Pourquoi jouons-nous ?

Ce qui apparaît à beaucoup comme une perte de temps parvient tout de même à capturer l'attention, voire la dévotion, de millions de personnes sur cette planète. Les sports collectifs, les jeux de société, les jeux de plateau, les jeux de rôle, les jeux vidéo : tous demandent un engagement visant à ignorer les problèmes de la vie réelle en faveur d'enjeux complètement imaginaires qui, sur le moment, nous semblent très importants. Le jeu est une illusion que nous acceptons de façon temporaire. Mais pourquoi ? Dans quel but ?

La réponse facile et usée jusqu'à la corde est que le jeu sert de moyen d'évasion visant à nous permettre d'oublier un temps le stress de nos vies de tous les jours. D'où le côté apparemment contre-productif du jeu : nous nous y adonnons alors que d'autres choses pourraient, dans l'absolu, sembler plus importantes. A notre niveau individuel cependant, cela nous semble pourtant tout à fait acceptable.

Le jeu nous permet de nous sentir mieux et nous plonge dans un état où nous pouvons, par la suite, prendre de meilleures décisions en situation de stress. Cela dit, pour ceux qui nous regardent de l'extérieur, le jeu n'est rien de plus qu'un moyen de faire face à l'existence, au détriment de cette existence-même. Quand on en vient à parler du jeu en tant que moyen de retrait et d'oubli, ce n'est pas forcément faux.


Qu'est-ce qu'une expérience de jeu enrichissante ?


En tant que gamers adultes et matures, nous nous sentons souvent un peu coupables de nous adonner à des jeux qui semblent inutiles et creux. Des heures passées sur Tetris. D'autres passées à refaire les mêmes quêtes répétitives. D'autres encore à collecter la totalité des petites étoiles dans tous les niveaux du jeu. Au final, notre réaction peut être d'éteindre et d'aller faire quelque chose de plus "réel". Ou alors on lance un autre jeu, cette fois peut-être moins abrutissant.

Qu'y a-t-il donc de si particulier avec les jeux qu'ils parviennent à nous faire nous sentir mieux qu'avant de commencer à jouer ? Pourquoi certains jeux nous donnent l'impression d'être de pures caricatures du gamer tandis que d'autres nous donnent une impression d'accomplissement, voire d'illumination ? Comme d'autres médias ont pu le démontrer, il y a une différence notable entre le divertissement creux et le divertissement artistique. Certains livres ou films nous laissent avec une sensation de vide, alors que d'autres au contraire nous laissent enrichis.

N'oubliez pas : divertissement vient du latin "divertere", qui signifie "détourner".

Avec les jeux cependant, la différence entre les deux paraît souvent arbitraire et dépend des perceptions individuelles face à l'expérience d'un jeu donné. Ainsi, parce que les jeux s'appuient sur des choses aussi diverses que l'interaction, l'exploration, l'expérience ou le "jeu", il y a de nombreuses interprétations et filtres que nous appliquons sur les jeux : ainsi, une personne pourra, selon ses perceptions, trouver un jeu incroyablement profond tandis qu'une autre n'y verra qu'un vulgaire divertissement.

Mais que penser de ces jeux qui nous enrichissent, qui nous poussent à regarder en nous-mêmes ? Qu'y a-t-il dans les jeux qui nous pousse à des réactions parfois extrêmes ? Voici une réponse : le jeu nous révèle et nous renvoit à notre propre humanité.

L'être humain est une créature qui pense, réagit, a des émotions et est profondément imparfaite. Les jeux vidéo nous renvoient souvent à la façon dont les qualités et les défauts de l'humain interviennent dans des situations banales ou extraordinaires. Et comme ils nous fournissent une fenêtre sur nos réactions sans avoir à expérimenter les choses réellement, ils peuvent donc se permettre de nous faire ressentir des choses aussi diverses que la surprise, la joie, le chagrin, et peuvent même nous faire changer, évoluer.

Laissez-moi vous parler de quelques jeux que je considère comme exemplaires dans la façon dont il nous renvoit à notre propre humanité.


La peur de la solitude


La vie peut vraiment être une garce, parfois, et vous laisse dans des états incroyablement douloureux - surtout dans le cas de l'échec amoureux.

Prenez un jeu comme Braid. Le concept du jeu vous fournit un objectif simple : il faut sauver la princesse. Le jeu, de temps en temps, vous fait deviner qu'il y a eu des erreurs passées mais vous vous dites que face à votre héroïsme, vous ne pourrez qu'être pardonné. Le jeu est simple, même si certaines énigmes sont à s'arracher les cheveux.

Tim, le héros de Braid, peut manipuler le temps, le figer, l'avancer ou le faire reculer - comme si rien de mal ne s'était produit. Et parfois, il parvenait à passer un niveau, le rapprochant peu à peu de son objectif.

Puis vient le moment-clé dans le jeu (ATTENTION SPOILER), où vous découvrez avec stupéfaction que celui que la princesse fuit aussi désespérément, c'est vous.

Alors que l'univers du jeu se remettait sur ses rails et que la vérité était révélée, Braid vous force à contempler des sentiments et des émotions puissants, liés à la peur de la solitude et au refus de l'abandon. Tout comme Tim, nous avons tous peur d'être abandonné, et renaclons à perdre les choses auxquelles nous tenions, surtout si c'est un être aimé.


De la difficulté de décider


Dans Mass Effect 2, à la fin d'une certaine mission, on vous demande de prendre une série de décisions. J'étais désormais à la tête d'une vaste équipe, où les membres comptaient sur moi pour être un chef, répondre à leurs inquiétudes et écouter leurs attentes. Avec cette mission, il était temps pour moi de décider qui irait où, avec qui et ferait quoi.

Et la chose ne fut pas simple. Au contraire, prendre une décision est horriblement difficile.

Et si elle est difficile dans un jeu, imaginez dans la vraie vie. Cette dernière vous assène de questions et de décisions à prendre, comme si vous aviez toutes les réponses. Du coup, la vie réelle ne nous demande pas toujours des décisions aussi importantes que ce à quoi on a droit dans Mass Effect 2, et à vrai dire, je pense que nous n'en voudrions pas.

Pour en revenir à Mass Effect 2, il est possible de terminer cette mission en sauvant tout le monde. Il est aussi possible de perdre définitivement un ou deux membres de l'équipe. Hélas, j'avoue, je tenais beaucoup trop à chacun d'entre eux. Je voulais que chacun d'eux m'aime, m'apprécie. Alors j'ai choisi ce que je pensais que eux apprécieraient.

Trois d'entre eux moururent, pour ne plus jamais revenir.


L'impatience


Avez-vous joué à Far Cry 2 ? Je me souviens d'un épisode assez particulier malgré le peu de temps auquel j'y ai joué. J'étais en train d'errer un peu à l'aveugle dans la jungle du jeu en quête d'objectifs et de signe de vie. Après avoir tenté de suivre les ordres, je lus une instruction vague me demandant de semer le trouble dans une zone qu'on m'indiquait. Je n'avais toujours pas reçu de récompense, et je cherchais désespérément un signe quelconque m'indiquant ma progression dans le jeu.

Je voulais savoir que j'allais effectivement quelque part.

Lorsque je tombais sur un groupe de gardes que j'étais chargé d'attaquer, je n'étais plus trop sûr de pourquoi il fallait que je les élimine, sinon qu'on me l'avait demandé en promettant une récompense.

Alors que je sautais de mon véhicule et commençais à faire feu, l'un d'entre eux m'accosta en criant : "Vous êtes un monstre, laissez-nous tranquille !" Soudain, je compris que j'étais sur la bonne voie (du tueur psychopathe mais c'est un autre problème) et tout d'un coup, j'étais rassuré.

Voilà ce qu'est l'impatience : on tire d'abord, on pose les questions après. J'ai tiré d'abord.

(j'avoue, je n'ai jamais fini ce jeu)


Miroirs de nous-mêmes


La qualité extraordinaire des jeux vidéo est d'être non seulement d'excellents outils d'évasion mais leur nature est transcendée lorsqu'ils permettent à un joueur de reconnaître ses propres impulsions, désirs et conflits.

De fait, nous nous voyons dans ces jeux. Nous projetons une image qu'ils nous renvoient.

Les meilleurs jeux de l'histoire - ceux qui ont marché malgré eux, oserais-je dire - l'étaient partiellement parce qu'ils offraient au joueur un moyen au joueur d'à la fois s'exprimer et dese découvrir.

Le mieux que nous pouvons espérer pour notre medium favori est que les jeux du futur cherchent moins à être une expérience cinématique lisse et se concentrent plutôt sur leur capacité à permettre au joueur de vivre une expérience qui résonne autant avec les personnages et les scénario qu'avec ce qu'il vit lui-même.

Peut-être qu'au plus profond de nous, nous savons que tous les jeux, et les jeux vidéo en particulier, ont une fonction bien spécifique. Dans le monde où nous vivons, où on nous incite à regarder des écrans et à consommer les opinions d'autrui, nous commençons à nous sentir aliénés, isolé et submergés à la fois.

Les jeux nous offrent la possibilité de nous immerger nous-mêmes ainsi qu'autrui dans le contexte d'un monde établi, tout en sachant pas qu'il existe un monde par ailleurs d'où nous venons et où nous vivons. Nous intéragissons avec les objets et les personnages du jeu en gardant cette vérité à l'esprit. Et alors que le temps passe et que nous approchons de la fin du jeu, le monde du jeu et le monde réel converge non pas parce que nous cherchons à fuir la réalité mais parce que les leçons que nous apprenons dans le jeu nous suivent finalement dans le monde réel.

L'expression de l'humain est au centre de ce que je viens de raconter. Nous échouons, non pas seulement parce que le jeu est trop difficile, mais à cause de nos propres défauts. Nous réussissons, non pas parce que nous avons suivi les consignes et révélé des réflexes surnaturels, mais parce que nous sommes conscients de nos défauts et cherchons à les surmonter. Au pire, nous serons devenus conscients de notre état. Au mieux, nous pourrons tenter de nous racheter.

Et vous, quels jeux vous ont révélé des choses que vous ignoriez sur vous-mêmes ?