Dans son numéro de juin 2009, le magasine Chronicart consacrait une double page à l'annulation par Konami du jeu 6 Days in Fallujah. L'occasion d'analyser un peu plus précisément les causes d'un tel recul de la part de l'éditeur japonais. Et, plus largement, des limites du jeu vidéo dans le domaine du politique via une des annonces les plus retentissantes de ces dernières années.

 

Un sujet sensible

 

 


I) Le problème de la souffrance juive et la grande question soulevée

 

L'auteur de l'article débute son papier en évoquant le cas de Roberto Begnini et de son film La Vie est belle. Le réalisateur italien avait revendiqué lors d'une conférence de presse le droit de faire un film léger parlant de la Shoah. Ce qui me pose problème dans cette référence, c'est la référence elle-même. Autrement dit, la souffrance juive. C'est un rocher derrière lequel on a tendance à s'abriter ou à pointer du doigt dès que l'on évoque un sujet un peu sensible. Soit pour couper court à toute discussion, faisant entendre par là que l'interlocuteur est un brin antisémite, soit pour légitimer les propos à venir. Je critique cet élément pour la bonne et simple raison qu'utiliser une fois de plus cette référence, c'est jouer la carte de la facilité et participer à cette démarcation assez incompréhensible d'une souffrance par rapport aux autres. C'est comme de dire, tel Chirac lors de sa présidence, « nous combattons l'antisémitisme et le racisme ». Pourquoi mettre à part l'antisémitisme qui est pourtant une forme du racisme ?


Mais l'intérêt de ce début d'article, c'est surtout ces quelques phrases qui posent en une poignée de lignes les grandes questions que soulève une telle interdiction. « Un jeu dont l'avortement en dit long sur la puissance lobbyiste d'Internet, du refus du grand public de considérer le jeu vidéo comme un média narratif et de l'incurable suspicion publique sur l'équilibre moral des joueurs » nous dit l'auteur. En effet, en ne considérant le jeu vidéo que comme un grand divertissement, ce dans quoi Nintendo, par exemple, a tendance à renfermer notre média favori depuis le développement de la Wii et de la DS, et en insistant (les médias) sur des épiphénomènes d'addictions et de violences liées aux jeux vidéo on en arrive à donner une image autant négative que réductrice du média jeu vidéo. Avoir une vision réductrice du jeu vidéo, ce n'est pas seulement minimiser son importance dans le champ de la culture c'est aussi l'empêcher d'aborder certains sujets ou du moins de les aborder d'une certaine manière.

II) Le réalisme allié au divertissement

 

Après cette mise en bouche, l'auteur de l'article revient sur l'annonce du jeu le 6 avril 2009 via un communiqué de presse de Konami. C'est le studio Atomic Games qui est aux commandes. Peter Tamte, le président du studio et producteur du jeu, lâche ce jour là une déclaration apparemment contradictoire : « (le but du jeu) Représenter les horreurs de la guerre dans un jeu qui doit aussi être divertissant, mais également donner un point de vue historique de la situation ». Le journaliste a raison de dire que le propos est « a priori » contradictoire. En réalité, il ne l'est pas, la contradiction n'est qu'apparente. Oui, il est possible d'allier le divertissement à une réflexion, à un regard plus sérieux. Le jeu vidéo étant par essence ludique, et donc divertissant, il est logique de retrouver dans toute production une part de divertissement.

Autant dans un point and click historique genre Versailles que dans un Mario ou encore un STR quelconque. Le propos historique, sérieux, est-il impossible ? Pourquoi donc ? La saga des Versailles sur PC dans les années 90 ne représentait-elle pas le château le plus sérieusement possible autant dans son architecture que dans les mécaniques de soumission qui se tramaient entre les courtisans qui y vivaient ? La saga Egypte, toujours sur PC, n'offrait-elle pas aux joueurs le moyen de se divertir tout en apprenant un tas de choses sur la mythologie égyptienne, l'histoire du pays ?


Ce procès que l'on a intenté à Konami de ne pas savoir prendre une voie et s'y tenir, le divertissement ou le documentaire, est tout simplement ridicule. Un documentaire peut être également un divertissement. Antoine de Maximy avec sa série J'irai dormir chez vous allie le divertissement, il rigole parfois avec des autochtones et se retrouve dans des situations cocasses, à un regard plus sérieux comme lorsqu'il rencontre des nécessiteux ou même lorsqu'il cherche à évoquer la géographie d'un pays, l'histoire d'une région. Il n'y a pas à avoir peur du divertissement. En aucun cas, il n'est l'ennemi de la réflexion, du regard avisé qui analyse les choses.

III) La volée de plomb

Il faudra à peine 24 heures pour que les réactions se multiplient à l'égard du jeu 6 days in Fallujah. Ce qui est intéressant à relever, comme le souligne l'auteur de l'article, c'est cette faculté à vouloir combattre voire détruire un jeu dont on ne connait rien. Aucune image, aucune vidéo, aucun V...nada. Un véritable « procès d'intention » comme le dira le journaliste.

 

Nombreux furent ceux à contester la potentielle sortie d'un tel jeu, pros et antis guerre en Irak compris. La première réaction provint d'un soldat britannique de la Royal Marine. Il affirma que « ces événements épouvantables devraient rester du domaine des annales de l'histoire. Il ne faut surtout pas les banaliser et en faire une attraction pour amateur de sensations fortes ». C'est une idée comme une autre mais après tout, tout sujet peut servir à créer une œuvre. Qu'il s'agisse d'un livre, d'un film ou d'un jeu vidéo. On a bien vu des films traitant d'un serial killer sans qu'un parent d'une victime vienne interdire le film. Ou bien des romans se basant sur des faits sordides. L'inspiration reste la réalité et dans cette réalité des faits de société.

Pour le cas des jeux vidéo, le premier Brother in Arms s'inspirait de la série Band of Brother qui elle-même évoquait le plus fidèlement possible les aventures des soldats de la 101 aéroportée américaine durant la seconde guerre mondiale. Les missions en solo cherchaient à reproduire de véritables missions effectuées par ces soldats américains. On parlait là aussi de guerre tout en alliant le divertissement au documentaire. Il n'y a que la manière de faire qui banalisera ou non un événement historique. En aucun cas, on ne peut dire qu'un média, par essence, dévaluera des faits tragiques.


Pourquoi laisser dans les annales de l'Histoire des événements historiques ? Le jeu vidéo, tout comme le cinéma, sont des moyens d'appréhender des moments de notre Histoire. Beaucoup de gens ont une certaine image du débarquement de 44 en Normandie grâce au film de Spielberg : Il faut sauver le soldat Ryan. Le réalisateur américaine use du spectaculaire pour rendre compte de ce débarquement meurtrier sans pour autant banaliser cet événement historique, tout comme le premier Call of Duty. Il serait dommage, autant sur un plan artistique que sur celui de la mémoire, de laisser aux historiens le soin d'entretenir les souvenirs de toute une nation. Les créateurs ne sont pas des historiens mais rien ne les empêchent de créer des œuvres s'inspirant de l'Histoire.

Les autres attaques déplorèrent le fait qu'il s'agisse d'un jeu vidéo.  Des anciens combattants de la Gold Star Families se plaignirent en affirmant que « quand nos proches ont vu leur barre de vie tomber à zéro, ils n'ont pas eu droit à un continue pour réessayer la mission...Ils ont souffert. Ils ont pleuré. Ils sont morts. ». Tirer sur la corde sensible pour rallier les gens à sa cause est une pratique assez facile. Proposer un système de survie tel que le propose un jeu vidéo, ce n'est pas nier la mort de ces soldats américains. Ce n'est pas gommer leurs mémoires en en faisant une grande bouffonnerie. Il ne s'agit que d'un code propre à la codification d'un média. Et plus précisément d'un genre à une époque donnée. Ce n'est pas parce que ce qui est mis en scène n'est pas réaliste qu'on nie le réel. Il faut savoir faire la part des choses et non fusionner dans un grand tout la forme du jeu et le propos du jeu.

Autre attaque étonnante, Dan Rosenthal, un ancien de la guerre en Irak, déplora le fait que le jeu se construise autant avec des témoignages de soldats américains que de rebelles Irakiens. Là où Rosenthal y voit un problème, une faiblesse, on peut au contraire y voir une force. Quel argument de poids en faveur du jeu que de proposer une aventure s'appuyant sur des témoignages des deux camps ! Quoi de mieux pour offrir plus de crédibilité au soft ?

IV) Mort par les pressions

On ne jouera probablement jamais à ce jeu, et c'est bien dommage. Konami se retirant, par peur de voir la grogne monter et probablement aussi par peur de devoir essuyer une polémique, les petits gars de chez Atomic Games se retrouvérent avec un jeu sans éditeur.

Si l'on est arrivé à une telle situation, à un tel acharnement suivi d'un abandon de l'éditeur, c'est bien, comme le suggère l'auteur de l'article en guise de conclusion, parce que le jeu vidéo est réduit à peau de chagrin. On ne voit en ce média qu'un simple divertissement, rien de plus. Tant que les jeux vidéo auront cette vilaine image, on entendra sans cesse des attaques du style « banalisation de la violence », « négation de la mémoire » et compagnie.

 

Conclusion

Rien n'est perdu pour autant, il faut croire au courage de certains éditeurs ou à la confidentialité d'un projet. Moins on le médiatise, moins on a de chance de voir les lobbies s'acharner sur sa production, moins également notre jeu marchera. Même si 6 Days in Fallujah s'est vu crucifié par les pressions de certains groupes, d'autres jeux ont réussi leur chemin de croix. Il ne faut donc pas désespérer même s'il est toujours triste de voir un acharnement stérile remporter la manche.

L'article d'origine : https://levelfive.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=153:reflexions-6-days-in-fallujah-ou-le-jeu-impossible&catid=35:reflexions&Itemid=29

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