To the Moon. Voilà un titre qui m'a parfaitement fait vibrer. Moi qui croyais m'attaquer à un basique point'n'click camouflé sous des faux airs de RPG jap 16 bits, j'eus une surprise de taille en réalisant que face à moi se dressait en fait l'expérience narrative la plus bouleversante de la décennie...

To the Moon, c'est un récit interactif récemment sorti sur PC, que l'on doit au studio indépendant Freebird Games, et plus particulièrement au brillantissime auteur Kan Gao. L'expérience nous raconte la fin de vie de Johnny, un vieil homme qui, sur son lit de mort, reçoit la visite de deux scientifiques dont l'expertise est assez étonnante : réaliser le voeu ultime de ceux qui s'apprêtent à sombrer dans un sommeil sans fin. Souffrant mais chanceux, Johnny mettra ses visiteurs au défi de réaliser son voeu le plus cher : aller sur la Lune.

Partie d'un synopsis lilliputien mais déjà fort touchant puisque traitant de thèmes rudes tels que la mort et le désir d'accomplissement, l'histoire de To the Moon se trouve être en réalité tissée avec complexité. En compagnie du duo de personnages à mourir de rire que forment les scientifiques Eva et Neil, on parcourt les souvenirs de Johnny pour ainsi retracer l'entièreté de sa vie, ce non pas dans l'ordre chronologique, mais de la vieillesse jusqu'à l'enfance. Déjà osé bon nombre de fois dans le monde du cinéma, ce type de narration "en sens inverse" fait pourtant mouche en l'occurence, et m'est même avis que l'oeuvre de Gao réussit mille fois mieux que quiconque en faisant ce choix. Tout d'abord, car un supens nous tient en haleine tout du long, en raison d'un "mystère mystérieux" qui semble concerner un récurrent origami en forme de lapin, que l'on déniche partout où l'on va. Mais surtout parce que de la première à la dernière image, l'émotion est là. En effet, To the Moon a sans cesse cette capacité vile à nous mettre la larme à l'oeil, pour qu'au fur et à mesure du récit et à l'orée du final en apothéose aussi dramatique que jubilatoire, notre larme se change en ruisseau. Certes, il me faut avouer qu'une ou deux scènes (la scène d'équitation par exemple) sont peut-être un peu trop sentimentalistes, mais globalement, quiconque n'est pas doté d'un coeur de pierre s'accrochera à son caleçon pour ne pas braire tel un bambin. A ce propos, le titre ne durant qu'à peu près deux heures (durée que je trouve idéale pour un jeu), le récit peut ainsi ne se consacrer qu'à lui-même, et être conté sans surplus, de façon dépouillée mais intense. La vie de Johnny défile devant nos yeux concrètement, au gré d'évènements et d'émotions qui, sans aucun doute, marquent la vie de quiconque. Mariage, instants de détresse et de solitude, déboires familiaux... Joies et douleurs de cet homme nous sont partagées, ce qui crée entre lui et le joueur une certaine empathie, un lien d'intimité qui fait qu'à aucun moment, on ne pense être face à un jeu vidéo, mais face à la dure réalité d'une vie...

Contrairement à ce que le visuel old-school et mignonnet de To the Moon laisserait croire, le propos qu'il sert fait preuve d'une maturité et d'une gravité sans fioriture. Car outre le fait que nous soit infligé le malheur de la situation entre Johnny et une certaine River qui n'est autre que le second fil rouge du récit, un véritable coup de théâtre tragique nous attend vers la fin et constitue sans conteste le plus beau retournement de situation qu'il m'ait été donné d'apprécier. Bien sûr, cela n'empêche pas au jeu de régulièrement faire preuve d'un humour juste qui survient toujours aux meilleurs moments, grâce aux fameux Eva et Neil, dont les interventions se manifestent par des dialogues absolument bien écrits, donc délicieux à lire. D'ailleurs, les clins d'oeils parodiques que seuls les bons gamers peuvent cerner abondent, qu'il s'agisse de Dragon Ball Z, de Street Fighter, ou même de Chrono Trigger ! La référence m'ayant le plus interpellé reste néanmoins celle au chef d'oeuvre de Michel Gondry, "Eternal Sunshine of the Spotless Mind". On y retrouve une même histoire d'amour, tiraillée par les souvenirs du personnage principal à travers lesquels on voyage à la fois avec douleur et passion.

Comment vous laisser sans parler également de l'OST (elle aussi écrite par Gao) tout bonnement grandiose, qui tient une place non négligeable dans la puissance émotionnelle de To the Moon ? Il suffit d'écouter le thème "Everything's Alright" pour comprendre à quel point les musiques sont enivrantes, et subjuguent nos sentiments les plus intimes. L'importance de la musique est en plus appuyée par l'histoire-même, puisqu'y est intégré le morceau "For River" (ou "To the Moon"), joué à plusieurs reprises au piano par Johnny.

Bref, je ne peux que vous encourager à expérimenter To the Moon, qui est un chef d'oeuvre absolu. A la fois terrible à vivre mais beau à raconter, il transcende d'une main de maître l'émotion que peut servir une narration, tout en faisant passer un message des plus optimistes : jusqu'à la dernière seconde de notre existence, il nous est toujours possible de réaliser notre rêve...

Pour dépenser intelligemment ses deniers, direction le site de Freebird : https://freebirdgames.com/to_the_moon/