Cet article dévoile des évènements clefs du manga, faites donc attention aux spoliers avant d'aller plus loin.

 

Définir la science-fiction a toujours été un exercice risqué. Littérature de l'imaginaire,  on lui concède volontiers un caractère d'anticipation que celle-ci soit technologique, philosophique, morale, sociétale.
Se projeter dans l'avenir, faire des expériences de pensée dans lesquelles l'humain se trouve dans des situations impossibles et tenter d'en sortir une réflexion, une solution ou une interrogation, sont autant de pistes qui permettent de dégager les traits caractéristiques de cette littérature. 
Et a cultures différentes, réflexions différentes, nous allons voir avec l'exemple de Sidonia no Kishi que l'on peut remettre en question un nombre assez conséquent de problématiques typique de la science-fiction, qui appellent habituellemnt des réponses aujourd'hui stéréotypées,  pour les évacuer de façon simple et se rendre peut-être compte qu'elles sont moins problématiques et angoissantes que les précédents littéraires on bien voulu le présupposer.

Sidonia no Kishi ou Knights of Sidonia  est un manga de Tsutomu Nihei paru au Japon le 23 septembre 2009 toujours en cours de publication (12 tomes) et actuellement édité en France chez Glénat.
KoS  nous décrit un univers dans lequel la Terre a été détruite par des extra-terrestres gigantesques et quasi-indestructibles, les Gaunas. L’humanité fuit depuis 1000 ans le système solaire à bord de gigantesques vaisseaux-colonies, véritables arches pour notre espèce en voie d’extinction.

Le premier contact... Comment dire... S'est plutôt mal passé...


Mais alors que le Sidonia essaye de trouver une planète habitable, les Gaunas continuent de pourchasser l’humanité. Pour se défendre, les humains se reposent sur une armée de mechas pilotés, les Sentinelles, qui peuvent, à l'aide d'un substance extra-terrestres mystérieuses la Lemme, tuer les Gaunas. 

 Au contact de la Lemme, les Gaunas sont vaporisés. Encore faut-il frapper juste...

Pour nous faire entrer dans l’univers du Sidonia, Tsutomu Nihei va utiliser un ressort assez classique, celui du héros un peu simple qui ne connait rien de la vie et qui va découvrir avec le lecteur, l’univers dans lequel il se trouve et ses implications.

Le tome 1 débute en suivant Tanikaze Nagate, jeune homme d’à peu prèt 18 ans qui va quitter les sous-sols du Sidonia en étant poussé par la faim.
En effet, il vit terré dans les entrailles du gigantesque vaisseau élevé par son grand-père loin de tout contact extérieur.
Alors que ce dernier est mort de vieillesse, Tanikaze prend l'initiative de chaparder du riz pour subsister. Rapidement poursuivi pour ce larcin assez mal organisé, il se blesse et est recueilli par les habitants du Sidonia qu’il appelle “ceux de la surface”.

Notre héros en train de rater son vol de nourriture.

Mais curieusement, loin d’être un indésirable clandestin pour les instances dirigeantes du Sidonia, Tanikaze semblait au contraire être attendu avec impatience...

Immédiatement après son rétablissement, il intègre l’école de guerre pour devenir pilote de Sentinelle, chose à laquelle il montre des aptitudes impressionnantes pour un ‘enfant trouvé”, avouant lui-même s’y entraîner tous les jours  sur ordre de son grand-père, du temps où il vivait sous terre.

Pilote exceptionnel, on lui confiera, chose là aussi mystérieuse pour les autres personnages, le “Tsugumori”, ancien mecha sauveur de l’humanité et piloté en son temps par un soldat de légende...
Poussé par des valeurs simples, une bonté sans faille, l’envie de protéger et une grosse dose de naïveté, Nagate sera de tous les combats pour défendre le Sidonia.
Ses talents et leurs origines seront un enjeu de Sidonia no Kishi au sein de la véritable intrigue: la survie du Sidonia, et par extension de l’humanité, face à la menace des Gaunas.

Le Sidonia est un vaisseau gigantesque à l’échelle d’un peuple. Lancé à travers les étoiles pour fuir les Gaunas, et espérant trouver une planète où y faire renaitre le monde, les habitants du Sidonia multiplient les manipulations génétiques, altèrent le vivant pour adapter l’humain à ce milieu hostile qu’est l’espace.

Ici le terme d'espace est d'ailleurs aussi bien pris dans son acception extérieure d’espace intersidéral, que dans son acception intérieure aka  l’espace clos et autarcique du Sidonia où un seul mot d’ordre dicte la conduite à bord: Survivre.
Mais étrangement, en décrivant une société dictatoriale, cruelle, Sidonia no Kishi est malgré tout loin de réduire cela a un cadre déshumanisé, froid. La série va au contraire évacuer nombres de vertiges existentiels, d’angoisses dont est si friande la S-F occidentale.
Si en occident tout est motif à nous déshumaniser et à nous mettre en garde, voire à nous effrayer, dans Sidonia no Kishi, l’humanité trouve toujours son chemin, même si elle est soumise à un destin cruel et injuste.

 

Première partie: Le Sidonia, déesse injuste et monstre protecteur d'une humanité à l'agonie.

Mille ans avant les évènements du manga, tout le système solaire a été détruit par des extra-terrestres aux dimensions titanesques, les Gaunas. Quasi-invulnérables, ils contraindront l’humanité à fuir son foyer en embarquant les survivants à bord de vaisseaux de colonisation désignés par la classe “Guardian”, dont le Sidonia fait parti.

 Notre vaisseau spatial, vu arrière.

Prenant la forme d’un parallélépipède octognal qui traverse de part en part un astéroïde,le Sidonia montre des lignes simples, presques épurés renvoyant une image de forteresse. renforcée par l’absence de lumière extérieures qui pourraient laisser supposer des ouvertures sur l’espace.
La dangerosité des Gaunas interdit ce genre d’incartades et cette impression de bouclier que montre le Sidonia est renforcée aussi par les très nombreux impacts de météorites que le vaisseau arbore sur sa coque. Comme l’humanité continue d’avancer malgré les pertes et les destructions, le mechadesign du Sidonia est le reflet de cette lutte, subissant les assauts extérieurs, les coups d’un espace hostile tout en continuant d’avancer.

Le plan du Sidonia, et les très nombreux dessins de Nihei de l’intérieur du vaisseau (Nihei est architecte de formation) nous donne une image assez nette du vaisseau. Le détail des bâtiments évoquent une culture japonaise altérée où se mélange anticipation sociétale et fêtes propres au Japon d’aujourd’hui.
Il en ressort une ambiance simple de normalité, où les médias s’expriment (avec un degré de liberté sujet à caution), les manifestants aussi et où un semblant de démocratie semble s’exprimer malgré le milieu autarcique et militarisant de l’état d’urgence.
Ainsi, un nombre suffisant de citoyens peut proposer comme motion au gouvernement le droit de quitter le Sidonia pour s’installer sur une planète disponible. Cette liberté donne droit à tout le matériel nécessaire, mais la colonie se séparant du vaisseau rompt en même temps tout contact avec ce dernier.

Si le Sidonia renvoi une image de gardien, de dernière chance pour une humanité en fuite, sa nature n’en reste pas moins ambivalente et il peut très rapidement se transformer en monstre.
Le Sidonia est en effet par deux aspects un monstre qui dévore ses enfants.
Littéralement tout d’abord, car chaque humain décédé passe par un Convertisseur Organique qui transforme son corps en engrais. L’agriculture est toujours présente sur le Sidonia, notamment par la culture du riz.
Si la science-fiction accepte depuis longtemps que la survie humaine passe par le recyclage, il s’agit surtout de recycler les excrétions du corps (sueur, urine, fèces) comme dans Dune  de Franck Herbert par exemple.

Parler de recycler les morts évoque plutôt un tabou très grave comme dans Soylent Green de Ricahrd Fleischer, qui décrit un monde où la nourriture n’existe quasiment plus, remplacée par un composé alimentaire basique fabriqué à partir d'humains décédés/abattus.
Dans Knights of Sidonia, le fait d’être digéré par la machine après sa mort ne suscite pas de débat particulier. Les choses sont ainsi et c’est tout.
Vivre, mourir, contribuer à la vie des autres après sa mort c’est faire partie du cycle de la vie. Les cimetières dans le Sidonia prennent la forme de larges monolithes noirs ou figure les noms des disparus.

Le Sidonia est une sorte de prison, un monde miniature qui insère l’Homme dans un cycle de la vie artificiel, presque une parodie de nature. Notre oeil extérieur, face à cette projection de science fiction, peut susciter l’effroi (c’était l’effet recherché dans Soylent Green), mais le naturel avec lequel Nihei insère cela dans la narration le colore immédiatement avec la teinte de la normalité.
En se transposant à la place des personnages, on voit qu’ils ne sont pas en révolte face à ce système car ils n’ont jamais connu d’alternative, tout simplement.

Plus fataliste encore est la deuxième façon dont le Sidonia tue ses enfants en voulant les protéger.
En respectant une physique assez réaliste pour son vaisseau, Tsutomu Nihei prend en compte certaines réalités physiques pour y attacher une tension dramatique.
Ainsi, le Sidonia avance de façon inertielle, c’est à dire que ces réacteurs ne sont pas allumés, et qu’il progresse grace à une poussée initiale. Un vaisseau de la taille du Sidonia (29 km) ne se déplace pas comme une voiture et seuls les deux énormes réacteurs placés sur le tronçon court peuvent faire varier sa course.
Le combat stratégique avec les Gaunas repose donc toujours sur un jeu de trajectoires et d’évitement. Quand les Gaunas piègeront le Sidonia pour mettre sur son chemin une bombe, les grandes distances donnent un temps de réaction assez large à l’Amiral pour réfléchir à un plan, respectant là encore la cohérence des grands distances dans l’espace et la physique de déplacement des corps.

Il faut néanmoins tenir compte de la masse ce que fait Nihei dans un souci de cohérence.
En dernier recours l’Amiral peut donc ordonner l’allumage des réacteurs. Dans le manga, le premier allumage se fait en deux temps pour initier un virage, malgré l’alerte lancée par la passerelle, qui commande à tous les habitants de s’accrocher aux rampes prévues à cet effet, la déviation brutale du vaisseau modifie la gravité qui se charge de précipiter dans le vide toute personne et tout objet non attaché.
L’horreur est totale: bâtiments arrachés, corps jetés en pâture au vide, personnes prudentes mais malchanceuses broyées par une chute d’objet, rien n’est épargné aux habitants du Sidonia qui pourtant s’entrainent à subir ce genre de catastrophes (chaque habitant à sur lui un harnais) rappelant l'entraînement des japonais en cas de séisme.

Avec cela, on constate que les accélérations et les accidents gravitationnels du Sidonia procède plus dans la vie des personnages de la catastrophe naturelle que de l’erreur de jugement.

 

Malgré l’imagerie ignoble de corps jetés dans le vide comme des poupées de chiffons qui s’écrasent au sol dans une tâche rouge, les survivants, comme rompus à la tâche, aident les blessés et ramassent les corps qui finiront au Convertisseur Organique décrit plus haut.

C’est la fatalité qui pèse lourd sur les esprits plutôt que la revanche envers l’Amiral Kobayashi, seul maitre à bord dont la personnalité et les états d'âmes sont dissimulés derrière un masque, symbole de son devoir. 

La chose étant guidée par la nécessité de survie face à la menace, personne ne pense au final reprocher ce choix. Tout au plus nos héros feront une remarque sur le Convertisseur qui fonctionne “à plein régime en ce moment”, véritable ventre qui digère les morts et tout autant matrice génératrice de vie de cette déesse-mère qu’est Sidonia.
La vie reprend donc toujours son cours sous cette tutelle si cruelle mais si indispensable, au milieu des destructions pourtant titanesques et avec ce seul mot d’ordre: survivre.
 
Si le Sidonia s’impose à mon sens comme personnage principal de l’oeuvre de Tsutomu Nihei, il fait néanmoins du combat contre les Gaunas son intrigue principale. Et cette prévalence du combat sur le reste lui donne une liberté assez particulière, celle de décrire en filigrane et avec subtilité tout un tas de questionnements classiques de la science-fiction qu’il va évacuer avec simplicité et élégance
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Deuxième partie: L'humain dans le Sidonia.

 Le clonage et les Soeurs Honoka.

L’un des premiers points abordé par KoS est la question du clonage humain.
Alors que Nagate est introduit à l’école pour devenir pilote, une image frappe le spectateur/lecteur, celle de onze jeunes filles toutes identiques.

 

On apprend plus tard que toutes ces jeunes femmes sont des clones, et des clones un peu spéciaux car elles bénéficient d’une vieillissement accélérée leur donnant en 5 ans la maturité physique d’une vingtaine d’années.
La chose surprenante ici, c’est qu’habituellement, la figure du clone conduit à deux angoisses de la science-fiction:

  • La crainte du remplacement de l’être humain original par un clone qui lui vole sa vie.
  • La crainte d’une humanité sans diversité uniformisée par le clonage d’un être unique.

La crainte d’une société de clones se rencontre assez simplement dans la prélogie Star Wars à partir de l’épisode II où la planète Kamino produit une armée de clones pour le compte de la République. Développés à partir de Jango Fett et entraînés dans un milieu cadré et répétitif, ils ont tout des soldats sacrifiables à merci que l’on produit à la chaîne.
Autre exemple, dans Evangelion, on apprend tardivement que Rei Ayanami est le clone de Yui Ikari  la mère de Shinji, qui sert de pilote de substitution et de remplacement pour l’Eva-01. Rei, créature déshumanisée cherche en elle des sentiments humains se croyant poupée sans âme au milieu d’autres poupées, ses copies conformes.

KoS va évacuer ses deux problématiques avec une simplicité désarmante et par la même renouveler ma propre réflexion sur le sujet.
Nihei va présenter les soeurs Honoka non pas comme des clones, mais comme des soeurs (justement). La chose peut sembler triviale, mais, et c’est tout bête, l’auteur nous rappelle que la nature a déjà inventée le clonage. Les vrais jumeaux partagent vous le savez tous déjà le même patrimoine génétique.
Alors si deux personnes, deux organismes pour voir plus largement, peuvent partager un même génome, pourquoi la chose sera-t-elle différente avec le clonage de S-F?

Dans le clonage de science-fiction, on présuppose souvent que les clones en grand nombre génère des êtres sans âmes, des robots dénués d’émotions, cf Star Wars ou Evangelion avec Rei ci-dessus

Mais deux personnes, jumelles, partageant déjà le même patrimoine génétique n’en font pas des monstres sans âme pour autant ou des créatures interchangeables...
Alors pourquoi la chose serait différente avec plus de personnes?

Les Soeurs Honoka sont des soeurs, elles ont bien consciences d’être spéciales, mais l’une d’entre elles ne manque pas de dire à Tanikaze: ”─ Tu sais mes soeurs et moi on arrive à se distinguer toutes les 11...”, glissant au passage une remarque pour embarrasser sa soeur et faisant là un écho aux personnes qui confonde les jumeaux entre eux.

Les amies d’enfance des soeurs Honoka d’ailleurs, n’ont d’ailleurs pas (ou plus?)  ce genre de difficultés.

Les caractères de chacune sont aussi différenciés oscillant de l’hostilité à l’intérêt pour notre héros et leur carrière militaire ne suit pas le même rythme, En étant la première à devenir pilote avant ses soeurs, démontrant là encore que clonage ne rime pas avec photocopie des caractères et des vies.

De même lors du décès de l’une d’entre elles en combat, le chagrin des soeurs est celui d’une famille qui perd un membre, Nihei ne raconte pas un détachement froid comme on aurait pu s’y attendre avec le précédent de Rei qui accepte la mort en tant que clone remplaçable.

Ainsi contrairement au Brave New World d’Aldous Huxley, le clonage de masse ne rime pas avec déshumanisation, et d’ailleurs pourquoi serait-ce le cas? Même avec un patrimoine génétique copié sur celui d’un autre, je n’en resterai pas moins un être physiquement à part.
Ainsi, le fait d’être génétiquement identique, mais différencié en tant qu’être suffit à créer une nouvelle personne, court-circuitant le risque d’“armée de clones” propre à cette problématique de la S-F.

Les Soeurs Honoka sont donc l’une des premières problématiques de la S-F évacué par KoS.
Le Sidonia, en crise, a toujours besoin d’humains, (et par extension de soldats). Pour ce faire, les scientifiques vont manipuler le génome pour créer des êtres qui grandissent vite et reproductibles facilement. (Onze clones en une seule fois, c’est pas mal... Et une deuxième naissance de 11 soeurs suivra plus tard)

Mais là où il aurait été facile de les montrer en groupe militaire, froid et déshumanisé, conforme à l’imagerie d’une armée de clones, Tsutomu Nihei préfère, lui, en faire des filles normales chacune avec un caractère différent, partageant juste le lien fort de la gémellité.

Et en y réfléchissant, pourquoi en serait-il autrement?

Pourquoi subitement, être la copie génétique de quelqu’un (et uniquement génétique) doit forcément nous plonger dans des affres existentialistes? Si demain, mon clone devait naître, il ne sera jamais moi. Il ne pourra jamais partager l’époque à laquelle j’ai grandi, (les années 80), avoir fait les mêmes rencontres, etc... il donnera certes un humain me ressemblant beaucoup (et encore, c’est pas dit), mais il ne sera jamais ma copie conforme.

Un patrimoine génétique ne fait pas tout dans l’être humain, et Tsutomu Nihei évacue le débat du clonage avec simplicité, faisant passer le questionnement profond sur la perte de la nature de l’homme au tamis, et c’est inattendu, de la sororité (au sens de fratrie familiale).
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 Nagate Tanikaze, clone vouer à mourir.

La question du clonage comme copie parfaite d’une personne se retrouve avec Nagate. Notre héros, et on l’apprend assez rapidement dans le manga, est en fait le clone de Hiroki Saitou, héros de guerre du Sidonia qu’il a sauvé tout au long d’une carrière militaire étendue sur plus de 100 ans.

Et en tant que l’un des membres fondateurs de la société actuelle du Sidonia, il a le bénéfice de l’immortalité.
En effet, ses talents exceptionnels et son expérience en font la dernière ligne de défense du vaisseau, et comme il est précisé dans le manga, pour le bien du Sidonia, son corps et son savoir ne lui appartiennent plus.
Il a donc le devoir de rester en vie pour le vaisseau, ce qu’il va refuser de faire en se laissant vieillir. Il sera alors question de créer un clone qui, une fois à maturité, recevra son cerveau afin de lui permettre de continuer le combat.
Hiroki refusera, préférant mourir de vieillesse qu’être le prisonnier d’une vie de luttes. Mais refusant de voir sacrifier son clone à naître, tout en comprenant ce qu’implique sa disparition pour le Sidonia, il va kidnapper son clone (alors tout jeune bébé), disparaître de la circulation (en se terrant dans les entrailles du vaisseau) mais néanmoins s’engager solennellement à lui apprendre tout ce qu’il sait.


Ainsi Hiroki Saito est le “grand-père” décédé de Nagate, ce dernier ignorant qu’il est en fait un clone modifié de celui qu’il considérait comme sa seule famille.

Ici est battu en brèche le mythe du clone comme créature de remplacement. Sans trouver tout un tas de tares sur le clonage en lui-même comme on l’a vu ci-dessus avec les soeurs Honoka, il n’en reste pas moins que Nihei rejette l’hypothèse (la facilité?) du clonage comme vecteur de transmission de savoir et comme prolongation d’une vie humaine. Plutot que de garder une même personne dans des corps de remplacement, il s’agit de laisser faire la nature, c’est à dire la mort, pour que la vie suive son cours avec le renouvellement normal des générations. Seule la transmission intergénérationnelle et la confiance dans les générations futures accompagnés par l’éducation et l’amour (ici filial) sont seuls des vecteurs viables d’évolution et de progrès.

 

La normalité des modifications génétiques.

Si en ce moment la question de l'éthique semble plutôt tourner autour des problèmes de gestation pour autrui, il n'en reste pas moins que les OGM ont tenu pendant un bon moment le haut du pavé au rythme des fauchages de José Bové.
La modification génétique du vivant par l'Homme est assez assez ancienne, avec par exemple la production d'insuline humaine par une bactérie.

La modification génétique est une norme dans le Sidonia et fut même dans l'histoire du vaisseau, une obligation.
Il y a 100 ans, le Sidonia a survécut à une attaque de Gaunas infiltré, ne devant sa survie qu'a l'héroïsme de Saito Hiroki. Le bilan est terrible, 24 membres de l'Assemblée des Immortels (je reviendrai sur eux) et seuls 392 membres d'équipages survivent.

L'anéantissement n'est pas loin, et des mesures drastiques doivent être prises pour garantir la survie. Avec cettte destruction sera perdu le savoir agricole mettant à mal la production de nourriture, c'est là qu'intervient la première modification qui sera fait aux êtres humains, la photosynthèse. 
En effet, dans Knights of Sidonia tous les humains sont capables de se nourrir par le contact de la lumière du soleil sur la peau, empruntant par là un trait caractéristique des plantes. Une première hybridation donc.
La chose est tout à fait normale à bord du Sidonia et c'est Tanikaze, incapable de synthétiser qui sera la cible de quolibet, l'ingestion classique de nourriture étant vu chez lui comme quelque chose de sale (Nagate mange énormément.)  Tout au plus les habitants du Sidonia s'autorise un repas solide par semaine.
Le problème de la nourriture est donc résolu de façon radicale par Tsutomu Nihei qui n'hésite pas à faire des humains des sujets OGM. Là encore comme pour les soeurs Honoka, la chose est normale et n'appelle pas à des craintes spécifiques, alors que dans Soylent Green là encore, la perte de la nourriture est vécue comme une reniement de ce qui contribue à constituer notre  l'humanité.

L'Amiral Kobayashi tiens une réunion pendant sa séance de photosynthèse. La promiscuité du Sidonia met à mal la pudibonderie...

 

La modification suivante apportée à l'humain dans le Sidonia sera introduite par un personnage spécifique, Izana Shinatose.
Alors que Nagate aura bien du mal à se faire des amis à l'Académie militaire, il sera abordé par Izana qui va très rapidement se lier d'amitié avec lui. Nagate, troublé n'arrive pas à déterminer une chose: Izana est une fille ou un garçon?
Ce dernier le mettra vite à l'aise: il/elle n'est ni l'un, ni l'autre. 

Devant les difficultés démographiques que rencontre le Sidonia, un troisième sexe fut créé. La particularité d'Izana est donc de pouvoir procréer avec des hommes et des femmes voire même de donner naissance à son propre clone par parténogénèse (qui est une specificité qui se rencontre dans la nature chez certains lézards). Izana est donc hermaphrodite de base, mais la différenciation génrée se fait lorqu'il/elle trouve un partenaire après un temps d'adaptation. 
L'intelligence  du design d'Izana, qui va concourir à son acceptation pleine et entière par le lecteur, sera de traiter Izana pour ce qu'il est sans s'appesantir sur sa condition. Si Izana devient amoureux/euse de Nagate de façon assez rapide et évidente, il ne va pas pour autant se genrer pour lui plaire immédiatement. Par un habile design des vêtements, Tsutomu Nihei va maintenir l'ambiguité d'Izana en arrivant à créer un conpromis dans son apparence qui n'est ni masculin, ni féminin.
Ses vêtements correspondent à son apparence androgyne avec une grande justesse.  La normalité de ce troisième sexe passe par son intégration vestimentaire et la normalisation de celle-ci. SI l'uniforme masculin de spilotes passe apr le pantalon, et le féminin par la jupe, celui d'Izana passe par un entre-deux cohérent qui ne force pas un genre mais resterai valable pour les deux.

Avec cette normalité introduite par Nihei, c'est un triangle amoureux qui se met en place autour de Nagate, où s'ajoute Yuhata, fille qui court aussi après Nagate. Les quiproquos autour de ce triangle sont tout à fait classique concourant par la même à dédadramatiser la chose, car à  l'heure où en France la théorie des genres fait débat, la lecture de Knights of Sidonia par sa pertinence sur le sujet me semble tout indiquée et démontre par la même à quel expérience sociétale peut se préter la science-fiction.

L'hybridation génétique se trouve aussi avec le personnage de Lala, hybride d'une femme et d'une  ourse, grande amie de Hiroki Saito et vétéran de la guerre contre les Gaunas d'il y à 100 ans, brisant là encore les limites entre les espèces avec simplicité. (Elle ne remarquera même pas que Nagate est très surpris par son apparence, cette dernière croyant qu'il se focalise sur sa main perdue au combat)

En parlant de Lala, Hiroki et Kobayashi, précisons qu'ils sont un peu spéciaux... Présents depuis longtemps à bord du Sidonia, ils font parti de l'Assemblée des Immortels, conseil de 24 membres qui contrôle depuis toujours le Sidonia. Dirigeant de l'ombre, l'amiral Kobayashi porte un masque pour cacher le fait qu'elle est toujours la même personne aux commandes. Les membres de cette assemblée sont réellements immortels par la prise de médicaments. Cette modificaiton humaine, qui n'est pas génétique, est la seule condamnée par Tsutomu Nihei. En effet, Hiroki refusera de continuer à prolonger sa vie en renoncant à prendre les médicaments tandis que Lala s'interrogera sur la pertinences des actions de l'Assemblée laissant poindre, à mon sens, une certaine lassitude de cette situation et de la vie.

C'est donc la modification intrensèque de l'Homme qui trouve grâce aux yeux de l'auteur. La modification artificielle comme l'immortalité médicamenteuse ou le clonage en vu de se rajeunir sont perçue par Nihei comme des trahisons au cycle de la vie; tandis que l'humain, fut-il modifié, n'a pas fait le choix de sa condition et reste donc humain à part entière.. C'est donc l'hubris  des dirigeants du Sidonia qui est mise en question par leur volonté de tricher avec le cycle de la vie, là où les modifications génétiques ne visent, elles,  qu'a mieux s'intégrer dans ce même cycle.

 

Conclusion.

La peur, l’angoisse de KoS provient dans une très large mesure des Gaunas, ces extra-terrestres incompréhensibles dont on devine, alors que le manga est toujours en cours de publication, qu’ils semblent démontrer une envie d’entrer en contact et de comprendre les habitants du Sidonia.
Leur puissance, la facilité avec laquelle ils suppriment les humains suffit à installer la crainte de cette extranéité qui devient encore plus dérangeante quand elle copie une humaine pourtant décédée.
Ayant déjà comme terreau narratif ce combat pour la survie, Tsutomu Nihei ne fait que donner à cette humanité en danger les outils classiques de la S-F pour survivre. Clonage, augmentation transhumaniste, immortalité...
Il n’est pas question ici de craindre cela, car se sont des états de faits, tout simplement. Le clonage soudain devenu effrayant aux informations avec Dolly (premier clonage de mammifère en 1996), nous donne de moins en moins le vertige existentialiste qui nous faisait craindre des autres nous-mêmes qui voleraient l’essence unique de notre être.
Il n’en reste pas moins que KoS va assez loin dans les modifications de l’humain, mais en jouant sur le contraste entre la noirceur de la situation des humains et l’optimisme dont ils semble faire preuve malgré les pertes.
En jouant encore plus sur l’ambivalence du Sidonia, tour à tour monstre dévoreur d’enfants et dernier rempart avant l’anéantissement, Nihei laisse au lecteur une étrange ambiguité sur la situation des habitants du Sidonia. Par ces modifications pousées, il dresse le portrait d'un futur possible au final moins dangeureux qu'on voudrait le croire tout en laissant les Sidoniens dans une société proche de la dictature militaire prompte à sacrifer ses membres.

Tsutomu Nihei, et Peter Hamilton parmi les auteurs occidentaux (la Trilogie du Vide) insèrent de plus en plus dans la S-F des mutations très fortes de l’humanité et présentent la plupart du temps les terreurs S-F de jadis en normes comportementales et sociétales acceptées par tous.
De soeurs clonés? Pourquoi ne formeraient-elles pas une famille? Un troisième sexe? Et alors, il en existe déjà deux...
Toutes ces choses, passées et à venir, ces modifications de nos comportements, de nos valeurs font simplement parti de la marche de l’humanité et de son évolution.
Sans être transhumaniste, je pense que Tsutomu Nihei en japonais imprégné de sa culture  et par l’aura d’Osamu Tezuka nous livre surtout un message humaniste où la simple conscience d’être unique en faisant parti et en étant parti d’un Tout constitue la plus sûre preuve d’humanité, fut-on un clone, robot, cyborg, intelligence artificielle ou fusion d’un humain et d’un extra-terrestre.
S’angoisser sur toutes ces questions revenant au final à réfléchir à un discours excluant pour l’autre, donc à renier simplement la vie.

 

Pour la petite histoire, voici le mecha de Tanikaze, le Type 17. "Tsugumori" tel que son créateur l'a imaginé. Pour ce faire, il a acheté des dizaines de maquettes dont parfois il ne récupérait qu'une pièce qu'il l'interessait. Il assembla le tout au petit bonheur, juste poussé par la vision de ce mecha auquel il voulait donner vie.

Fier de sa maquette il l'a présenta à son éditeur, là où ce dernier s'attendait à avoir un synopsis et des nemus...