<< Si Yamauchi m’appelle, je décroche de suite ! >> Cette phrase anodine aurait pu passer comme une lettre à la Poste si elle n’avait pas été prononcée par... Bill Gates. Du moins, le croyait-on. Déformation des propos rapportés par le quotidien financier Wirtschattswoche ? Ballon d’essai de Microsoft ? Nul ne pouvait évaluer en ce 6 août 2004 la portée réelle des paroles de l’ex-PDG de la plus puissante société informatique au monde. Le contexte se prêtait pourtant bien à une boutade prononcée au terme d’une réunion protocolaire organisée au siège de Microsoft où étaient présents analystes et journalistes financiers. D’ailleurs, le président ne contestait pas l’exactitude des paroles tenues, tout juste regrettait-il que le contexte et la nuance se fussent perdus dans la traduction anglais-allemand.
 
La réaction de Nintendo ne s’était pas fait attendre. Un porte-parole balaya d’un revers de main cette invitation à reprendre contacte : << nous continuerons sans relâche à inventer d’incomparables consoles ainsi que des jeux originaux. Nintendo porte en elle et elle seule les graines du succès. >>
 
Reprendre contact ?
 
Ce fut effectivement le cas. Les propos de Bill Gates dits dans le secret pour être répétés n’étaient en définitive qu’un épisode de plus dans le feuilleton au casting prestigieux révélé par un ouvrage détonant. Opening the X-Box sorti deux ans plus tôt, décrivait avec force de détails les coulisses de la création de la console de jeux de Microsoft. Bien avant de faire cavalier seul, le numéro un mondial de l’informatique était entrer en pourparlers avec Nintendo fin 1999. Le constructeur japonais perdait son leadership face à Sony, dévoilant ainsi une vulnérabilité impensable auparavant. Fidèle à ses pratiques, Microsoft usa de sa puissance financière considérable dans le but de proposer une offre indécente : 25 milliards de dollars pour un rachat pur et simple.
 
Loin de se laisser intimider par le montant mirobolant de cette transaction, Hiroshi Yamauchi fit traîner en longueur les tractations, testant les capacités de résistance de son interlocuteur. Les réunions se succédant à d’autres ne donnaient rien. L’homme fort de Nintendo restait inflexible si bien qu’en janvier 2000 les discussions prirent fin, renvoyant dos à dos les deux acteurs.
 
Loin de se laisser convaincre qu’un mariage était impossible en raison de l’existence de cultures d’entreprise diamétralement opposées, les stratèges de Microsoft réévaluèrent favorablement les chances du géant américain de se rapprocher de Nintendo compte tenu du retrait partiel de H.Yamauchi des affaires courantes du fabricant en 2002. Le PDG actionnaire majoritaire de Nintendo avec 10% de parts du capital social fut considéré comme le principal point d’achoppement des pourparlers engagés quelques années plus tôt. Racheter ses parts équivaudrait à accélérer son retrait de la haute direction de la société. 
 
Cependant, Yamauchi resta de marbre face aux relances à peine voilées de Microsoft qui peinait à imposer son format face à la présence écrasante PlayStation 2 de Sony sur les marchés internationaux. Ce fut la dernière main tendue à l’entêté responsable japonais.
 
Pourtant les deux personnalités se connaissent bien. Les premières rencontres remontent à 1996, lorsque Microsoft et Nintendo étaient décidés à créer un joint-venture sous le chapeautage avisé de l’agence de consulting Nomura Securities. La répartition des parts sociales étaient détenues à hauteur de 40% par Nintendo, Microsoft et Nomura se partageaient à part égale le différentiel. La capitalisation de cette coentreprise devait s’élever à 10 milliards de yens. Celle-ci avait pour objectif d’ouvrir un service en ligne par satellite en juin 1997, actant par la même la stratégie de diversification de Nintendo : << l’Entertainment ne se limite pas seulement aux jeux vidéo >> dira Yamauchi sans pour autant préciser comme à son habitude le fond de sa pensée. Une certitude cependant, comme de nos jours pour les smartphones, il était exclu d’anticiper une adaptation des licences Nintendo vers d’autres formats concurrents. Rendre plus efficace le système St Giga était dans les intentions du PDG de Nintendo. Le service fut néanmoins stoppé en raison de la défection galopante des clients abonnés à ce service.
 
En dépit de relations avortées ou ombrageuses qui ont rythmé l’histoire commune des deux sociétés, ce duo de contraires a écrit un épisode unique.
 
(merci à Retromag pour le coup de pouce)