Du 10 novembre 2010 au 9 janvier 2011 s'est tenue au Grand Palais l'exposition Game Story[1]. Il s'agissait de présenter au grand public une rétrospective d'environ quarante ans de jeux vidéo. C'est l'âge de ce jeune média si l'on considère sa naissance au début des années 1970, comme l'évoque la présentation de l'exposition : « Apparu au début des années 1970, le jeu vidéo est un média jeune qui n'a cessé d'évoluer et de se perfectionner jusqu'à devenir de nos jours une industrie culturelle majeure »[2]. Game Story ne fut pas la première exposition faisant l'historique du jeu vidéo. Le musée des Arts et Métiers entreprit lui aussi une rétrospective sur le sujet en 2010/2011[3]. L'espace 4 G, à Paris, fit de même en 2009[4].

 

 

Affiche de l'exposition Game Story

 


 

Game Story reste jusqu'à aujourd'hui l'exposition sur les jeux vidéo la plus forte d'un point de vue symbolique. Le Grand Palais est réputé pour sa valorisation d'arts classiques comme la peinture, de ce fait certains virent dans cette rétrospective une légitimation institutionnelle du jeu vidéo. Les organisateurs de l'exposition eux-mêmes tissèrent des liens entre le jeu vidéo et d'autres arts (cinéma, peinture, etc.) au fil des objets présentés. Ainsi, le média jeu vidéo montrait au plus grand nombre qu'il avait une histoire mais également qu'il était légitime en tant que mode d'expression artistique.

 

 

Exposition dans l'espace 4G (Paris)

 

Malgré cette légitimation progressive[5], l'étude du jeu vidéo en lien avec la littérature, dans le milieu universitaire français, est encore faible. Pourtant, ce domaine d'étude regorge de travaux à mener. La réflexion qui va suivre tentera d'apporter une contribution à ce champ presque vierge. Plus précisément, cette étude sera l'occasion de s'intéresser à l'adaptation d'une œuvre littéraire, en l'occurrence celle de Jules Verne, en jeux vidéo.

 

 

Jules Verne

 

Une telle étude soulève plusieurs questions sur le type de narration possible dans le cas d'un jeu vidéo. Ainsi, il sera intéressant de voir, à travers ce travail, comment peut-on passer d'une narration linéaire et contrainte, comme celle d'un roman, à une narration éclatée et interactive, propre au jeu vidéo.

 

Avant de rentrer dans le cœur de cette réflexion, il est important de revenir sur quelques notions utilisées. Le sujet de ce mémoire parle de « transmédialité ». Ce terme provient d'une notion, plus large, qui est le « transmédia ». On confond souvent le cross-média et le transmédia. Comme il s'agit dans les deux cas de néologismes savants, aucun de ces termes n'est trouvable dans les dictionnaires courants. De ce fait, il semble plus pertinent de partir de l'histoire de l'utilisation de ces termes dans le domaine de la recherche afin de mieux les comprendre.

 

 

Marsha Kinder

 

En 1991, Marsha Kinder, professeur à l'USC (School of Cinematic Arts) et directrice du projet Labyrinth, publiait le livre Playing with Power in Movies, Television and Videogames. Il s'agissait d'un des premiers livres de réflexion sur le transmédia à évoquer le jeu vidéo. Marsha Kinder y affine cette notion en parlant essentiellement de « transmedia intertextuality »[6]. Marsha Kinder rappelle que la base de cette expression est la notion d'intertextualité qu'élabore Julia Kristeva à partir du dialogisme de Mikhail Bakhtin[7]. Les études contemporaines sur les médias, précise-t-elle, se sont emparées de cette notion pour la transposer dans l'univers des médias. L'intertextualité signifiait alors que chaque texte individuel (le terme « texte » est à considérer dans un sens large, « like a movie or novel ») était une partie d'un discours plus général et que des connexions existaient entre différentes productions a priori indépendantes[8]. Marsha Kinder ne fait que poursuivre cette logique en parlant de « transmedia intertextuality » et en incluant dans les médias le jeu vidéo.

 

 

Playing with Power in Movies, Television and Videogames, de Marsha Kinder

 

Derrière cette expression, on retrouve un système commercial reposant sur l'utilisation de différents médias. Ce maillage permet plusieurs exploitations d'une même licence en créant, régulièrement, des récits adaptés à plusieurs supports. Par exemple, une série comme TMNT (Teenage Mutant Ninja Turtles, Les Tortues ninjas en France) peut faire l'objet d'un film, d'une bande dessinée, d'un jeu vidéo ou d'un dessin animé qui offrent aux créateurs une grande rentabilité. Ce jeu d'échos permet d'occuper grandement l'espace médiatique en exploitant au maximum un univers fictif. Ainsi, la « transmedia intertextuality » est une stratégie commerciale qui repose sur un principe particulier de création[9].

 

 

TMNT (Teenage Mutant Ninja Turtles / Les Tortues ninjas)

 

Henry Jenkins, professeur au MIT (Massachussets Institute of Technology), développe lui aussi cette notion de transmédia au cours d'un atelier donné chez Electronic Arts en 2002[10], puis dans un essai, Transmedia Storytelling, paru en janvier 2003. Il y parle de « transmedia storytelling ». Jenkins popularise cette notion dans son ouvrage Convergence Culture en 2006. Dans ce livre, Jenkins dédie tout un chapitre, chapitre 3 : Searching for the Origami Unicorn, The Matrix and transmedia storytelling, à cette notion. Contrairement à Marsha Kinder qui axait son étude sur l'aspect commercial de cette pratique, Jenkins préfère étudier l'apport d'une telle notion à la narration. Pour lui, chaque média exploite une partie d'un monde fictif mais cette exploitation n'est pas isolée. L'ensemble forme un tout cohérent qui permet d'en apprendre davantage sur un univers qui se dévoile et s'étoffe par le biais d'un ensemble de médias complémentaires[11].

 

 

Matrix

 

 

 

En août 2011, Henry Jenkins fait une synthèse des études réflexives portant sur le « transmedia storytelling » lors d'une conférence à la convention Comic-Con. Selon Jenkins, on ne peut en aucun cas réduire cette notion à une seule définition. Certains pensent à une narration éclatée où plusieurs médias exploitent un univers fictif, d'autres imaginent un simple déplacement d'icônes d'un média à l'autre[12].

 

 

Henry Jenkins à la Comic-Con (août 2011)

 

 

 


 

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