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et ne reflètent pas forcément l'avis de l'ensemble
de la rédaction de Gameblog.


Petit tour d'horizon

Alors forcément, nous, pauvres joueurs insatiables que nous sommes, attendons. Un an, deux ans, trois ans ou parfois dix (*wink wink*), le temps de développement croissant de ces jeux contribuant à l'usure de notre patience. Et il arrive parfois, à l'aune des informations dont nous abreuvent avec largesse les éditeurs, que nous espérions, que nous nous projetions...

Tout ceci s'inscrit dans le processus même de la réception d'un jeu qui, quoiqu'on en dise, ne peut se départir d'une certaine part de subjectivité. Ainsi, avant même sa sortie, nous élaborons, inconsciemment ou non, un horizon d'attente. Ce concept théorisé par Hans Robert Jauss dans le domaine de la littérature nous dit qu'une oeuvre (littéraire en l'occurrence, mais cela peut s'appliquer à notre domaine) se situe en continuité avec une tradition et avec l'expérience du lecteur/du joueur.

La réception d'un jeu ne pourrait alors se concevoir sans contextualisation historique : nous jugeons une oeuvre à la lumière de celles qui l'ont précédée. À cela s'ajoute dans notre cas précis toute la communication qui entoure ces jeux et qui s'efforce d'influer sur nos attentes, avec plus ou moins de réussite...


Des illusions

L'exacerbation de ces attentes peut conduire à ce que nous appelons aujourd'hui communément la "hype". Cette notion proprement moderne peut revêtir plusieurs aspects : positif dans la bouche de ceux qui seraient pris dans son tourbillon, négatif sous le regard de ceux qui s'en défient. La deuxième étant une réaction quasi-systématique aujourd'hui de la première. Ainsi, dès lors qu'un jeu récolte tous les lauriers, naturellement, toutes considérations objectives mises à part, la méfiance est de mise. A quelques rares exceptions... comme Zelda Breath of the Wild par exemple.

La déception qui peut être vécue par certains joueurs naît alors d'un décalage manifeste entre cet horizon d'attente influencé, je l'évoquais, par la campagne publicitaire du jeu et le produit final. Ainsi, aussi pétri de qualités Final Fantasy XV soit-il, le titre a suscité un mécontentement profond chez une partie non-négligeable de joueurs qui ont gardé à l'esprit les promesses de l'ère Versus XIII, puis celles de Tabata (nombre de personnages évoqués dans la promo du jeu et jamais exploités finalement, de même que pour certains lieux d'Eos ; une version PS4 Pro clairement en-deçà des attentes...). En ce sens, pour le cas de Final Fantasy XV du moins, la tribune de Thomas (lire : "L'impossible promesse ?") publiée avant la sortie du jeu tapait déjà juste.


"Tu bluffes, Martoni !"

Compte tenu de l'allongement du temps de développement des jeux, les gros éditeurs se doivent de faire en sorte que leurs titres les plus attendus occupent la scène médiatique, et ce pendant parfois plusieurs mois, voire années. D'où les annonces qui se multiplient autour de jeux à peine entrés en phase de pré-production, afin de sonder en amont les attentes des joueurs et de créer, puis maintenir coûte que coûte la hype, au risque de faire des déçus.

On se souvient de l'accueil désastreux reçu par No Man's Sky au moment de sa sortie. Au-delà de la simple déception, les joueurs se sont sentis complètement floués par Sean Murray et son équipe, au sujet notamment de la dimension multijoueur illusoire et des différents problèmes techniques rencontrés (bugs, clipping prononcé). Résultat des courses, 90% des joueurs PC désertent le titre une dizaine de jours après sa sortie.


Comment ne pas évoquer également le cas controversé des downgrades, assez significatifs sur des titres comme Watch Dogs, The Witcher III ou bien The Legend of Zelda : Breath of the Wild (ces deux derniers ayant été pour autant acclamés par la critique) ? Ainsi, les premiers trailers dévoilés font de plus en plus office de target render, d'objectifs vers lesquels tendre plutôt que de véritables garanties sur le résultat final. Un peu de poudre jetée aux yeux des gamers, en somme. Attention toutefois, la pupille du joueur se révèle facilement irritable et sa rancoeur envers les éditeurs multipliant ces pratiques plutôt tenace...

Car en suscitant à chaque fois nombre d'attentes, en se confinant dans ce cercle vicieux de la communication à tout berzingue, les éditeurs prennent de plus en plus le risque de décevoir une partie des joueurs ; creusant ainsi l'écart entre ce qu'est une oeuvre et ce qu'elle aurait pu être.

Une question s'impose alors : doit-on apprécier un titre pour ses qualités intrinsèques ou doit-on le juger au regard des promesses faites ?

Beaucoup de bruit pour rien

Il me semble que nous parvenons depuis quelques années à un point de démesure tel concernant la communication qui entoure les projets vidéoludiques les plus coûteux (lesquels, et on peut le comprendre, devant être rentabilisés) qu'une certaine lassitude s'est installée chez une partie des joueurs, y compris moi-même.

Que l'on ne se méprenne pas, l'excitation et l'envie que je peux ressentir à l'approche de ces titres demeurent intactes. Néanmoins, je regrette que certains jeux soient annoncés aussi tôt, à un état quasi-embryonnaire (Final Fantasy VII Remake et Shenmue III, pour n'en citer que deux, mais Thomas évoque ceci mieux que moi dans son article linké plus haut). Je déplore également la communication tapageuse, envahissante, parfois nauséeuse, qui entoure les jeux AAA, à tel point que je fuis désormais, des mois avant leur sortie, les différents trailers parfois gorgés de spoilers.


J'en vois déjà certains bougonner :

Il est marrant lui ! Et la responsabilité de Gameblog dans tout ça ?

J'entends bien. Simplement, ne mélangeons pas les choses :en tant que site d'informations, le devoir de Gameblog est de communiquer, de relayer, de partager, d'analyser l'info, puisqu'elle existe. Mais in fine, c'est au lecteur de savoir s'il veut lire, voir tout ou partie de ce qui lui est proposé. Car après tout, ces mots n'engagent que moi et bon nombre de lecteurs ont ce désir d'en découvrir le plus possible sur un jeu. A chacun de choisir.

You know nothing, John Marston

Pour en revenir à notre sujet, je finirai par mentionner le fait que, fort heureusement, tous les jeux AAA ne participent pas à la grande chevauchée d'une communication boursoufflée. À ce titre, je souhaiterais évoquer un cas d'école : Rockstar Games. Faisant partie des rares éditeurs de renom à bouder l'E3, la firme des frères Houser est devenue maîtresse dans l'art de distiller les informations autour de ses jeux, de telle sorte qu'à chaque fois que l'un d'eux sort de l'ombre, c'est un petit événement qui se créé dans le monde vidéoludique.


Pour preuve donc l'unique trailer en date de Red Dead Redemption 2 qui, dévoilé le même jour que la vidéo d'annonce de la Switch - excusez du peu -, est parvenu à susciter émoi et spéculations depuis sa publication. Peu d'informations complémentaires ont filtré à ce jour et pourtant, il ne serait pas déraisonnable d'affirmer que le titre de Rockstar est l'un des titres les plus attendus de cette génération.

Ne serait-elle pas là finalement la formule magique : dire le moins pour suggérer le plus ? Une sorte de communication sous le signe de la litote, à l'heure où de nombreux éditeurs ont cédé aux sirènes de la logorrhée publicitaire. Pour ne rien vous cacher et au risque de passer pour un vieux grabataire, il m'arrive parfois de me projeter vingt ans en arrière, du temps où Internet n'était qu'un vaste territoire inexploré et où les magazines de jeux vidéo étaient les premiers pourvoyeurs pour nos rêves de jeunes gamers. Il nous en fallait peu alors pour nous émoustiller, simplement quelques miettes, deux, trois images, que les éditeurs daignaient nous céder ; nos imaginations fertiles faisant le reste.

C'est encore possible aujourd'hui, en témoignent les exploits réitérés de la maison Rockstar, qui aspire à jouer avec les attentes des joueurs en choisissant avec intelligence ses temps de communication et en conservant à chaque fois une part de mystère. Ainsi, pas de vaines promesses, pas de dévoilements artificieux, pas d'ambitions démesurées étalées sur la place publique. En somme, un dialogue plus sain entre les éditeurs et les joueurs.

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