Yop tous,

Je reprends doucement le relais de mes publications pro sur le blog, avec pour cette rentrée une petite bafouille mi-épatée mi-contrrariée sur le stand alone d'Uncharted, The Lost Legacy. Comme toujours, vous pouvez retrouver l'intégralité du texte sur https://c.dna.fr/loisirs/jeux-video

 

Quel avenir, mesdames !

 

Y a-t-il une vie après Nathan Drake ? En postulant que d'autres protagonistes de l'univers Uncharted sont capables d'endosser le costume de héros en lieu et place de l'intrépide jeune premier qui s'y était taillé une célébrité, le stand alone The Lost Legacy fait davantage qu'offrir une alternative à une franchise que l'on pensait bouclée : il lui donne, mode féministe et engagé, une nouvelle raison d'exister.

 

Qu'on se le dise: Nathan Drake a bel et bien raccroché. Enfin rendu à la raison - et à sa famille - en un final qui bouclait de façon très poétique son épopée dans Uncharted 4, le plus roublard des aventuriers n'est plus guère qu'une ombre qui plâne au-dessus des discussions, désormais. Et c'est la très forte Chloé Frazer, figure récurrente de la saga, qui entérine cette vérité en quelques flèches bien décochées. C'est promis, donc, il ne fera pas même un petit caméo dans ce Lost Legacy qui met le cap vers de nouvelles contrées.

Pour le remplacer, les développeurs de Naughty Dog ont misé, on le sait, sur un duo particulièrement redoutable constitué de Chloé et d'une figure emblématique des adversaires rencontrés par les frangins Drake dans le quatrième volet: la mercenaire Nadine Ross, par la grâce d'un partenariat inattendu absoute des crimes qui lui sont imputés. Deux femmes au tempérament fort, indomptable, dont la mise en exergue marque finalement une évolution logique de la saga: celle-ci a toujours su ménager aux (rares) femmes une place d'honneur, faisant d'elles la meilleure part des hommes auxquels elles sont attachées.

Changement de cap

Chloé et Nadine se retrouvent ainsi propulsées en tête d'affiche pour ce qui au départ ne devait être qu'un simple DLC. Le potentiel de la chose se révélant rapidement à travers les retours des fans, le projet est devenu véritable stand alone en cours de route, jusqu'à tenir en haleine le joueur, désormais, une bonne dizaine d'heures durant. Cette origine modeste se ressent néanmoins dans la consistance du scénario: pas conçu initialement pour tenir sur la durée, celui-ci peine un peu à soutenir la dimension d'ordinaire saisissante de l'épopée. Dans The Lost Legacy, la narration se fait parfois dangereusement diluée.

Perdue au coeur de la jungle indienne, l'aventure fascine, heureusement, par ce qu'elle à voir et à explorer. L'histoire s'y préoccupe comme toujours de trésors cachés, de grands méchants aux idéaux pervertis par l'appât du gain et de cités fabuleuses à exhumer de l'oubli le temps d'une balade au milieu des ruines, les yeux bien écarquillés. Dans la droite lignée d'Uncharted 4, The Lost Legacy assume, de fait, cette part de passivilité induite chez le joueur par de nombreux moments de contemplation et d'émerveillement. Il faut dire que c'est un travail fou, titanesque qui a été accompli pour  donner du relief à ces vestiges de civilisation perdus dans la forêt. Cascades gigantesques, temples faramineux, falaises vertigineuses... Il y a là, signe des temps, de quoi sortir le smartphone et prendre des clichés à foison. C'est ce à quoi s'emploie Chloé, d'ailleurs, comme pour prendre acte des multiples possibles du mot "interaction".

Les développeurs, pour le reste, ont joué la carte de la sécurité, déclinant les routines de gameplay de la saga sans jamais s'en écarter. Phases de plate-forme téléguidées, temps d'exploration et de résolution d'énigmes simples (simplistes?) construisent une progression durant laquelle les gunfights se font un peu plus rares qu'à l'accoutumée. Une bonne chose, d'ailleurs, que l'on apprécie encore davantage lorsque vient la dernière heure de jeu, minée par des affrontements incessants, jusqu'à l'écoeurement. On lui préfère notamment la phase de découverte libre d'une plaine où se déclinent des objectifs variés quelques heures durant: ce balbutiement d'univers ouvert - mais toujours maîtrisé sur le plan du gameplay - laisse entrevoir des ailleurs ludiques vers lesquels la saga pourrait bien vouloir s'aventurer. Elle serait, en tout cas, inspirée de se laisser tenter.

L'action n'est pas oubliée dans ce stand alone. Mais elle n'est pas son principal atout. 

Le pouvoir aux femmes

Il y a, certes, pas mal de frustration  à traverser presque mécaniquement toutes ces séquences, d'autant que leur enchaînement manque parfois cruellement de fluidité. Ludiquement prévisible, The Lost Legacy plaît mais n'enthousiasme jamais vraiment pad en main, montrant au passage combien est fragile la recette de la franchise. Mais le stand-alone sauve les meubles en creusant, plus que jamais, du côté de la peinture de caractères, dévoilant une héroïne, Chloé, à la profondeur insoupçonnée, capable en quelques instants de donner de l'épaisseur à une petite Indienne croisée dans un marché, apte même à donner de l'humanité à Nadine, mercenaire au tempérament en acier trempé mais dont les failles sont autant de passionnantes aspérités... Adossés à une réalisation remarquable, ce sont tous ces petits moments de l'ordre de l'intime qui font la force de The Lost Legacy, au point que, lorsque défile le générique, il n'y a plus guère de doute sur le chemin qu'Uncharted devrait emprunter. Les femmes ont pris le pouvoir, et elles comptent bien le garder...