Double ration de Joker et consorts  

Après le succès remporté par "leur" premier Batman, les gars de Rocksteady se sont sans doute retrouvés face à un problème de taille. Comment faire mieux ? Comment réussir à améliorer une recette qui frisait la perfection ? Définitivement talentueux, et visiblement très confiants, les développeurs anglais ont pris le risque d'innover. Le genre de chose qui, pour une série à succès, n'intervient en générale qu'au troisième voire quatrième opus, après que joueurs et critiques aient clairement fait entendre leur lassitude à se voir servir la même soupe continuellement. Rocksteady n'a donc pas attendu qu'on lui fasse quelconque reproche et a amorcé un virage qu'on n'attendait pas si serré. La surprise est si grande, qu'on ne manque pas d'être désorienté et, on peut le dire, un poil moins enjoué qu'à l'époque d'Arkham Asylum sur les deux premières heures de jeu. Car là où son prédécesseur nous prenait par la main pour nous transporter dans une histoire maîtrisée et cadrée de bout en bout, Arkham City nous lâche très vite au coeur d'un terrain de jeu gigantesque qui ne tarde pas à trahir la nouvelle direction prise par la progression : nous sommes ici en présence d'un jeu à monde ouvert.

Le point de départ de l'histoire joue aussi les contre-pieds puisque l'intro jouable met en scène Catwoman et non Batman. Bruce Wayne ne tarde pas à montrer le bout de sa cape. On le retrouve, à visage découvert, jeté en pâture à tout un tas de gangsters et autres voyous enfermés à Arkham City.
Arkham City est le nom donné à la prison mise en place par Quincy Sharp, nouveau maire de Gotham, ancien directeur d'Arkham Asylum pour ceux qui l'auraient oublié. La brillante idée de ce politique corrompu transforme donc toute une parcelle de la ville en terre d'accueil pour les tarés du coin, le tout clôturé de barbelés. Cette ville dans la ville se retrouve donc régie par une guerre des gangs dominés par les plus illustres vilains de la saga. Dans chaque rue, on croise ainsi des sbires du Pingouin, de Double-Face et bien sûr, du Joker, toujours présent après son arrestation à la fin de l'épisode Asylum. Si le scénario se veut une suite direct à ce dernier, il occupe cette fois une place moins importante dans notre progression.

Le "Trop" c'est comme le "pas assez"

C'est là où le jeu prend une dimension "open world". A tout moment, le joueur est libre de définir un objectif différent de celui permettant de faire avancer la trame. Si c'est bien au joueur à qui il revient de prendre cette décision, le nombre de sollicitations incitant à la distraction ne manque pas. Dès le départ, à la sortie de l'édifice où se déroule le premier face à face entre la chauve-souris et un de ses ennemis, notre radar ne sait plus où donner de la tête. Un prisonnier politique à défendre ici, une scène de crime à analyser là-bas, la trajectoire d'une balle de sniper à définir quelques pas plus loin et même, des téléphones publics qui sonnent aux quatre coins de rue avec au bout du fil, un assassin de la pire espèce. Le panel d'occupations semble dès le départ si large et varié qu'il fait presque peur et finit par perdre le joueur. Pas préparé à ça, on se retrouve en effet à se demander par où commencer sans trop comprendre si telle mission secondaire à un rapport avec les objectifs principaux.
Après quelques heures jeu, on finit pourtant par s'y faire et à apprécier cette possibilité de s'évader quelques temps de notre enquête majeure pour en faire avancer une autre. Ces quêtes secondaires deviennent dès lors un véritable cours de Batmania permettant de découvrir l'univers de méchants sans doute peu connus pour le néophyte de la discipline. Si personne ne sera surpris de croisé Mister Freeze, seuls ceux qui se sont un jour réellement penchés sur les aventures du Dark Knight ne découvriront pas les noms de Calendar Man ou du Chapelier-Fou. Plutôt de courte durée pour la plupart, ces missions renforcent la profondeur du jeu en laissant aux plus curieux, la possibilité d'approfondir leur aventure tout en révisant leur culture Gothamesque. On notera au passage que certaines semblent poser les bases d'une histoire qu'on pourrait retrouver à posteriori, dans une suite ou des DLC.

On rappellera quand même que le premier épisode se montrait tout aussi généreux en matière de personnages secondaires mais qu'il avait réussi à les implanter dans la trame principale de façon invisible. Il était donc tout à fait possible de nous épargner cette sensation de "trop à faire" tout en gardant un casting copieux. A vouloir se montrer trop généreux, Rocksteady a ainsi perdu cette maîtrise de progression qu'il avait su nous offrir dans Arkham Asylum. Cela se ressent même avec les énigmes de l'Homme-Mystère. Beaucoup plus nombreuses ici, elles atteignent un nombre total de 400 (auxquelles s'ajoutent les 40 de Catwoman). Entre les points d'interrogation à découvrir dans le décor (à condition de trouver le bon angle de vue) et les trophées à ramasser un peu partout (au prix de mécanismes tordus), l'omniprésence d'Edward Nigma tend à l'indigestion et il faudra vraiment avoir du temps à perdre pour tenter de résoudre son catalogue complet. Un impératif malheureusement, pour qui voudra terminer la quête annexe dédiée au Sphinx (son autre surnom).
 
Une valeur sûre malgré tout

Rassurez-vous, ce nouveau Batman ne va pas plus loin dans le registre "changement qui dérange" car côté gameplay, on retrouve l'excellence du premier et quelques nouveautés bien senties. Toujours au coeur du sujet, les combats ont gardé leur dynamisme, leur impact et leur jouabilité aux petits oignons. Chaque bagarre donne lieu à un véritable ballet orchestré autour d'une palette de mouvements plus large qu'auparavant, à laquelle s'ajoute un système d'esquives multiples et de nouveaux gadgets. Tel un ninja, Batman peut à présent disparaître dans un nuage de fumée grâce à la grenade fumigène, étourdir ses ennemis à l'aide d'un fusil à impulsion électrique ou encore les immobiliser avec un canon givrant. Si les nouveaux outils de travail ne tombent en notre possession qu'après certaines scènes clés, on apprécie de retrouver dès le départ l'attirail complet ramené de l'île d'Arkham. Gel explosif (dorénavant infini), Batarang, tyrolienne, Bat-griffe... tout est là, sans oublier l'importantissime grappin. Outre son utilité pour atteindre les endroits surélevés, ce dernier permet de naviguer dans Arkham en virevoltant d'un bâtiment à un autre comme le ferait Spider-Man. L'impression de liberté est à ce propos totale puisqu'on peut dès le début accéder à toute la ville et que seules quelques entrée d'immeubles nous sont refusées en fonction de notre avancée dans la campagne.

Le terrain de jeu est tout cas supérieur à la péninsule visitée précédemment et on passe cette fois, la majeure partie de notre temps en extérieur. Graphiquement, les personnages gardent leur rendu magnifique et que les intérieurs diffèrent finalement assez peu des différentes ailes de l'asile d'Arkham. Par endroit, le level-design paraît même inchangé et il fait toujours la part belle aux approches multiples de l'infiltration (positions surélevées, grilles...). Sur le plan esthétique, le plus gros changement se ressent dans la dominante de couleur d'Arkham City, très terne pour retranscrire le côté lugubre d'un lieu devenu par la force des choses, un ghetto. Ruelles obscures, métro abandonné, arrière cour coupe-gorge... on est loin de l'environnement naturel d'Arkham Asylum et de sa cave abritant une Bat-Cave. Ici, les lieux pour se faire peur ne manquent pas. On en apprécie que mieux le contraste volontaire des enseignes colorées de certains lieux clés, comme l'aciérie décorée par le Joker ou le commissariat aux murs rafraîchis par Mister Freeze. Appréciable aussi, mais trop rares, les clins d'oeil au passé de Bruce Wayne, comme cette fleur déposée sur le sol, là où deux silhouettes sont dessinées à la craie derrière un cinéma. Vous avez deviné de quoi il s'agit ? Sachez en tout cas que s'attarder à cet endroit offre un petit moment chargé d'émotion accompagné d'une splendide musique.
Le son reste d'ailleurs une valeur sûre de ce nouvel épisode. Avec un thème principal de grande qualité et un doublage français toujours aussi soigné où l'on retrouve les voix du précédent épisode, on en oublierait presque l'absence d'une option VO qui nous aurait permis d'écouter l'acteur Mark Hammil (Luke Skywalker) dans la peau du Joker.

Le sentiment qui prédomine finalement en jouant à ce Batman diffère selon le nombre d'heures de jeu au compteur. Il y a d'abord celui des deux-trois premières heures qui entre vieilles habitudes et surprises, se teint d'une demie déception face à un cahier des charges qui apparaît brouillon. Puis vient le moment où on finit par comprendre quel évènement renvoie à tel personnage ou quelle parcelle de la ville est dominée par un autre. On découvre alors une trame principale qui se révèle plus habile qu'au premier abord, tout en grappillant indice après indice dans les quêtes secondaires. La carte de la ville bien en mémoire et l'équipement bien garni, on se rend compte que la richesse de l'univers n'est pas loin d'égaler celle du gameplay, toujours aussi exemplaire ! Alors il y a certes quelques fausses notes en termes de rythme et un manque d'approfondissement pour certaines histoires secondaires, mais on atteint un degré de qualité qui fait honneur à l'original.
Jouer avec Catwoman est aussi une bonne idée. En plus de ce qu'elle apporte à l'intrigue, la jolie féline offre une maniabilité encore plus souple durant les combats et nous gratifie de quelques variations de gameplay bienvenues (quoique sous-exploitées dans l'ensemble). On ne peut toutefois que pester contre l'éditeur qui rend Catwoman à "usage unique" avec un code d'utilisation permettant de débloquer les chapitres la concernant, alors qu'elle joue un rôle prépondérant dans le scénario !

Pour le reste, on regrettera le manque d'intérêt des nouveautés dans le mode "défis" où l'on retrouve ces missions basées soit sur le combat, soit sur l'infiltration. Le système d'obtention des médailles y est ici semblable au premier opus avec un impératif de score ou des contraintes d'approches selon le type d'objectif. Les modes "campagne" et "défis personnalisés" font leur apparition, mais ils apportent trop peu. Le mot "personnalisé" est un peu usurpé puisque le joueur peut simplement déterminer les contraintes d'approches (limite d'utilisation d'un objet, santé des ennemis...) alors qu'on aurait pu rêver d'une plus grande liberté. Créer ou modifier nos propres niveaux et pouvoir placer les ennemis à notre guise aurait été autrement plus stimulant pour notre imagination. Et pourquoi ne pas rêver de les utiliser ensuite en multijoueurs tant qu'on y est ? Mais toujours pas de multi dans ce Batman qui s'applique une fois de plus, à offrir un contenu solo AAA. Loin de nous l'idée de s'en plaindre, mais il n'aura échappé à personne que ce deuxième épisode ne surpasse pas son prédécesseur en terme d'intensité.