Notre planète nous fournit des ressources guère inépuisables, sans cesse transformées et reutilisées par l'Homme. Elles nous communiquent leurs histoires, et leur passé nous relate le récit de la Terre. Cette histoire est celle de multiples rencontres entre deux peuples au temps de l'Antiquité. Les populations orientales et occidentales ont pu découvrir le coton grâce à de nombreuses rencontres, guerres, et croisades. Et force est de constater que depuis, l'usage de cette "or blanc" progresse. Ainsi, dès le XVIIIe siècle le commerce du coton se développe en Occident par l'industrialisation et l'esclavage. En dépit des conflits, la production de ce précieux produit augmente fulgureusement entre la métropole et les colonies. Actuellement, dans la diversité déconcertante des espèces cultivées, seul le Gossipium hirsutum reste majoritairement mis en culture dans les territoires des anciennes colonies d'Angleterre. Sans oublier qu'à notre époque contemporaine, le coton fait aussi l'objet de recherche scientifique en laboratoire pour sa modification génétique. En outre, le pelage blanc du coton et sa symbolique douceur ne cessent de séduire l'Homme, entre autre pour ses qualités gastronomiques, médicales, biologiques, industrielles et plus généralement alimentaires. Pour comprendre le livre d'Erik Orsenna j'ai résumé dans un style romancé son long périple à travers le Mali, les Etats-unis, le Brésil, l'Egypte, l'Ouzbékistan, la Chine et la France. Cela semble nécessaire pour éclairer la profonde divergence des perspectives sur cette culture si avidement convoitée par les plus grands traders et firmes multinationales d'un bout à l'autre de la planète.

Le Mali  

 

A partir de 1970, au Mali émergent les premières cotonnières grâce à l'agriculture archaique des Dogons qui avaient fui les cultures d'oignons et délaissaient l'économie touristique. De nos jours, la confection du coton exige de nouvelles compétences en Afrique : parler, tisser et privatiser. Grâce à ce savoir-faire, la C.M.D.T a même pu développer de nombreux villages maliens, et garantir ainsi les services publics dans la capitale productive malienne Koutiala. Dans cette véritable "ville-usine" les manoeuvriers assurent la production du coton dans la misère et la précarité. Par conséquent, malgré la flexibilité des délais sur le temps de travail (résultat direct de la spéculation des traders ), la culture du coton malien a été mis en échec à cause du désengagement progressif de l'Etat, de la privatisation des exploitations, et surtout par la dépendance des agriculteurs-exploitant envers les marchés mondiaux qui contrôlent les fluctuations des indices à Wall Street.

Les Etats-unis

 

Dans ce pays idyllique, c'est Washington qui fait honorablement office de capitale administrative, juridique et décisionnelle dont l'influence sur le prix du coton a une portée internationale. En me baladant dans les larges avenues, je remarque que le même ordre émane des puissants : privatisation. On peut observer aussi que cette puissance politique est un lieu véritablement paradoxal. Ainsi, au sein même des Etats-unis, deux espaces se confrontent dans la politique agricole à adopter. Alors que le lobby au nord-est du pays opterait pour un libéralisme sauvage -contrairement aux Européens- , dans le sud à Memphis c'est le protectionnisme des syndicalistes du National Cotton Council qui sera à même de défendre ses agriculteurs. Car dans cette ville du souvenir, le coton a laissé des traces écrites jalousement gardées au coin de chaque rue, si bien que cette matière première est restée roi dans le coeur de chaque citoyen. Une institution lui rend hommage, à savoir le Cotton Exchange Building qui en est son musée et en même temps son défenseur politique (contre les injonctions de Washington et de Wall Street) et économique. De la semence jusqu'au tissage, cette insitution à tendance syndicaliste, assure à la production cotonnière une part de marché de 40% dans le monde. Mais les plus grandes initiatives de l'innovation et de la recherche génétique sont concentrées dans l'état du Tennessee, où Mosanto  contribue chaque jour, dans son immense laboratoire, à faire avancer le "progrès" des O.G.M. Dans ce système duel, c'est donc le protectionnisme qui symbolise l'avennement du futur coton résistant aux bactéries, et ce grâce à des investissements financiers plus importants. Lubbock, la capitale mondiale du coton garantit la gestion de ces innovations, et subventionne ses exploitants contrairement à la politique libéraliste proclamée par l'Organisation mondiale du commerce.

 

Le Brésil

 

L'Amazonie cache une véritable mosaique de richesses agricoles. Là, au milieu d'une colonie d'arbres humides, les cotonnières parcourent les denses végétations. Depuis trente ans, des petites villes apparaissent, et l'Amazonie recule au bénéfice des plantations du coton. Mais le Mato Grosso abrite aussi des paysans sans terre, jeunes entrepreneurs dans cet océan de coton, bordé de fazendas qui avancent avec leurs pionniers laissant derrière eux une mer blanche. La culture du coton y progresse et sa recherche en O.G.M évolue au fur et à mesure que la richesse forestière s'aménuise. En tant que vestige de la recherche, et en tant que grand coordinateur du progrès, la capitale politique Brasilia assume aussi un nouveau lobby différent de celui des Américains et des Européens : "gloire au capitalisme". Tenant fièrement une politique économiste et clairement anti-protectionniste, le Brésil se lance dans la concurrence mondiale et résiste contre le géant industriel chinois. Pour cet objectif atypique pour un pays en développement, le Brésil se munit de deux armes, à savoir Brasilia (l'ordre et la gestion politique des agriculteurs), et Sao Paulo (le progrès économique vers le futur). Mais cette nouvelle bataille commerciale avec le monde, a pris fin le 23 mai quand le rival chinois menaçait le marché locale du textile brésilien à coup d'exportations, incitant Lula Da Silva à mettre définitivement fin à ce capitalisme.

 

L'Egypte   

 

Monsieur Mohamed el Hossiny el Akkad, superviseur général des musées agricoles et des expositions, éprouve une passion indescriptible et sans pareil au monde pour le coton. Au coeur du Caire durant ma visite de l'exposition, le superviseur général me montra tous les grands vestiges du coton, si jalousement conservés par l'Administration. Entre le Caire et Alexandrie je remarque une immensité de verdure rongée par la culture du coton : c'est une bataille entre une agriculture de subsistance et une culture urbaine et économique. Arrivé à Alexandrie, je constate que l'économie y prospérait depuis l'Antiquité. Elle était fondée sur les échanges de produits pondéreux classiques comme le café, le thé, le sucre, et le coton. C'est aussi dans cette ville que le Gossipium Barbaden a fait son apparition à partir du XIXe siècle grâce à sa découverte par le botanniste français Jumel. Pendant la Révolution industrielle, cette nouvelle espèce avait fait l'objet de relique très rare, activement recherchée pour l'époque, et donc avidement poursuivie par les mercantilistes et négoces des quatre coins du globe. Alexandrie était donc ouverte sur le monde européen grâce au commerce du coton, et reste encore aujourd'hui une cité cosmopolithe et surtout plongée dans l'univers marchand. Ainsi, le coton égyptien traversant les époques, est réputé pour ses fibres

 

L'Ouzbékistan

 

Outre ma leçon pédagogique aérienne sur l'environnement naturelle soviétique, la compagnie O'zbékistan havo yo'ilari me montra que son aspect culturel et romantique était et reste encore profondément imprégné d'une tradition russe. J'allait donc être prêt pour ma prochaine visite dans la patrie d'Avicienne et de Tamerlan, reconnus pour être les deuxièmes exportateurs mondiaux de coton. Mais la culture ouzbek du coton est loin d'être aussi romantique, car les jeunes agriculteurs dans les vieilles exploitations soviètiques sont durement touchés par la précarité, en raison de l'absence de conditions de travail décentes. Les cueillettes manuelles non motorisées, les salaires de misères et les abris de fortunes y prospèrent, et sont partis pour subsister longuement dans ce paysage d'une triste beauté. En outre, les multiples déstabilisations politiques et les conflits ethno-religieux ne cessent de ravager le pays derrières des décors d'une splendeur blanche de cotons. Mais cette culture sort tant bien que mal de son passé communiste et son ancien système de kolkhoze pour mieux s'adapter à une organisation libérale privatisée et familliale au sein des exploitations collectives. Dans ce nouveau système d'exploitation, l'économie cotonnière reste tout de même partiellement étatisée car c'est le gouvernement ouzbek qui achète les fibres aux paysans malheureusement à petit prix, avant de les revendre plus chère sur le marché mondial. De l'échelle nationale au marché mondial, ce système de [re]vente devient de plus en plus opaque, et reste controlé par une administration corrompue et déconnectée de tout bilatéralisme. Sur la route du coton, j'ai appris que les pays qui détiennent les fibres précieuses de cette "or blanc", ne commercent que très rarement entre eux et s'abstiennent de toute relation géopolitique.

 

La Chine

 

Un pauvre voyageur égaré se trompera en pensant que Shanghai n'est que ruralité. Ici ne poussent que des monstres de béton et d'acier, et l'urbanisation comme l'urbanité semblent vous donner un dégoût certain de la ville. En Chine, l'espace urbain envahit et perce de toute part la malheureuse campagne, déjà submergée par ô combien d'arbres, de pépinères et autres immenses et vertigineuses arboricultures. Au sortir de ce monstre urbain, le soulagement revient en arrivant à Datang, capitale mondiale de la "chaussette". En traversant les époques, la ville de Datang a gardé l'aspect de son passé tout en se modernisant et en s'imbriquant d'usines emboitées les unes derrières les autres, et ce au coin de n'importes quelles ruelles si étroites soient elles. Dans cet espace urbain, le travail de la chaussette paraît être la principale activitée bien cachée derrière de larges et paisibles avenues. Mais le point de départ de l'industrie textile en Chine se passe à Suzhou. Dans cette ville reculée, le coton était la première culture mise en valeur depuis le XVIIIe siècle, et prospérait grâce à la force collective des ouvriers-paysans, dont la légendaire docilité n'est plus à prouver à travers le monde. Quelques instants plus tards, en retournant vers Datang, je décide de prendre la direction de sa proche banlieue Shi Kong Ling. Dans ce merveilleux paysage rural, je découvre sans surprise que les habitants y ont pu s'enrichir par l'exploitation du coton. Ce succès, initié pourtant par de simples paysans sans grande formation technique, est dû à la priorité donnée à la mécanisation du tissage de fibres, alors qu'au sein des exploitations, les structures agraires (granges, parcelles,...) fonctionnent comme une hiérarchie familliale traditionnelle. Entre le passé et le présent, les paysages ruraux en Chine font donc rapprocher les siècles ; l'ancien cotoie le futur ; le paysan illettré muni de sa charette,  travaille avec un technicien des automates. Ainsi, un véritable système cotonnier s'organise autour de Datang : de la récolte à la transformation, en passant par le tissage, la fabrication de cette chaussette est gérée jusqu'au but ultime, à savoir la grande distribution vers les hangars de fortune, voire vers les grands ports connectés au système-monde. Par conséquent, la filière mondiale du coton a trouvé son "aval" : c'est l'Atelier du monde.

 

La France

 

En France, dans les villages reculés du département des Vosges, les fabriques ont puisé leur force dans les torrents des rivières. Mais ces usines de coton peinent à rivaliser avec le "réservoir" d'ouvriers dociles de la Chine. Quoiqu'un avantage comparatif permet encore d'intégrer une spécificité locale inconnue dans le monde entier, à savoir le KIS, technique secrète qui attise la demande du marché mondial. Ainsi, la guerre commerciale incite les bourgs vosgiens à s'unir, et à former un "pôle de compétitivité de fibre naturelle Grand Est", et ce malgré les innombrables délocalisations vers les pays sous-développés où la main d'oeuvre peu chère attire en masse les investissements directs étrangers. Mais dans les Vosges, la ligne de front est menacée d'être désertée par ces capitaux fuyant vers les nations et zones franches défiscalisées. Tout comme d'autres pays du Nord, la France est malheureusement en voie de devenir un vulgaire centre commercial où les moyens de propagandes publicitaires contrôleraient la vie des citoyens.

 

En dépit de cette interminable errance, je garde, sur la route du coton un parfum de souvenir qui est puisé dans les espaces agricoles lointains dont seul la culture est jalousement gardé en secret depuis des siècles. L'histoire de l'appellation de la matière première "coton" révèle aussi un long processus, héritier d'anciennes traditions qui ont permis de perfectionner la fibre et de lui donner ce nom qui évolue en permanence. Mais dans notre époque contemporaine, tant sont divergeants les enjeux de l'industrie et ceux de l'agriculture du coton ; seul le négociant sera capable d'unir ces deux secteurs pour répondre à une demande mondiale qui ne cesse de croître. Malgré son statut de "richesse fossile", le coton s'adapte au marché, et peut être fortement influencé sur l'envolée des cours, tant sa production se renouvelle de manière incessante. De plus, la géographie du coton montre qu'en de nombreux pays son prix est loin d'être équitable ; ses exploitations et sa mise en culture sont très différenciées contrairement aux idées reçues. Les institutions de politique agricole ne proposant pas les mêmes avantages sociaux et économiques pour leurs agriculteurs.