J'ai récemment lu cet article de Tom Francis qui s'intéresse aux 6 éléments qui selon lui font qu'on apprécie un jeu vidéo. Comme je trouve son article très intéressant, je me propose de traduire et de commenter son article.
Il part du fait que la question "quel est l'attrait des jeux vidéo ?" est loin d'être une question inutile. Y répondre de manière intelligente permettrait peut être de faire taire les ignorants qui n'y voient que gaminerie, drogue ou soif de violence, mais c'est aussi utile pour les gens déjà plus impliqués dans le jeu vidéo. Pour le critique, cela permet de mieux situer ses goûts et donc de mieux articuler son jugement sur les jeux vidéo. Pour le développeur, c'est fondamental de pouvoir y répondre avant d'entamer quoi que ce soit, pour ne pas se perdre en chemin et livrer un jeu repoussant. Et ça peut éviter au joueur de se répandre en "cé tro nul lol" sur les forums (on peut rêver).
Tom Francis estime que la presse est encore à la traîne, une moitié en étant restée à la décomposition Présentation/Graphismes/Son/Gameplay/Durée de vie, pendant que l'autre moitié semble voir les jeux comme une poussière magique qu'on ne peut comprendre sans des pavés de verbiage creux. Son but est donc de fournir des éléments de base, qui permettent d'analyser un jeu de manière satisfaisante, sans rentrer dans des détails superflus. Il ne suffit pas de dire "le gameplay est bon", puisque cela n'apprend rien, mais de se demander "pourquoi c'est bon ?" jusqu'à tomber sur ce qu'il appelle un plaisir primaire et instinctif. En retenant ce critère, il élabore une liste de 6 aspects qui font l'attrait des jeux. Pas besoin d'exceller sur tous les plans, parfois un seul peut suffire, mais il faut envisager tout ce qui peut plaire dans un jeu.
1. Challenge
A quel point vous appréciez ce que le jeu vous demande de réaliser
Il s'agit de ce que le jeu demande de votre cerveau et de vos doigts et du plaisir que vous avez à vous y atteler. Personnellement je n'aime pas les jeux qui demandent des combinaisons complexes ou des timing trop précis comme les jeux de combat. Mais j'aime bien lutter sur des puzzles logiques comme la manipulation du temps dans Braid. La difficulté y est étroitement liée : trop facile ou trop dur, et le challenge perd de son intérêt.
Tom Francis y joint également le rythme des récompenses, qui procurent des pics de plaisir, assez éloignés pour ne pas s'en lasser, assez fréquents pour ne pas avoir à les attendre. Personnellement, je ne sais pas si ça rend les jeux meilleurs, mais ça les rend sans doute plus captivants et addictifs.
Il illustre son propos avec l'exemple de Tetris, dont le challenge est simple, trier des formes, mais est expertement rythmé. Ses mécaniques font que l'on réussi souvent au début, et plus difficilement et rarement ensuite. Le bonheur de supprimer une ligne reste donc intact d'un bout à l'autre pour lui.
2. Ressenti (Feel)
Rendre chaque interaction convaincante et plaisante
Il illustre ce point avec le tir d'une arme dans un jeu. Le jeu nous le communique par le bruit de la détonation, le flash au canon, l'influence sur la visée, le recul de l'arme, la réaction de la cible, et tout cela suggère ce que le jeu ne peut nous montrer de l'interaction : le poids de la balle, sa dureté, son point d'impact, les dégâts infligés.
Mais cela est tout aussi important pour les autres types de jeux. avoir des dalles qui glissent instinctivement dans un jeu tactile, la réactivité et l'inertie d'un saut dans un jeu de plateforme, la direction et le grip dans un jeu de course, tout ceci nous est transmis par une myriade d'informations et influencent notre plaisir de jeu.
Tom Francis évoque notamment Bejeweled et les jeux PopCap en général, louant leur ressenti, le bruit et le mouvement des pierres notamment, qu'il trouve évocateur et prégnant, pour expliquer le succès de ces jeux par rapport à d'autres jeux similaires. Popcap ajoute le ressenti à des jeux qui ont déjà le challenge.
3. Liberté
A quel point le jeu réagit de manière intéressante à vos choix
Un jeu qui vous poserait dans un espace vide s'étendant à perte de vue serait certainement extrêmement libre au sens commun du terme. Mais il ne s'agit pas de pousser à l'extrême les possibilités. Il s'agit surtout de voir combien provoquent des résultats intéressants.
L'exemple retenu est celui de Deus Ex. Un bâtiment a plusieurs entrées, et chacune de ces entrées propose une expérience différente. Votre choix influence donc votre partie : la porte de devant vous oblige à affronter un énorme robot, celle de côté vous met face à un groupe importants de gardes, et la porte arrière vous donne la clé du bâtiment. Certains chemins requièrent de l'aisance en combat, peut être un peu de piratage. L'infiltration vous met permet de mieux contrôler la situation et vous expose moins, mais vous oblige à tenir compte de plus de paramètres. S'il y avait eu les mêmes ennemis derrière chaque porte, la liberté n'aurait pas apporté grand chose. Deus Ex lui vous donne beaucoup de choix et vous propose une expérience particulière et intéressante quel que soit la voie retenue.
4. Univers (Place)
Un monde dans lequel vous souhaitez être
Il s'agit du même attrait que certains peuvent avoir pour les voyages, qu'ils considèrent comme une des expériences le plus enrichissantes et excitantes de la vie.
Et il met en avant Mirror's Edge pour son univers éblouissant. Nul besoin de conjurer une autre planète pour être aussi visuellement excitant et artistiquement inventif. L'envie de s'y retrouver dépasse tous les problèmes qu'on peut avoir avec le jeu par ailleurs.
5. Promesse (Promise)
La tentation de nouvelles possibilités
On pourrait croire que la simple promesse de quelque chose d'intéressant ou de meilleur à venir n'est pas un plaisir en soi, seulement l'anticipation de ce plaisir à venir. Faux ! répond l'auteur. On supporte en effet bien des RPG bien après que leur challenge et leur ressenti aient cessé de nous captiver. Mais cela peut aussi être la promesse de nouveaux rebondissements dans l'histoire, de puzzles exploitant de nouvelles mécaniques de jeu ou de nouvelles capacités.
6. Imaginaire (Fantasy)
L'attrait de jouer ce rôle
On peut trouver l'histoire des Mass Effect parfaitement ridicule et pourtant adorer jouer le capitaine d'un vaisseau qui parcourt l'univers pour tataner du robot et envoyer bouler tous ses supérieurs.
On a tendance à préférer le terme évasion -échapper à sa vie quotidienne - au terme imaginaire. Mais on ne joue pas nécessairement pour échapper à sa vie, on peut jouer pour en explorer d'autres.
Cette liste établie, Tom Francis aborde directement l'absence de l'Histoire. Il la justifie en disant qu'une histoire n'est attrayante dans un jeu vidéo que par l'imaginaire qu'elle suscite, les promesses qu'elle laisse entendre et l'univers qu'elle suggère. Un chef d'oeuvre littéraire qui manquerait ces trois points ne ferait pas un bon jeu vidéo.
Pour continuer de paraphraser l'auteur de l'article, je pense qu'une telle liste est très utile car elle permet de mieux comprendre et de mieux expliquer ce qui nous plaît dans nos jeux, pourquoi on préfère certains à d'autres, et au final de faire de meilleurs jeux, de mieux en parler ou de mieux les sélectionner. Le média jeu vidéo n'est pas trop jeune, trop complexe ou trop artistique pour qu'on puisse en parler de manière informée et claire.
Par exemple, LA Noire n'a aucune liberté, presque pas de ressenti, mais a un univers formidable, une histoire pleine de promesse, et un imaginaire fort.
Sports Champions échoue misérablement à évoquer un univers ou un imaginaire particulier, mais son challenge et surtout son ressenti sont excellents au Ping Pong.
Je pense que disposer de cette grille de lecture des jeux peut permettre d'en discuter de manière plus précise et plus enrichissante. Elle est assez souple pour convenir à un large éventail de jeu, et laisse tout de même place à la subjectivité. Aucun critère n'est nécessairement supérieur à un autre.
Ceci dit, je pense qu'elle traduit tout de même un biais vers les jeux fun, plaisants. Un jeu comme comme Kane & Lynch, qui vous met aux commandes d'ordures notoires ne suscitera que peu votre imaginaire. Vous n'avez pas spécialement envie de les incarner. De même la visée imprécise de ces jeux n'est pas forcément satisfaisante même si elle est cohérente et logique. Ceci ne m'empêchera cependant probablement pas de réutiliser ces concepts à l'avenir pour discuter de mes opinions pour les jeux.
Commentaires
Pour STALKER en particulier, j'ai pas joué des masses, donc j'ai pas eu ce problème. J'ai bien plus lutté pour tuer mes ennemis et survivre en fait...
Pour ce qui est de la liberté, ça reste assez casse-gueule. Je prends comme exemple un STALKER dont j'ai testé deux épisodes, et à chaque fois, le manque clair d'indications fini de me laisser sur le carreau tellement l'univers ne donne pas franchement envie et les personnages ne sont pas attirants...
C'est un livre apparemment très connu, j'ai remplacé pour faciliter la compréhension par chef d'oeuvre. Et puis, en termes purement logique, il affirme pas l'existence d'un tel livre. Il dit juste "même si ça existe, c'est valable".
Ben il dit au moins qu'un livre peut être un chef d'oeuvre sans ça.
J'ai oublié plein de mots :
"mais il ne dit pas pourquoi Deus Ex c'est bien et ça c'est marrant. Enfin moi ça me fait rire parce que c'est justement une question que je me pose : quel est l'intérêt de la liberté ?"
Pour l'oeuvre littéraire, je ne crois pas qu'il dise qu'un chef d'oeuvre serait dénué des qualités évoquées. C'est juste un cas hypothétique. Les formats sont différents et ce qui est génial pour l'un n'est pas forcément génial pour l'autre.
Mais même avec l'expression "ressenti bon" j'ai du mal. Pour moi un ressenti n'est pas "bon" tout court, il est bon pour faire passer quelque chose mais pas "juste" bon.
Premièrement, ce que je trouve intéressant c'est qu'il parle de Deus Ex et il dit en gros ce que c'est pour lui un bon Deus Ex, mais il ne dit pourquoi Deus Ex et ça c'est marrant. Enfin moi ça me fait rire parce que c'est justement une question : quel est l'intérêt de la liberté ? Je comprends que quand il y a des choix c'est bien qu'ils veulent dire quelque chose, mais est-ce que c'est un problème quand il n'y en a pas ?
En repensant à Deus Ex, je me disais mais au fond à quoi ça sert qu'on ait le choix d'aborder telle situation de X manières différentes. Je suis tout à fait conscient que ça plaît à certaines personnes mais moi j'ai du mal à y voir un intérêt, à voir ce que ça produit vraiment. Avoir plein de jeux dans un seul jeu (plein d'histoires dans une seule histoire) et pouvoir choisir à tout moment de passer de l'une à l'autre ?
La deuxième chose qui me fait réagir, c'est quand il parle de chef d'oeuvre littéraire. Et pourquoi les éléments dont il parle, imaginaire, promesse et univers ne seraient pas des critères pour le chef d'oeuvre littéraire ? J'aurais aimé qu'il développe sa vision du chef d'oeuvre littéraire parce qu'encore une fois il doit y en avoir une différente pour chaque être humain sur cette terre.
Un joueur peut trouver un ressenti bon alors qu'un autre le déteste.
"2. Ressenti (Feel)
Rendre chaque interaction convaincante et plaisante"
Une interaction peut être convaincante pour faire passer telle sensation et catastrophique pour en faire passer une autre. J'ai envie de dire que c'est relatif à ce que tu veux faire passer. A partir de là je ne pense pas qu'on puisse parler d'interaction universellement convaincante (et de manière encore plus évidente, plaisante étant donné que tous les joueurs n'ont pas les mêmes attentes).
Et pourtant http://www.gamekult.com/jeux/test-dead-or-alive-xtreme-2-J000051486t.html...