Hello tout le monde,

 

On aura mis le temps, mais la rubrique "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir" s'en revient finalement, et ceci pour évoquer un film qui me tient tout particulièrement à coeur. Parfois mésestimé, souvent mal compris, Pale Rider est l'une des oeuvres les plus opaques de la filmographie de Clint Eastwood réalisateur. Mais c'est aussi, à mon sens, et contrairement à ce que pourront dire nombre de ses détracteurs, l'un des rares westerns à avoir su marquer son époque, préfigurant dès 1985 l'orientation réaliste et désabusée d'une nouvelle génération emmenée par les monumentaux Impitoyable, L'assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford et Open Range. Ceci, en plus d'être étonnamment en avance sur son temps, ainsi que nous l'allons voir plus loin.

Pour comprendre Pale Rider, il convient tout d'abord de replacer le long métrage dans son contexte. A l'époque de sa sortie, le film marque le grand retour d'Eastwood sur le devant de la scène, après quelques années difficiles faites de compromissions parfois douloureuses sur le plan artistique. Revenir à un western est également un pari osé. Depuis les années 1970, le western héroïque a en effet cédé la place à un genre plus crépusculaire, qui commence à prendre la mesure de ses limites. Peut-on sortir du manichéisme, des simplifications à outrance de la psyché des personnnages présents à l'écran, et ceci sans trahit les valeurs du western traditionnel ? C'est à tout cela que le "jeune" réalisateur Eastwood décide de s'attaquer. On peut d'ores et déjà déflorer la suite : l'engouement du public (voir ci-dessous), une sélection au festival de Cannes (hélas aucun prix), mais surtout un succès critique qui asseoit le grand Clint au firmament des artistes du septième art. L'année 1985 sera celle du début de la deuxième vie (au moins professionnelle) d'Eastwood.

 

Les réactions du public dans un reportage d'Antenne 2, à l'époque de la sortie du film.

 

Peu de choses à dire du tournage lui-même, si ce n'est, anecdote remarquable, qu'Eastwood s'y luxera l'épaule lors d'une chute de cheval. Pour le reste, Pale Rider est tourné au coeur de ces régions qui ont vécu la ruée vers l'or. Columbia State History Park (à Columbia en Californie), Railtown 1897 State Historical Park (à Jamestown toujours en Californie), mais aussi la Sawtooth National Recreation Area et Sun Valley, dans l'Idaho, servent de cadre à ce western qui voit Eastwood marquer sa préférence pour le sol américain plutôt que pour les plateaux italiens, qu'il a faut-il dire longuement arpentés en compagnie de Sergio Leone. Les choix de photographie sont également radicaux, et viennent souligner la volonté de réalisme d'Eastwood : l'intégralité du film est tournée en lumière naturelle. Si vous vous demandiez pourquoi le film semble si clair dans la plupart des versions mises sur le marché, ne cherchez pas plus loin votre réponse : le résultat se révélant trop sombre pour les standards usuels - un choix pourtant assumé par le réalisateur -, la plupart des télévisions, des cinémas et des éditeurs de cassettes vidéo ou DVD en augmenteront artificiellement la luminosité. D'où le côté parfois un peu "brûlé" de certaines scènes ; n'allez pas croire, donc, qu'elles sont ratées.

Pale Rider arrive neuf ans après son dernier western, Josey Wales hors la loi, et bien après la fameuse trilogie du dollar qui a immortalisé sa figure de l'étranger dans les longs métrages de Sergio Leone. Le monde a changé, indéniablement, l'heure n'étant plus guère au bon vieux duel des familles dans les rues d'une ville champignon en pleine fin du XIXe siècle. Pourtant, le long métrage d'Eastwood est un succès, paradoxalement en raison de la présence de ces ingrédients précis. La manière de les accomoder, faut-il dire, est subtile : outre camper un personnage qui emprunte autant à 'L'étranger" qu'à "L'inspecteur Harry", Eastwood met en scène une subtile perversion de son propre mythe, désincarnant le héros pour en faire un concept plus qu'un personnage. C'est en ce sens que le réalisateur dira plus tard, dans une interview, qu'il faut prendre son personnage du révérend comme un "revenant". Et toute la modernité de Pale Rider se trouve dans ce simple parti-pris, il est vrai particulièrement courageux pour l'époque : il ne s'agit pas de se donner au spectateur, de gagner son affection en usant du manichéisme propre au genre, mais bel et bien de l'amener à réfléchir, à s'interroger sur le sens du monde qui est dépeint au fil des images. Pale Rider est, à ce titre, bien plus qu'un western. Il est une profession de foi, en plus d'être un film engagé et militant.

 

L'histoire se résume à peu de choses : dans la petite ville de LaHood, à la fin du XIXe siècle, une communauté de chercheurs d'or est martyrisée par Coy LaHood,  un industriel local qui utilise des canons à eau pour fracturer la roche et trouver les plus beaux filons, et qui a besoin des concessions de ces piètres rivaux afin de poursuivre son expansion. Lors d'un raid de ses hommes à tout faire, le chien d'une adolescente, Megan (Sydney Penny) est tuée, et celle-ci de s'en aller prier pour la vengeance, dans la forêt. Elle invoque des forces dont elle n'a guère idée...

La scène d'introduction, culte, est à voir ici : https://youtu.be/I0pPG6s_daY

Pale Rider, film fantastique ? D'aucuns avancent prudemment cette hypothèse, mais je serai bien plus direct. Oui, Pale Rider emprunte beaucoup au genre du fantastique, celui-ci, stricto sensu, convoquant une hésitation entre une explication rationnelle et la possibilité du surnaturel. Le long métrage, d'une durée d'1h53, ménage par deux fois cette hésitation: la première lors de la scène d'exposition, dévoilant l'arrivée du héros descendant de la montagne au son des trompettes de l'apocalypse ; la seconde, lorsqu'il s'en repart, disparaissant dans les brumes de l'horizon. Plus qu'un fantasme, ce révérend tel qu'il est présenté devient par cette métaphore une idée, un principe. C'est une aura qui plâne sur tout le long métrage, interrogeant chaque instant du film et la résolution de chaque scène délicate. C'est quelque part une justification, aussi, de cette idée qui coule en arrière-plan de tout le film: la justice de Dieu se mérite.

Pale Rider puise son inspiration dans deux sources principales: Shane, de Georges Stevens (L'homme des vallées perdues, 1952), pour l'intrigue générale, et L'homme des hautes plaines, d'Eastwood lui-même (1973), pour la figure implacable du héros qui va accomplir la vengeance de la communauté contre les tortionnaires. Mais ces références, auxquelles il faut ajouter un hommage appuyé au cinéma de Sergio Leone au fil des choix de prises de vue, n'entament pas le caractère profondément original de la réflexion ouverte par le réalisateur au fil du long métrage. Original, du moins, pour cet Américain dur à cuire, dont le monde va découvrir à la faveur de ce film sa profonde connaissance des textes chrétiens, qu'il cite d'ailleurs inlassablement pour ponctuer chaque scène clé de l'oeuvre. Le cavalier pâle, titre du film, se comprend de lui-même, invoquant directement les Ecrits de l'Apocalypse de Jean.

C'est aussi la principale clé de compréhension de l'oeuvre, à bien y réfléchir. Désincarné, le révérend n'est guère touché, ému, par le spectacle de l'humanité brisée qui se joue sous ses yeux. Il est ici, en réalité, pour amener la destruction et révéler le véritable visage d'une ville arrivée au bout de sa destinée. Vide, morte, LaHood préfigure l'apocalypse qui sera donnée par les colts du cavalier pâle au terme d'une Passion qui aura beaucoup coûté aux habitants, sans exception. Car c'est dans la douleur et la souffrance que chacun comprend qu'il est l'artisan de sa propre rédemption. C'est cela qu'enseigne le révérend dans un microcosme qui renvoie au monde qui nous entoure. Il y a ceux qui exploitent, et il y a ceux qui subissent. Mais sont tout autant coupables les premiers que les seconds, qui courbent l'échine en mettant de côté leur dignité d'être humain. Ce n'est pas cela, dit Eastwood, être chrétien.

Les thèmes de l'oeuvre, bien sûr, ne se limitent à cette dimension biblique. Complexe, Pale Rider multiplie les idées, les prises de position, enchaîne les concepts au risque parfois de se perdre en route (il se murmure que la fin du film a dû être baclée, faute de temps...). L'on y critique, bien avant l'heure, les abus de l'industrialisation et les risques qu'elle fait courir à l'environnement. L'on y parle du fantasme, des femmes et des hommes, d'une société dont l'hypocrisie première tient à cacher qu'elle est désespérément passionnée. Ouvre contemplative autant que d'action, Pale Rider se fait matrice du cinéma d'Eastwood, porte en germe les principales interrogations qui structureront son cinéma jusqu'à aujourd'hui. Témoignant même d'une étonnante parenté avec le récent Gran Torino, pour peu que l'on se place sur le plan de ce jeu de dissimulation des sentiments, qui semble consubstantiel à la conception que se fait Eastwood de l'humanité.

Surtout, il y a dans Pale Rider cette étrange sensation, celle d'un monde révolu, en perdition. La désertification - puis la destruction - de la ville champignon, les paysages désolés et arides, l'économie du jeu des acteurs, la simplification à l'extrême des mouvements de caméra et les couleurs naturelles... Tout, jusqu'à l'affrontement final avec les bad boys de l'affaire - le marshall mercenaire Stockburn et ses hommes - dans un dénuement presque improbable, semble converger vers cette même idée, celle d'un monde en deliquescence, comme si le western lui-même arrivait au bout du chemin. Le héros lui-même, devine-t-on, a été autrefois enterré par ceux qu'il affronte dans le grand final - le thème du "revenant", vous vous souvenez ? Pour Eastwood, ce sera d'ailleurs une prophétie. Celle d'un enterrement magistral de sa carrière de cow boy avant une ultime résurrection dans le sublime Impitoyable, en 1992. Et celle, à peu de choses près (les notables Open Range et L'assassinat de Jesse James... comme dit plus haut), de l'enterrement du western lui-même. Lui n'en est pas encore revenu...

 

Est-il besoin d'en dire davantage ? De ce film que certains considèrent comme mineur dans la filmographie de Clint Eastwood, je retiens pour ma part qu'il s'agit sans doute du film que j'ai le plus revu au fil des années. Sa construction impeccable, son sens du timing - non, il n'est pas lent - et sa capacité à proposer un regard neuf dans un genre maintes fois rebattu sans pour autant le trahir fait de Pale Rider l'un des derniers très grands westerns de l'histoire du septième art. Bientôt trente ans plus tard, il a aussi le don de poser, plus que jamais, une lancinante question: si le western devait aujourd'hu renaître de ses cendres, pourrait-il retrouver la flamme de cet âge d'or en clair-obscur ? Honnêtement, je n'en suis pas sûr...

 

Sources :

https://www.hollywood80.com/article-19950862.html

https://www.cinematheque.fr/fr/dans-salles/hommages-retrospectives/revues-presse/accueil-critique-films-eastwood/palerider.html

https://www.clermont-filmfest.com/03_pole_regional/11_medias/179_analyse.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pale_Rider,_le_cavalier_solitaire

https://fr.wikipedia.org/wiki/Western

https://www.ecouterlirepenser.com/textes/pl_ci_pale_rider.htm

https://flimgeeks.com/2009/classic-clint-in-high-definition/