Diversification accrue de l'offre...

L'émergence de nouveaux genres et la diversification des expériences de jeu ne constituent pas une nouvelle tendance en soi, puisqu'elles sont aussi vieilles que le jeu vidéo lui-même. Mais la démographie des joueurs, elle, atteint aujourd'hui une segmentation qu'elle n'a jamais pu vivre auparavant, avec des adultes dans la fleur de l'âge qui ne s'arrêtent pas de jouer. A 40 ans passés, je suis bien placé pour le savoir : les premières générations de joueuses et joueurs n'ont pas lâché l'affaire. Pour autant, leurs goûts et leurs attentes s'éloignent de plus en plus, à mesure qu'ils vieillissent, de la traditionnelle cible des 13-25 ans pour laquelle les jeux sont souvent conçus aujourd'hui. EA s'éloigne peut-être des expériences narratives linéaires, et ne serait pas le seul à le faire, mais ce n'est à mon sens qu'une partie de l'équation. De nouveaux segments devraient apparaître pour satisfaire des secteurs démographiques émergents qui n'existaient pas hier, et sans pour autant prendre le pas sur d'autres, ces segments représenteront un marché à (re)conquérir.


Hellblade, en limitant sa motion capture à une seule protagoniste, et en optimisant sa production autour de 20 personnes talentueuses, a réalisé ce que d'aucuns auraient cru impossible.

Par ailleurs, Ninja Theory a prouvé récemment qu'il était possible de produire des jeux d'une qualité AAA, sans engager les budgets faramineux du secteur et dans ces secteurs peu à peu abandonnés par les gros acteurs, avec Hellblade. Avec 20 personnes et beaucoup d'astuce et de talent, le studio a su créer une expérience de jeu de grande qualité. Nul doute qu'avec l'accroissement d'initiatives indie, d'autres bonnes surprises à l'avenant devraient voir le jour, en offrant des expériences plus courtes, mieux "scopées", qui trouveront le public nécessaire à leur rentabilisation - un public ayant moins de temps à consacrer au jeu en ligne, multijoueurs, et/ou de longue haleine, mais toujours désireux d'une qualité de production de haut vol, comme... les quarantenaires par exemple.

... et de la culture de l'industrie comme de celle du développement

Entre la perte régulière de talents jetant l'éponge face aux pratiques toujours pas jugulées du crunch (horaires impossibles pour tenir des deadlines mal prévues), l'élan nécessaire et bienvenu de diversité poussant au recrutement d'autres profils plus représentatifs de la population générale et de points de vue culturel différents, et l'intérêt grandissant que le secteur peut revêtir pour des créateurs qui autrefois ne l'auraient pas considéré comme moyen d'expression, la culture traditionnelle du développement de jeu vidéo devrait elle aussi faire la place à d'autres approches, d'autres talents, d'autres jeux.

Il est certain, en tout cas, que l'approche actuelle ne manque pas de problèmes à résoudre, qu'ils soient budgétaires, de culture d'entreprise, de modèles financiers ou économiques - autant de problèmes qui représentent des opportunités pour de nouveaux élans désireux de changer la donne, d'une manière potentiellement très disruptive pour les traditionnalistes.

Professionnalisation et démocratisation continues de l'e-sport

Si la croissance du secteur n'est plus à démontrer, elle n'illustre que de manière parcellaire ce qui se profile à l'horizon. En effet, plutôt que de juste grossir et attirer de nouveaux joueurs et spectateurs, on peut légitimement s'attendre à ce que l'e-sport passe un cap majeur dans les 5 prochaines années, en transcendant les frontières actuelles des spécialistes et autres fans habitués de longue date.

L'intérêt vis-à-vis de la discipline, tout comme sa reconnaissance, devraient exploser - en témoigne récemment, pour nous français, la citation de l'équipe française d'Overwatch la citation à l'Assemblée Nationale, ou encore les efforts de création d'une chaîne de TV dédiée, ES1. Mais bien entendu, au niveau mondial, bien d'autres initiatives accompagneront ce nouvel élan : la monétisation des audiences, des droits relatifs aux grands événements, et la capitalisation de la part des développeurs de jeux sur cette croissance, devraient profondément transformer la scène de l'e-sport et son accessibilité au plus grand nombre, à mesure qu'un public de plus en plus global y porte intérêt. Et la Corée du Sud a déjà démontré il y a bien longtemps le niveau d'ubiquité que l'e-sport pouvait atteindre chez une population réceptive. Pour résumer, imaginer un futur avec autant de spectateurs au rendez-vous pour une finale e-sports qu'il y en a pour l'UFC, ou même la Coup du Monde du football ne paraît pas si farfelu que ça.

Émergence de nouvelles plates-formes, transformation des anciennes

Alors que la VR continue de patiner un peu et ne devrait pas, à mon avis, décoller pleinement dans un futur proche, il reste raisonnable de penser qu'elle pourrait être à l'origine de nouvelles plates-formes de jeu alors que les fabricants de casques cherchent à les rendre indépendants des plates-formes actuelles. Oculus, notamment, prépare le lancement de premières versions de casques indépendants (i.e. sans besoin d'un PC ou d'un téléphone), et à terme, on peut imaginer que des casques embarqueraient ce qu'il faut pour devenir des plates-formes de jeu à part entière.


L'Oculus Go, premier effort de la firme vers un casque de réalité virtuelle auto-suffisant. Si ses performances resteront modestes par rapport au Rift, de futurs modèles devraient voir le jour et pousser la VR plus loin en tant que plate-forme.

Mais ce n'est pas tout: le succès de la Switch, bien qu'étroitement lié au catalogue Nintendo, montre également que la course à la puissance et le modèle traditionnel ne forment pas la seule voie possible pour une plate-forme de jeu (si besoin était de le montrer à nouveau). Et, surtout, entre démocratisation des connexions haut-débit et de la consommation dématérialisée, la mort annoncée des consoles traditionnelles au profit de terminaux de service streamant les jeux à la Netflix serait également un profond changement du paradigme actuel, tout comme les modèles économiques associés. Cette transition là pourrait aussi apporter un début de réponse à une autre tendance, problématique celle-là :

Une découvrabilité toujours plus difficile, en parallèle d'une production toujours plus soutenue

Là encore, un phénomène que j'avais déjà abordé (Trop de tout, tout le temps ?), mais qu'il est bon rappeler ici : alors que le coût d'entrée pour les créateurs continuera de baisser au travers d'outils toujours plus performants, accessibles, et bon marché (de Unity à d'autres), et que le celui des jeux développés par les gros acteurs institutionnels continuera d'augmenter, le problème de la découvrabilité d'oeuvres de qualité n'est pas près de s'envoler. Les gros occuperont l'attention des masses au travers de budgets marketing faramineux, rachèteront des petits, et continueront de dicter les temps forts médiatiques de l'année, tandis que les petits se multiplieront, parfois en sortant des tas de projets géniaux qu'on ne découvrira jamais ou seulement après leur mort.

A l'image du cinéma, le fossé entre les blockbusters et la scène indépendante nécessitera une attention active de la part des amateurs de la seconde, pour rester informés des gemmes qu'elle sortira dans l'ombre du mainstream. Les porteurs de plates-formes de vente dématérialisée apprivoiseront de nouvelles techniques et méthodes pour permettre l'accès à une personnalisation des catalogues plus efficace, et, espérons-le, qui n'enfermeront pas les consommateurs dans une bulle culturelle autant qu'aujourd'hui.

Un bon en avant pour la Réalité Augmentée

Pour l'instant, on a tendance à mettre la RA dans le même panier que la VR, comme une niche intéressante sans espoir immédiat de s'imposer comme un nouveau segment. Outre le fait que c'est oublier un peu vite le succès de Pokémon Go (même si sa RA n'apporte strictement rien ludiquement, juste le fantasme de capturer des Pokémon dans la vraie vie), il est temps de la voir différemment, et ce, pour une raison toute simple : ARKit. Ce framework d'Apple donne immédiatement accès, pour les développeurs de jeux, à une base installée de 400 millions d'appareils. Le principe même de la réalité augmentée s'imposera très vite au grand public, tant il jouit d'une absence de friction totale ; l'inverse de la VR pour l'instant, lourde et coûteuse.

Tsuro, excellent jeu de plateau, est parmi les premiers à se voir adapté en une version réalité augmentée par son développeur Thunderbox.

Certes, encore faut-il que de bonnes idées de jeux en fassent usage, mais on imagine déjà sans difficulté une bonne quantité de jeux de plateaux, de jeux de cartes, et autres offrant une expérience à la fois locale entre amis, autour d'une table, aisément portable au contraire des jeux de plateau traditionnels, et ouvrant ces derniers aux parties en ligne. Ayant personnellement été un grand fan des jeux Games Workshop, par exemple, qui m'ont coûté plus d'un rein par le passé pour constituer des armées à Epic ou des équipes à Blood Bowl, l'idée de pouvoir utiliser ma grande table de cuisine pour des parties de stratégie avec une physicalité certaine, iPad en mains, me fait pas mal saliver. Même si du point de vue de Games Workshop, cela irait sans doute à l'encontre de leur modèle économique...