Même si la petite histoire de Sleeping Dogs a été largement relatée dans la presse, un petit rappel ne fait pas de mal. Développé à l'origine pour le compte d'Activision par United Front Games (ModNation Racers), Sleeping Dogs était True Crime 3. Série développée sur la génération PS2-Xbox, True Crime était l'alternative de GTA. La série se voulait plus réaliste en incorporant de réelles villes (Los Angeles et New-York) mais aussi en essayant de fouiller le gameplay et le background en quelque chose de plus sérieux. Dans les deux True Crime, nous dirigions un flic infiltré dans le milieu des gangs et le joueur avait le choix de se la jouer garant de la Justice ou truand, dans la ville open-world. Hélas, l'ambition fut trop grosse et la catastrophe technique de True Crime 2 fit mettre la série au placard. Pour une raison complètement inconnue, Activision décida qu'il n'était finalement pas le moment de relancer la série. United Front Games put tout de même garder la propriété sur son travail mais pas la licence. Le sauveur Square Enix, cherchant à s'implanter dans le jeu vidéo occidental, saute sur l'occasion et donne plus de temps et de visibilité à UFG pour peaufiner ce qui sera renommé Sleeping Dogs. Maintenant, reste à savoir si ce Sleeping Dogs se sauve de la malédiction des True Crime...

Multi-ref

D'emblée, le joueur découvrira bien vite la très grosse ressemblance avec GTA. Évidement, le « maitre » a pondu plein d'élèves avec tout ce temps. Dans Sleeping Dogs, vous démarrez de votre appartement et vous vous baladez librement dans la ville, guidé par une map chargée d'icônes. Une icône pour aller aux missions disponibles, une pour les missions secondaires, une pour aller s'acheter des fringues, une pour les activités annexes, etc. Vous ouvrez votre map, vous cliquez : hop, votre itinéraire s'affiche. Vous n'avez pas de voiture, vous la piquez dans cette ville engorgée. Le principe d'exploration du titre est exactement la même chose. On ne perdra pas nos habitudes. On marche, on court en laissant appuyer notre bouton... Normal. Puis, petit à petit, vous découvrez que Sleeping Dogs reprend beaucoup d'idées ici ou là. GTA pour le feeling , la liberté de mouvements ; Saints Row pour la personnalisation des habits offrant des bonus d'XP ; Yakuza, pas seulement pour la similitude dans l'iconographie des villes d'extrême-orient mais aussi dans la possibilité de gagner des bonus d'attaque en buvant des boissons énergisantes, ou manger différents plats... Sleeping Dogs s'attaque sur tous les fronts pour essayer d'offrir un maximum de choses différentes.

Sleeping Dogs accorde aussi de la place dans l'escalade et la possibilité de courir sur certains toits. Pour cela, on reprend la jouabilité d'Assassin's Creed permettant d'offrir des séquences de course-poursuite à jouer. Sleeping Dogs reprend aussi le principe de cover-shooter de bons nombre de titres : on se couvre, on vise, on shoot. Avec petite possibilité de glisser sur les obstacles et ralentir le temps, à la manière de Stranglehold. Les scènes de baston à mains nues se jouent tel un Batman : Arkham ou Assassin's Creed : on attaque avec un bouton, on contre avec un autre. Tout ça avec une autre pincée de Yakuza pour offrir une diversité de combos et possibilité de récupérer des armes (couteaux, haches, etc).

Sleeping Dogs ne respirera pas l'originalité. Il ne faut pas essayer de chercher une seule idée originale ou une seule approche différente du « GTA-like » (si l'on considère un tant soit peu que ce soit un genre à part entière). La seule approche concernant le flic infiltré switchant entre «la partie « flic » et la partie « truand » n'en est pas vraiment une. En effet, le jeu semble divisé en deux types de quêtes : policières et gangs. « Semble » seulement car on verra que les missions policières ne sont pas ou peu en rapport avec notre travail d'infiltration et qu'elles n'influencent pas le scénario... Ou le gameplay. Que l'on joue l'un ou l'autre type de quête, rien ne modifiera le gameplay. Il consistera à bastonner, tirer, suivre une voiture ou dans le meilleur des cas, à jouer à des mini-jeux comme hacker une caméra, poser un mouchard. Ce qui joue en revanche, c'est qu'en pleine mission, si vous écrasez des civils ou si vous détruisez des barrières ou poteaux électriques (oui oui comme dans GTA et Saints Row, l'infrastructure de la ville est en papier mâché) on vous retira des points d'expérience « policier ». Si lors des missions, vous faites preuve de brutalité (headshots, tueries à mains nues), vous gagnez plus d'expérience « truand ». Cependant, chaque mission vous rapportera un paquet d'xp dans l'un comme de l'autre. On finira donc globalement à un même niveau en fin de jeu. Ces niveaux permettent de débloquer de nouveaux mouvements ou des améliorations passives : combos plus efficaces, ajout de ralentis quand on tire à bord d'un véhicule, fuir les flics plus efficacement, etc. Ces ajouts permettent de renforcer les capacités de notre héros et de diversifier ses mouvements. La possibilité de débloquer des combos différents lors des écoles d'arts martiaux s'ajoute à cela. Ce sont dans ces petits ajouts ici et là qui semblent anodins lorsqu'on les débloque machinalement dans le menu qui vont offrir à Sleeping Dogs son lot de finitions sur tous les concepts repris à droite et à gauche.

Tant et si peu à la fois

Sleeping Dogs a donc cette faculté de proposer un énorme pot-pourri de concepts différents. Si cela offre une multitude de séquences de jeux différentes, on retiendra tout de même les combats à main nue. Même s'ils ne sont pas compliqués dans la mesure où l'ennemi qui attaque est en surbrillance rouge et qu'un simple clic permet au héros de contrer dans n'importe quelle position, ils ont l'avantage d'être spectaculaires. Avec son gameplay facile mais vite chorégraphique à la Batman, la pincée de Yakuza offrant plusieurs combos épice le tout. En effet, si vous laissez appuyer votre bouton d'attaque, Wei donnera un coup de pied. C'est donc une alternative au fameux « carré, carré, carré, triangle » tout en offrant ce système de contre. Petit à petit, Wei jonglera avec plusieurs techniques comme un double coup pied sauté, un placage au sol, un bris de jambe ou de bras... S'ajoutent balayette et enchainements divers dont la gestuelle rappellent beaucoup Yakuza justement. Tout ça en étant encore plus simple d'accès et offrant de chouettes combos. Enfin, en agrippant votre ennemi vous avez la possibilité de le balancer au sol, de le frapper, de lui coller la tête dans le mur ou enfin d'interagir avec le décors pour des finishs assez gores : têtes écrabouillées, corps ébouillantés, j'en passe et des meilleurs. On en vient ainsi à croiser les doigts pour que nos missions nous amènent vers de la baston plutôt qu'une fusillade... Cette séquence étant plutôt classique comme on l'a détaillé plus haut, c'est du déjà vu et joué milles fois avec en plus un level-design simple en ligne droite à l'IA ennemi inexistant et sans mise en scène particulière. Un concept bien éculé, surtout dans un tel jeu ouvert. Rappelons qu'à l'instar d'un GTA, dès que la mission se termine : c'est bon, c'est fini. Vous avez mitraillé 20 ennemis, si on vous dit « mission complete », c'est bon, vous pouvez retourner manger des glaces, l'air de rien. Ce principe de missions brutes empêchent ainsi de jouer la carte de la mise en scène in-game pour tenter d'impressionner le joueur. Les différents trailers tentaient ici et là de faire passer Sleeping Dogs pour du John Woo... Ce n'est pas du tout le cas. Il n'y a pas cette recherche esthétisante dans le gameplay comme l'était Stranglehold, pour citer le jeu le plus parlant.

C'est d'ailleurs ce qui va vite dénoter les faiblesses de Sleeping Dogs. En étant du GTA-like, n'essayez même pas d'imaginer que ce Sleeping Dogs est digne des action-movie hong-kongais. C'est du GTA-like avec une caméra derrière le dos et toutes vos actions in-game resteront assez abruptes, non raffinées. Vous avez du shooting classique, du combat bien rôdé et évidement les courses, que ce soit en voiture ou à pied. Pour ce dernier cas de figure, il suffira de courir tout droit pour rattraper votre ennemi avec un chemin balisé peu compliqué, puisque quasiment rectiligne. Pour la voiture, on notera quelques véhicules qui patinent beaucoup. Leur conduite rappellent plus celle de Saints Row que GTA IV. C'est toujours dans ces moments qu'on remarquera des gestions de collision aléatoires ou des IA un peu à la rue, un défaut récurrent dans le genre étant donné la grande modélisation de la ville où l'on ne peut gérer un moteur physique au poil sur toutes les actions ou mouvements. Petite action sympa, on peut sauter d'une voiture à une autre d'un simple double clic tant que les voitures sont proches. Cela essaye de dynamiser un peu des séquences de jeu que l'on connait par cœur.

Si le début du jeu nous semble vraiment très très bon, avec une ville lumineuse, des accents chinois que l'on entend chez les nombreux passants, des ruelles sombres en passant par des routes blindées où l'on roule à gauche : une ville qui nous tend les bras, on déchante petit à petit lorsque l'on voit que les missions s'enchainent plutôt vite avec surtout des quêtes secondaires très très répétitives consistant à recycler environ 4-5 schémas identiques : aider un type à fuir la police, rattraper un type qui vous a volé, suivre quelqu'un, bastonner quelques types et conduire une voiture en suivant des balises. Ce n'est ainsi pas très intéressant étant donné l'absence de scénarisation de ces quêtes en sus de leur absence de fun. Les quêtes annexes, elles, sont logées à la même enseigne : courses de voitures, trouver et ramener une voiture, détourner un convoi, parier sur des combats de coqs, jouer au poker mahjong et combats de rue. Cela vous apportera quelques tenues dans le meilleur des cas et de l'argent. D'ailleurs, en bonus seules les tenues différentes sont de la partie. Des tenues allant du simple à l'excentrique (costume de Bruce Lee, costume de Rico dans Just Cause 2, etc). Tout ça est assez lourd et répétitif. Quand vous avez bouclez le jeu, missions principales et intégralité des secondaires, en 18H, il ne reste vraiment plus grand chose à faire, hélas. Et tout en sachant qu'il n'y a pas énormément de quêtes secondaires et que, pour ma part, tout a été bouclé en un seul run... Quand vous terminez le mode histoire, vous retournez sur la carte pour tout terminer. Si vous omettez ces quêtes secondaires, vous bouclez tout ça en 10H. Il restera aussi la possibilité de boucler les quêtes de sécurisation des quartiers : vous faites fuir des truands dans plusieurs coins de hong-kong, vous piratez la caméra de sécurité et vous ordonnez l'arrestation du dealer. Il faut faire ça environ 4 fois 12 fois (quatre parties de la ville de douze caméras à hacker). Là encore, c'est répétitif et ne vous apportera rien si ce n'est la satisfaction du 100%.

Gang bang

Un GTA-like plutôt classique malgré quelques idées plus poussées, ce Sleeping Dogs essaye de mettre en avant un point fort : son background. Flic de San Fransisco, Wei Shen a grandi dans les quartiers pauvres de Hong-Kong où les gangs travaillent pour la Triade. Ayant perdu sa famille dont sa sœur, exploitée et shootée à l'héroïne, Wei va devoir retourner dans son quartier d'enfance plein de mauvais souvenirs. Infiltré pour démanteler la famille des Sun On Yee, il va rentrer dans le milieu en tant que simple soldat par le biais de son ami d'enfance Jackie. Évidement, plus les missions s'enchaineront, plus il grimpera dans la hiérarchie... Et plus il entrera en conflit avec ses supérieurs de la Police dont les doutes sur sa motivation grandiront. Tiraillé entre les deux parties, l'histoire de Wei nous promet une sorte de Donnie Brasco (film de 1997 avec Johnny Depp et Al Pacino, de Mike Newell) à Hong Kong. Mais ça n'arrivera pas. Le scénario est très classique dans le genre avec son lot de tueries, trahisons et manipulations dont on ne dira mot. Le problème étant son travail de mise en scène plutôt fade. United Front Games copie le travail de Rockstar sur GTA IV dans ses transitions sur les cinématiques mais n'a pas son panache et son travail de dialoguiste. L'ensemble reste convenu en partie à cause d'un manque de folie mais surtout de charisme des personnages dont aucun ne se détache. Des personnages qui essayent d'avoir une réelle identité comme en témoignent leurs différences physiques et attitudes manquent clairement d'impact car souvent mal amenés dans l'histoire (on pense à cette coupure abrupte entre la partie où Wei est un troufion et la partie où il devient comme par magie un membre respecté de la famille). Il en reste ainsi une histoire plutôt décousue même si pas dénuée d'intérêt car manque de personnalité dans la mise en scène, de puissance, de cette volonté de traiter de la Triade... Or, on a souvent plus l'impression qu'on a affaire à un simple gang et à une petite famille qu'au réel milieu de la pègre hong-kongaise. On pense que la censure (auto-censure ?) a beaucoup joué. En effet, le background ne traite que la petite guerre de gangs interne mais ne traite pas en profondeur des magouilles du milieu. On en mentionne au détour d'une conversation dans une cut-scene mais ça n'ira pas plus loin... Pas de drogue, pas de sexe, pas de déviances particulières, pas de politique, rien. Juste une bête histoire de gangs... Cette façon de simplifier le décors participe grandement à la pointe de déception au fur et à mesure que l'histoire défile sous nos yeux. Tout ça est un peu trop clean pour en ressortir un univers survolé.

D'un autre côté, si l'histoire se déroule avec le maigre espoir d'être réveillé en sursaut jusqu'au bout, c'est grâce à ces petites diversités de gameplay, ces combats et quelques scènes marquantes (dont une fameuse scène de torture assez crade... et incohérente mais peu importe). Si vous jouez sur consoles, le jeu accusera son âge : textures assez pauvres, distance d'affichage assez ridicule, quelques effets de flou, aliasing, manque de travail d'ombre, etc. Bref une sorte de « GTA pauvre », syndrome Saints Row mais en moins pire. Le jeu reste regardable grâce à l'univers dépaysant de Hong-Kong, que ce soit la partie moderne de la ville ou la partie plus historique : beaucoup de vie, de lumières, d'effets visuels sur les bâtiments pour les rendre vivant de loin, etc. Si vous y jouez sur PC, vous aurez un très beau jeu, avec une gestion de la lumière dynamique accrue renforçant les effets jour/nuit de la ville, ainsi que de beaux effets de reflets dans la ville lors des pluies. Plus de relief, d'effets, distance d'affichage plus éloignée... Et en bonus, si vous avez une bonne CG, vous pouvez obtenir des textures HD (qui sont loin d'être laides même en SD). C'est pratiquement le jour et la nuit entre les deux supports. La bande son, au travers des dialogues en anglais munis de plusieurs expressions en cantonnais, est de bonne qualité. Réussir à offrir un doublage international tout en maintenant des expressions dans leur langue d'origine offre un compromis intéressant. Rappelons que le studio UFG est anglais et que le jeu est pour un public occidental. Demander une langue intégralement cantonnais aurait été commercialement suicidaire. L'astuce est que le casting est composé d'acteurs ayant des origines asiatiques. L'accent n'est donc pas surjoué mais naturel. Sachez que Robin Shou (Liu Kang dans les deux premiers films Mortal Kombat) et Ian Anthony Dale (Scorpion dans la série Mortal Kombat Legacy) prêtent leur voix, par exemple. La guest-star Lucy Liu est même de la partie pour un résultat complètement anecdotique... D'ailleurs, il est possible que les développeurs aient modélisé le personnage à son effigie mais vu la qualité plutôt basique de la modélisation, on ne la reconnaît pas du tout. La bande musicale, en revanche, est plus critiquable. Si elle offre quelques musiques d'ambiance électro ou hip hop aux sonorités chinoises agréables, la qualité des radios (toujours comme un GTA) n'est pas très percutante. Les développeurs ont eu le bon goût de laisser une piste par défaut à chaque mission pour se laisser entrainé par l'action. Sinon, lors de vos moments en ballade, il n'y aura pas grand chose d'intéressant. D'autant que plusieurs chansons sont des reprises...

Sleeping Dogs laisse un goût mitigé. Si on prend définitivement du plaisir à jouer grâce principalement à un très bon système de combat simple mais varié, on aurait espérer un peu plus, peut être trop, dans son background. En manquant de punch de mise en scène, de son scénario quelconque et surfait, on aurait été nettement moins regardant sur les quêtes secondaires répétitives et quêtes annexes inintéressantes n'offrant aucun bonus. Le réel et unique dommage de Sleeping Dogs est de manquer de folie. Développé avec pour source d'inspiration un encombrant GTA IV, United Front Games n'a pas osé s'affranchir de son modèle pour accentuer ses inspirations d'action-movie, comme l'avait réussi Ryu Ga Gotoku dans le monde des yakuzas. Si ces critiques peuvent paraître un peu durs vis à vis du plaisir éprouvé pendant une grande partie du jeu, et même jusqu'au bout malgré des mécaniques assez simples et assistées mais heureusement dynamiques, elles empêchent Sleeping Dogs de s'émanciper de cette étiquette « GTA-like ». Regard critique adouci, UFG offre un jeu complet, grand, largement maniable et beau (sur PC). C'est déjà beaucoup. Un bon jeu qui a le potentiel de devenir grand. Peut être pour une énième suite.

15,5

(Re)lire l'article, mis en page, sur PG Birganj : en Une ou dans la rubrique "Critiques".