Etes-vous claustrophobique ?

Pour ma part, je ne l'ai jamais été (moi, c'est plutôt le vertige) mais je connais des gens qui le sont, et ma foi, cela m'a fait réfléchir.

Les gamers sont de plus en plus habitués à disposer de décors grandioses dans leurs jeux, et la technologie avançant, ces derniers n'hésitent plus à vous montrer des paysages spectaculaires : canyons gigantesques, rivages poétiques, cieux nuageux, tout est prévu pour que vous puissiez profiter au mieux de votre écran HD.

La chose est devenue tellement prégnante dans les jeux de la dernière génération qu'on pourrait facilement avancer que la marque des plus grands jeux récents est justement dans l'ampleur fantastique des environnements dans lesquels ils nous plongent.

On peut dire la même chose du cinéma, qui, comme d'habitude, a devancé les jeux vidéo sur cette question : beaucoup des meilleurs films fantastiques et de S-F les plus récents plongent le spectateur dans des paysages fabuleux (souvenez-vous de la Pandora d'Avatar).

Du coup, vous l'avouerez comme moi, l'attraction visuelle du gigantisme est très forte. L'amplitude des plans du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson véhicule parfaitement celle de l'univers à découvrir. De la même façon, chevaucher dans le désert dans Red Dead Redemption évoque un étonnant sentiment de petitesse face à la nature, voire de solitude.

Dès lors, à l'inverse, il existe tout un sous-genre des jeux d'aventure reposant sur des espaces confinés et souvent claustrophobiques : les jeux à énigmes consistant à s'échappant de la pièce où on se trouve (ceux que les anglo-saxons appellent très justement les "escape the room"). Pour ma part, j'ai découvert ce genre de jeu sous leur forme flash, avec mon navigateur web. Je ne pense pas mentir en disant que ces jeux fournissent l'une des expériences de jeu les plus complexes et difficiles actuellement disponible - et toute une base de fans s'est constituée depuis leur avènement. Ces jeux ont eux-aussi leur équivalents filmiques, dont certains ont réussi bien plus sur certains points que leurs équivalents ludiques en matière de huis-clos.

Ces jeux en espace confiné, limité parfois à une seule et unique pièce, évoquent des émotions très différentes des épopées à grande échelle et décors démesurés dont je parlais au début de cet article. Et du coup, ces jeux sont capables de révéler certains points très intéressant de game-design.

Il existe une poignée de films reposant sur l'exploitation d'un huis-clos et la chose est souvent considérée comme un véritable exercice de style pour un réalisateur.

Les plus cinéphiles d'entre vous connaissent sûrement le grand classique de Sidney Lumet, 'Douze hommes en colère', adapté d'une pièce de théâtre et sorti en 1957, nous montrant la longue délibération de douze jurés devant juger un meurtre. Plus récemment, un film m'a agréablement impressionné toujours sur ce thème du huis-clos : il s'agit de Buried, de Rodrigo Cortès.

L'histoire cette fois nous présente un conducteur de camion, joué par Ryan Reynolds, enterré vivant dans un cercueil en bois quelque part en Irak. Le concept de huis-clos est cette fois respecté à la lettre par le réalisateur et poussé jusqu'au bout : pas une fois nous n'aurons de plan tourné en dehors du cercueil en bois. En introduisant seulement un téléphone et une courte liste d'objets, Cortès parvient à maintenir un rythme assez haletant, alternant des dialogues tendus et deux petites scènes d'action (oui, dans un cercueil). Ce film véhicule parfaitement la sensation de claustrophobie et d'hystérie que chacun ressentirait dans la même situation.

Un autre film, plus ancien, est le célèbre Cube, de Vincenzo Natali et qui date déjà de 1997, et c'est à mon avis le plus proche dans son concept des jeux d'évasion dont je vous parlais plus tôt. Ce film d'horreur/S-F nous fait suivre sept étrangers qui se réveillent soudain à l'intérieur d'un cube avec un sas de chaque côté. Chaque sas conduit à un autre cube, qui conduit à encore d'autres cubes, la plupart étant truffés de pièges mortels. Ce n'est dès lors qu'en s'appuyant sur de petits indices que les survivants peuvent espérer sortir. Le film est une grande réussite, s'appuyant sur le mystère de la conception du cube pour nous plonger dans un thriller surréaliste.

De là, la plupart des jeux de type "escape the room" commencent avec un scénario similaire à celui de Cube. Ainsi, le joueur est habituellement piégé dans une unique pièce, où il doit se débrouiller avec très peu d'explication sur comment il est arrivé là (voire, pas d'information du tout), et très peu d'indices immédiatement visibles.

Le titre "Room Escape" de Sagrario est un cas exemplaire de ce genre, où le joueur se retrouve seul dans une pièce blanche contenant une mallette fermée, une chaise clouée au sol et un unique tableau. Tout comme les cubes de Natali, le jeu de Sagrario cache un grand niveau de complexité derrière son environnement simple, pour ne pas dire austère. De petits objets sont cachés derrière d'autres ou sous le plancher, et des messages invisibles deviennent lisibles à la lumière noire. La quantité d'énigmes concentrée dans une seule et unique pièce est extrêmement impressionnante.

Alors que certains jeux de ce genre se situent dans des endroits banals, de la chambre au placard, certains autres se déroulent dans des lieux mystérieux, faisant deviner parfois un scénario des plus sinistres. La série des Submachines de Mateusz Skutnik, très populaire, propose même en une histoire structurée narrée au travers des sept épisodes actuels, avec quelques spin-offs pour assaisonner un peu plus le background da la série.

Room Escape et Submachine sont donc de très bons exemples sur la façon dont des jeux à l'espace clos et limité peuvent tout de même véhiculer un scénario - avec le strict minimum nécessaire dans leurs moyens.

Cela dit, les espaces confinés sont prompts à susciter une atmosphère de claustrophobie - or, beaucoup de jeux n'essaient pas de jouer là-dessus. Un jeu d'évasion ne joue jamais sur la tension d'être emprisonné, essentiellement parce qu'ils portent très peu de matériel scénaristique. De même, un jeu d'aventure en point-and-click né parvient pas à véhiculer la tension et l'hystérie d'un Buried, tout simplement du fait d'un rythme beaucoup plus lent, très peu propice à ce genre d'émotion.

En fait, la principale émotion véhculée par ce genre de jeu est tout autre : la frustration.

En effet, alors que ce type de jeu est semblable à n'importe quel autre jeu à énigmes, ceux-là se distinguent par le fait qu'ils donnent tous les indices pour réussir à leur jouer. On se retrouve donc dans une situation où on *sait* que tout est à portée pour réussir, sans y arriver forcément - la solution nous échappant désespérément. Pour le coup, le gameplay de ce genre de jeu est très particulier : tout d'abord il n'y a pas de situation de game-over, sinon la frustration de ne pas trouver. Ensuite, leurs graphismes, simples tout en maintenant un niveau élevé de complexité, peuvent faire de l'ombre à des jeux dotés d'environnements plus élaborés mais moins intéressants au niveau de l'interactivité - à quoi bon un joli décor si on ne peut interagir avec ?

Du coup, les jeux de type évasion sont la preuve que le thème du huis-clos pourrait être beaucoup mieux exploité par les jeux vidéos, et incorporé de façon plus ou moins poussée, selon les besoins du gameplay. L'exemple de Heavy Rain est très parlant : de nombreuses séquences du jeu véhiculent très justement une sensation de claustrophobie (le tunnel où on rampe sur du verre pilé et chaque autre piège du tueur en série) alliée à une tension rappelant les excellents films que je citais plus tôt.

Le huis-clos peut susciter la claustrophobie, mais aussi la paranoia et la frustration - autant d'émotions que les jeux pourraient ajouter à leur palette, jusqu'ici monopolisée par l'adrénaline, la peur et le rire.

Et vous, quels jeux vous ont procuré la meilleure sensation de huis-clos ?