Roland Barthes est un linguiste fascinant.
Fascinant car ne cherchant jamais à s'enfermer dans des recherches trop
calfeutrées, trop "universitaires" si l'on prend le mot dans son sens le plus négatif. Par la linguistique, par le signe de manière générale, Barthes s'efforce de comprendre une culture, une société. Cette spécificité
qu'il met constamment en balance avec sa propre "identité". C'est ce
qu'il s'efforce de faire dans son livre phare, L'Empire des signes, ouvrage dans lequel Barthes analyse la culture nippone dans ses détails les
plus infimes. Du théâtre à l'architecture des rues en passant par les
jardins, chaque élément est porteur de sens.

Le passage qui suit s'attarde sur la miniature, certes ce n'est pas le
passage le plus représentatif de ces fameuses comparaison entre les
cultures mais il a le mérite de bien condenser cette sensibilité et ce
langage, fluide et riche, que le regretté Roland Barthes jetait sur des choses a priori insignifiantes. Un penseur qui fait décidément encore de l'ombre à bien des penseurs actuels.



 

« La miniature ne vient pas de la taille, mais d'une sorte de précision que
la chose met à se délimiter, à s'arrêter, à finir. Cette précision n'a
rien de raisonnable ou de moral : la chose n'est pas nette d'une façon
puritaine (par propreté, franchise, ou objectivité), mais plutôt par un
supplément hallucinatoire (analogue à la vision issue du haschisch, au
dire de Baudelaire) ou par une coupure qui ôte à l'objet le panache du
sens et retire à sa présence, à sa position dans le monde, toute
tergiversation. Cependant ce cadre est invisible : la chose japonaise
n'est pas cernée, enluminée ; elle n'est pas formée d'un contour fort,
d'un dessin, que viendraient « remplir » la couleur, l'ombre, la
touche ; autour d'elle, il y a : rien, un espace vide qui la rend mate
(et donc à nos yeux : réduite, diminuée, petite).
 »