On a souvent tendance à voir dans l'idéologie au cinéma la face visible de l'iceberg. Tout le monde réalise, même si cela reste à nuancer si l'on rentre dans les détails comme le fait l'excellent livre Le Cinéma des années Reagan, qu'un film comme Rocky IV est une ode aux Etats-Unis. Il suffit de se rappeler la scène introduisant le titre du film. Ces deux gants de boxe, chacun portant un imprimé du drapeau russe et américain, qui se rencontrent et explosent au contact l'un de l'autre, posent un manichéisme idéologique qui dépassent le simple combat sur le ring. Ce sont bien deux idéologies qui s'affrontent à travers deux boxeurs. De même, la promotion d'une hégémonie américaine sur le monde est claire dans des films comme Independance Day. Le monde va mal, il est menacé par une intervention extraterrestre mais les U.S.A. survivent et finissent par terrasser le Mal. Seulement, des films beaucoup plus consensuels, musicaux, sentimentaux et j'en passe, ne sont pas dénués de messages idéologiques. Pour démontrer cela, un peu comme une grande introduction avant une étude plus dense, voici une analyse critique du film Never Say Never de Jon Chu. Film/clip mettant en scène le jeune Justin Bieber. Ado préféré de bien des jeunes filles américaines. Quoi de plus consensuel qu'un film musical sur un adolescent chantant des bluettes ? Voilà un exemple parfait de la face cachée de l'iceberg.

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I) Résurgence du rêve américain 

Le titre en lui-même est symbolique. Il ne s'agit pas d'une « Histoire de Justin Bieber » ou d'un sobre « Justin Bieber », titre éponyme. Le choix porte sur une phrase résonant à nos esprits comme un slogan, une sorte de philosophie de vie condensée en une phrase un peu comme ces propos de comptoirs, pour philosophes du dimanche, consistant à retailler quelques grands philosophes : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » et compagnie. On connait la chanson.

On traduirait ce titre par « Ne dis jamais « jamais » » ou, avec reformulation, « N'abandonne jamais », « Persévère toujours ». Deux moments clés dans le film viennent soutenir cette quasi profession de foi. Celle où Justin se baladant dans la rue, retrouvant le music-hall, les marches plus précisément, où il commença à chanter en public croise une jeune fille jouant du violon. Notre chanteur s'arrête, la regarde, la fille est surprise, s'arrête aussi, est émue. Justin lance une pièce dans l'étui de son instrument tout en ajoutant que lui aussi, avant d'être célèbre, jouait ici et qu'il ne faut jamais abandonner ses rêves. En clair, « Never Say Never ».

A la toute fin du film, moment d'apothéose puisque Justin se retrouve dans le Madison Square Garden. Salle mythique et symbolique aux Etats-Unis où sont passé des gens comme Michael Jackson. Justin, en guise d'introduction, se lance dans un petit speach. A nouveau, la rengaine de la persévérance, du travail contre tous les maux. Tout cela pour conclure par le fameux slogan, soutenu par un effet spécial nous imposant en géant (et en 3D lors de sa sortie en salle), « Never Say Never ». Le ludique entourant l'idéologique, comme pour mieux faire passer la pilule.

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A travers ce côté battant, lui le petit Canadien vivotant dans un village neigeux et ordinaire, fils de parents divorcés, Justin Bieber réactive auprès des jeunes et très jeunes générations (des ados, pré-ados voire des enfants comme on le voit dans le film. Certaines fans ayant à peine cinq ans) le mythe du rêve américain. Tout est possible pour qui le veut, la simple volonté, le travail, permettant de surpasser toutes les contraintes ethniques, sociétales, économiques. Une ode au volontarisme si américain, base de la libre entreprise, de la concurrence acharnée, de cette notion de la liberté cherchant à s'éloigner de tout contrôle étatique ou autre.  On est déjà loin du simple film musical, clip pour jouisseurs juvéniles. Derrière les chansons, un discours, la tradition d'un mythe.

II) Les mouvements de masse sont virtuels. Ode à Internet.

Ce qui fait également la singularité de ce Never Say Never, c'est cette vision d'Internet.  Moyen de communication démocratique par excellence. Plus qu'un moyen de communication, il s'agit là d'un tremplin pour tous. Le net permet à chacun d'avoir sa chance, d'être soutenu, de réussir, de transcender sa condition initiale. Les mouvements de masse se font sur Internet, virtuellement, non plus dans la rue. Belle illusion, utopie diront certains, que cette vision d'une sorte de démocratie pure, non dévoyée par son application concrète.

Au niveau de Justin Bieber, ce que le film nous vend, au-delà de cette idéalisation d'Internet, c'est non par notre slogan républicain « La république du peuple, par le peuple, pour le peuple », mais « L'artiste du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Justin Bieber provient du peuple, lui l'enfant d'une famille modeste, est découvert par des citoyens ordinaires qui le félicitent, le soutiennent, l'encouragent (commentaires, vues sur les vidéos youtube...), et ce dernier n'oublie pas son public, ce « peuple », puisqu'il communique avec en permanence et le remercie sans cesse. La fierté, évoquée par un membre de l'équipe durant le film, est d'avoir découvert « avant les majors » le jeune Justin. Que l'on se rassure, le talent en herbe sera bien vite remis sur les rails d'un schéma plus conventionnel, soutenu par le chanteur Usher et autres producteurs renommés. L'intermédiaire artisico-économique n'est pas mort.

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C'est là qu'interviennent les réseaux sociaux. Twitter pour avoir un contact quasi immédiat entre l'idole et la foule adorant. Justin Bieber a mal à la gorge à un moment donné. Après examen, le docteur constate que ses cordes vocales sont enflées. Il est forcé au repos, il annule même un concert. La mise en scène exploite au maximum le pathos. On voit un Justin mutique, la musique au piano surligne allégrement le ton déjà grave du diagnostic. Réfugié dans sa chambre, quasiment dans le noir, le montage nous montre, jusqu'à une profusion sur tout l'écran, des dizaines, centaines de tweets de soutien. Ils prient pour lui, lui souhaitent un bon rétablissement. Justin répond par un remerciement, disant qu'il est triste de les délaisser. La fusion est totale. Il y a cohésion, le groupe suit le meneur. Et tout cela, grâce à Internet.

III) Un peu de puritanisme

Trait caractéristique de l'américain moyen, cette faculté de recourir régulièrement à la religion et son imagerie. On le voit dans le film, le staff prie avant le concert, Justin prie également lorsqu'avec des amis il s'apprête à manger une pizza.

Mieux, lorsque Justin a mal à la gorge, on voit sa mère prendre dans ses bras son fils tout en demandant l'aide de Dieu pour la guérison du filston. La moindre contrariété, le moindre obstacle se doit d'être franchit avec l'aide de Dieu. Il y a une grande hypocrisie dans ce recours à la religion car d'être ce puritanisme de façade on dénombre bien des comportements immoraux. Rappelons-nous, autre cas de la pop culture, Britney Spears et sa position marketing à ses débuts. Pas d'acte sexuel avant le mariage, dans les faits tout cela fut bidon, mais des tenues hautement aguicheuses pour n'employer que des termes polis.

Conclusion

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Never Say Never est un film intéressant pour ce qu'il symbolise. Non pas un énième film produit de la chaîne MTV, même s'il en est un, promouvant un jeune artiste, formaté, lisse, jouant impeccablement le jeu du plan marketing, mais la preuve qu'un long métrage anodin, un film musical pour adolescents, peut véhiculer des éléments idéologiques. La face cachée de l'iceberg en somme.

Tout cela nous conduit à nous questionner plus largement. Pourquoi le film consensuel peut être considéré aujourd'hui comme le meilleur film de propagande qu'il soit ? Disons la forme la plus adéquate pour cet exercice. Tout simplement parce qu'il est innocent (pas de soupçons pour une bluette, un film musical, une comédie) donc très efficace puisqu'insidieux. Il est également ludique (beaucoup de passages musicaux, gags, ou autres procédés séduisant). Ainsi, en étant ludique et innocent, le film consensuel, qu'il s'agisse d'un film sentimental, musical ou d'une comédie est un cheval de Troie d'une grande efficacité.

On est loin des films de propagande comme ces films anti-nazis réalisés par les Américains durant la seconde guerre mondiale ou, à l'inverse, les films de propagande nazis. L'idée était de promouvoir une idéologie, de façon claire, en s'attaquant à d'autres systèmes de pensée. C'est pour cette raison que j'étudierai la comédie, forme éminemment populaire chez nous, pour la partie de cette grande étude concernant le cinéma français, car au fil des ans c'est le type de film qui me semble être le plus apte à véhiculer des éléments idéologiques.

L'article d'origine : https://lantiblog.over-blog.fr/article-essai---analyse-critique-du-film-never-say-never-de-jon-chu-74668881.html