 165.000$. On comprendra donc bien que les applis/jeux sur smartphone ne sont pas forcément un eldorado où l'on gagne à tous les coups. "Evidemment" s'exclameront certains, mais les conséquences suivantes peuvent être redoutables. A force d'habituer les gens à ne presque plus avoir à payer pour leurs applis/jeux, Apple risque d'obliger, même indirectement, les développeurs à revoir le prix de leurs jeux à la baisse (cf le fameux prix unique comme en musique où iTunes à dicté sa loi à tous les autres acteurs)... et donc mettre en danger leurs possibilités de rentabilité. Quelle place aussi pour les expériences plus riches, plus chères ? Sera-t-on obligés de se cantonner à du snack gaming, aussi fun soit-il ? Je ne l'espère pas.

L'inflation menace

Il ne m'étonnerait pas qu'en réaction, au contraire, les prix des jeux smartphones et tablettes plus ambitieux se mettent à grimper pour se stabiliser vers les 15€. C'est déjà le cas avec certains titres d'éditeurs plus établis comme EA ou Square Enix, mais économiquement parlant, il paraît suicidaire de coller à business model où la rentabilité n'est atteinte qu'avec des volumes extraordinairement élevés. Certes les modèles d'achat in-app fonctionnent, mais le financement généralisé des titres AAA appuyé sur ce seul business-model paraît encore aujourd'hui des plus risqués.

N'oublions pas une chose : Apple vend des appareils, qu'il s'agisse d'iPad, d'iPhone, d'iPod Touch... et demain des TV. L'important pour la firme, là où elle génère de vraies et larges marges, reste le hardware. Une position radicalement différente de celle des constructeurs de consoles traditionnelles Nintendo, Sony, et Microsoft qui, eux, gagnent leur argent sur les jeux et les royalties attachés. Deux visions du jeu vidéo vont donc s'affronter. Un affrontement et un danger dont parlait sans détour Satoru Iwata, président de Nintendo, lors de la GDC 2011. Morceaux choisis :

[Les smartphones] n'ont aucune motivation à maintenir une forte qualité des jeux. C'est par la quantité qu'ils font du profit. La valeur des logiciels de jeu leur est égale. Il y a donc deux facettes différentes dans le business du jeu vidéo [aujourd'hui]. Oui, les heures que font les développeurs sont toujours trop longues, et le stress trop élevé, mais jusqu'à maintenant il a toujours été possible de gagner sa vie. Est-ce que ce sera toujours le cas dans le futur ? Qu'est-ce qui se vendra assez pour contre-balancer mon investissement ? Qu'est-ce qui permettra de préserver les emplois ? Qu'est-ce qui maintiendra mon business en vie ?

Le message est clair : développeurs, méfiez-vous. Car s'il n'a jamais été aussi facile de faire un jeu sur smartphone, si réaliser des volumes relativement élevés paraît plus facile que sur des machines de jeu traditionnelles... la rentabilité demeure un vrai souci, voire un piège. Plus que jamais la bonne idée, au bon moment, avec le bon visuel remportera l'adhésion, mais paradoxalement s'extirper de la masse n'aura jamais été aussi dur.

Alors attention cependant, comme le souligne son auteur, ce sondage ne prend en compte que les réponses de 252 développeurs et notre ami n'est pas statisticien. S'il faudra donc éviter de généraliser instantanément ces résultats, ces derniers indiquent néanmoins une tendance et une réalité pour de nombreux développeurs, qu'il serait dangereux d'ignorer. Reste une certitude, si le jeu vidéo n'a jamais été aussi populaire et démocratisé... il semble traverser une nouvelle période agitée, celle où des choix fondamentaux devront être fait pour continuer sa croissance. La plus harmonieuse et joueuse possible, espérons-le...