Je n'aime pas critiquer à chaud une série. C'est pourtant ce que je m'apprête à faire, là, juste devant vous, sous vos yeux. Non pas tant parce que Deutschland83 incarne ce qui se fait de mieux dans l'univers des séries - ce serait aussi présomptueux que vrai (pour un paquet d'autres séries aussi !) - mais parce que j'aime casser les codes que je m'évertue moi-même à fomenter. Mais plus parce que Deutschland83 m'a happé. C'est à ce moment-là que vous vous dites que c'est monnaie-courante chez moi, que je m'enflamme pour un rien, que j'accepte tout sans broncher, que je n'ai aucun recul, que les allemands m'ont achetés moi comme la Coupe du Monde, que je soutiens Schumacher plutôt que Battiston, que j'ai une affiche de Merkel au-dessus de mon lit. Oui, tout ceci est vrai, j'aime l'allemand et alors ? Bref', arrêtez votre complexe d'infériorité, la France mène la danse côté série (Engrenages, Mafiosa, Baron Noir, Braquo, Versailles, Panthers, Section Zero, Les Revenants) mais attention, les allemands arrivent fort, j'en veux pour preuve ce fameux Deustchland83 et un certain Unsere Mütter, Unsere Väter dont je compterai les exploits très prochainement.

Puisque j'aime bien recontextualiser ma "connexion" avec l'œuvre, je suis tombé sur un trailer du Show diffusé par Canal+ en ce début 2016. La série m'a essentiellement intriguée pour le choix de son sujet - espionnage entre la RFA et la RDA - ainsi que les premières images que la bande-annonce daignait laisser filtrer. Puis j'ai rapidement oublié la série trop occupé à me vider la tête de toutes ces séries que j'avais enchaînées depuis la rentrée 2015. J'ai fait mon burnout sur le mois de Janvier avec une Diet aussi drastique que respectée de séries. Pour mieux revenir en forme en Février. Ça, c'est pour ma vie comme vous l'imaginez hautement intéressante. Quoi qu'il en soit, je n'avais pas oublié la série parce que j'observe un affect particulier envers l'Allemagne, j'aime l'Histoire évidemment et je trouve que de France, rares sont les œuvres à nous parvenir nous traitant aussi bien de l'époque des 2 Allemagne comme de la Première Guerre Mondiale ou la Seconde d'un point de vue allemand (on en revient à Unsere Väter, Unsere Mütter).

Bien évidemment, GoodByeLenin! comme LaVieDesAutres figurent parmi la NevesHot100Bilboard mais 2, ça fait peu. C'est donc avec un entrain enjoué que je sélectionnais sans considération patriotique la version originale sous-titrée avant de me lancer dans le grand bain. Aimant la langue germanique et l'ayant quelque peu étudiée - comme beaucoup en LV2 - , le visionnage s'annoncerait que plus entrainant. Ces sonorités, cette construction alambiquée des phrases, ces intonations douces et charmantes, me revoilà au collège, à mes grandes heures linguistiques. Rapidement conforté dans mon choix par les premiers dialogues mettant aux prises notre héros - gradés de l'armée est-allemande de son état - avec de jeunes dissidents de la cause communiste interrogés dans le cadre de la diffusion interdite de livres du "monde libre", la suite ne faisait que conforter mes premières bonnes impressions.

Martin Rauch - l'homme qui s'affiche sur les affiches - est garde-frontière au sein de l'armée de la République Démocratique d'Allemagne, l'Allemagne de l'Est. Au départ étranger aux remous politiques ainsi qu'aux tensions qui jalonnent l'Allemagne d'alors d'Est en Ouest, Martin va se retrouver au cœur des enjeux partagés par les 2 blocs - américains comme soviétiques. Rappelez-vous, après la conquête spatiale des années 60 remportée par les Etats-Unis, le nouveau crédo des 2 géants se partageant le monde post-seconde guerre mondial se personnifie en une course à l'armement. Nucléaire tant qu'à faire. Sinon, ce n'est pas drôle. Le sujet est posé. D'un côté, l'URSS et ses proto-états redoutent que le déploiement annoncé de missiles balistiques Pershing II au porte de la Porte de Brandenbourg signifie le début de la fin et de l'autre, les Etats-Unis pensent exactement pareil. Et c'est bien là le problème.

Le parti prit (évidemment, plus intéressant, encore que, il faudrait voir) de la Série est donc de s'attacher à l'évolution du jeune Rauch au sein de l'appareil étatique d'espionnage est-allemand. Et donc de s'attacher à mettre en lumière les derniers développements du jeune recruté pour en savoir plus sur ce qui se trame derrière les grandes manœuvres que tient l'OTAN de l'autre côté du rideau de fer. Pour cela Rauch prend l'identité du nouvel aide de camp du Général ouest-allemand Edel, responsable du quartier général de l'armée de la RFA. Le choc des cultures est sans surprise violent. Une bonne partie du sel de la série vient logiquement de cette dichotomie entre les 2 mondes mais si seulement ça n'était que ça. A vrai dire, passé quelques scènes de découvertes des us et coutumes voire de la technologie dont jouit l'Ouest, ce sentiment ne reste pas bien longtemps, on ne pourra en ce sens pas reprocher d'abus de la ficelle, il est vrai un tantinet aisée.

Les moments de tensions relatifs au double-jeu ainsi qu'aux situations délicates (mise sur écoute, récupération de documents) qu'impose la tâche d'espion sont à l'évidence présents (ni trop, ni trop peu, là encore, un bon dosage). Le spectateur n'est peut-être pas tant captivé par l'issue de la mission que par ce que raconte et dresse la série de l'époque et la situation insoutenable qu'elle dépeint. Scoop. La bombe H n'a pas explosé. Ceci dit, ça n'empêche pas de concéder un attachement fort prononcé pour l'intégrité de notre protagoniste. Ce sont notamment les petites histoires jalonnant la grande qui prennent petit à petit une place de plus en plus prépondérante au sein de l'intrigue. Chaque personnage secondaire entretenant des liens plus ou moins directs avec notre cher Martin.

Comme tout Show, Deutschland83 comporte son lot de triangles amoureux, d'amour amourachée, de pulsion vive, d'enivrement hormonal, de liaisons faites comme défaites, de passion destructive. C'est simple, aucun personnage n'est épargné. Il serait pourtant vain de voir là l'expression d'un remplissage puisqu'il s'agit de moments centraux à la fois pour le récit comme l'introspection réalisée sur les personnages composant cette fresque historique. En effet, je me mouille personnellement en affirmant que ces scènes sont les plus éprouvantes, les plus haletantes, les plus belles, les plus inspirés d'un Show qui n'en manque pourtant pas. Il sera d'ailleurs compliqué de déceler dans certaines approches la nature réelle de la démarche. La sincérité se conjuguant de pair à un pragmatisme de tous les instants. Pourtant, ces mêmes scènes à l’apanage le duo amour-haine se relèvent d'une intensité rare et d'une signification cruciale conférant au moins de façade une la plus pure essence des sentiments.

Je suis né au début des années 90 donc la Guerre Froide, je n'ai pas connu. Je n'ai pas eu le privilège de composer avec le sentiment que tout pouvait partir en fumée sur une simple pression de bouton. Que vous fûtes adeptes de l'abri antiatomique ou que vous passiez ce que vous pensiez comme les dernières heures de l'humanité au bras d'un inconnu en patin à glace sur une chanson disco ne m'importe guère. Je ne suis pas là pour juger. Vous aussi, vous êtes victimes. Quoi qu'il en soit, l'Allemagne de l'époque dépeinte - qu'il s'agisse de celle de Berlin-Est ou de Bonn - vit et charme par la minutie des détails nous ramenant tout droit en pleine période trouble.

L'effort consenti quant à la recrudescence de scènes en extérieur est à ce sens à souligner tant il aurait été facile d'enchainer les plans rapprochés faciles pour substituer un réel travail de ré-imagination de la vie d'époque. Oh, bien sûr, les intérieurs retapissés ambiance 80's sont instantanément reconnaissable (même pour moi qui ne l'est pas vécu) mais qu'il s'agisse de devantures de gares, de maisons, de Trabans, de mobilier ou encore de ce kitsch d'uniforme est-allemand (j'adore !), les scènes en extérieures ne font pas tic et c'est déjà en soi une victoire (contre-exemple : The Americans). La dichotomie entre les 2 mondes joue sa partition dans l'appréhension qu'à notre héros du monde libre - occasionnant nombre de scènes cocasses ou attendrissantes - même si fondamentalement, à quelques avancées technologiques ou censures prêtes, les 2 Allemagnes partagent plus qu'un peuple.

La galerie de personnages est plutôt conséquente - sans être envahissant, rassurez-vous - , chacun étant amené à jouer un rôle tôt ou tard dans le conflit sous-jacent entre les 2 puissances. Ils assurent en sus une facette de l'Allemagne, une vision, parfois jusqu'auboutiste pour certaines ou enjolivée pour d'autres. La politique n'est jamais très loin et la large panoplie esquissée permet finalement de bien rendre compte des tiraillements qui gangrènent la société de part et d'autre de la porte de Brandenbourg. Activités séditionnistes contre culte de l'ordre et de la discipline offre un savoureux mélange explosif propice au regain de tension qui anime la décennie esquissée par rapport à sa précédente. Le spectateur se fait sa propre idée du bien fondée des pratiques, méthodes et dérives utilisées voire occasionnées par les convictions des 2 parties, que leurs membres fassent parti d'association, de groupuscules ou tout simplement de l'organe de répression. Deutschland83 n'oublie pas d'où elle puise ses thèmes et indéniablement, aucun n'est évincé.

Esthétiquement, Deutschland83 s'impose. Forêt, coursives, manoir, tunnel souterrains, les décors respirent l'Allemagne à la fois si austère et si colorée des années 80. Les intérieurs sont bluffants et les plans soulignent avec audace ces derniers (travelling arrière depuis le ras du sol par exemple). J'ai personnellement été bouche bée devant 2 plans bien distants sur 2 épisodes assez distants d'ailleurs. Les deux mettant en exergue peu ou prou la même émotion. Ces derniers se décomposant en une succession de plans fixes sur les principaux protagonistes aux prises avec leur propre réflexion, seuls, tard le soir, qu'importe de quel côté de la barrière on se trouve. Sans aucune note de musique en guise fond sonore, le silence révèle alors toute la puissance que peut transmettre la seule force de l'image, quand l’expression faciale de l’humain se suffit à elle-même.

Nous ne sommes qu'en Mai et j'ai déjà enchainé 9 saisons de Séries différentes et ce Deutschland83 figure déjà comme l'un de mes coups de coeur de l'année. De celles qui devancent les très estimables séries d'une courte mais tangible tête. J'ai beau - à l'instar d'un certain Sam Lake qui l'affirmait à plusieurs reprises lors de sa Masterclass - concéder que nous vivons l'âge d'or des séries, je ne suis pourtant pas rompu à l'exercice facile de tout apprécier, tout trouver beau, tout trouver gentil. Alors, autant, il y a très peu de déchet dans mes choix - je n'ai été déçu par aucune de mes 9 dévotions - mais, clairement, ce Deutschland83 prend la pôle par la seule force du génial boulot abattu par l'ensemble des parties prenantes. Un Must-have dont il serait urgemment pressant de découvrir pour les ingrats parmi vous qui n'auraient pas encore céder. Vous ne le regretterez pas. Ou alors, c'est moi qui rembourse !

 

2014-2016, Time Neves, Deustchland 83 Reserved.