C'est dur de prendre la relève. Jun Takeuchi en sait quelque chose. Après avoir été producteur sur Onimusha et Lost Planet, le voilà en charge du nouveau Resident Evil, après le départ de Mikami. Annoncé dès la sortie du 4ème opus avec un superbe trailer à l'appui, ce RE5 a donc mis quatre ans pour arriver dans nos machines. Si les promesses initiales et la plastique avantageuse du MT Framework avaient de quoi nous faire baver après l'étonnant et non moins rafraîchissant RE4, force est de constater qu'à l'heure du bilan on est en droit de se demander si Capcom a encore des choses à proposer ou à raconter sur Resident Evil. Ce n'est peut être pas rien si après la sortie du jeu, notre bon Jun Takeuchi a annoncé qu'il attendrait au moins 2018 pour remettre les mains sur la série. Mon Test de Resident Evil 5

L'avantage quand on joue en décalage avec l'actualité, c'est que ça fait moins mal au portefeuille. Resident Evil 5 Gold Edition à 15€ neuf, c'est déjà un investissement moindre que de se jeter sur la version "en kit" à 65 boules à la sortie. Je pense de plus en plus que notre ressenti d'une oeuvre, qu'il s'agisse d'un film, une série ou un jeu, tient avant tout de l'attente et les espoirs que nous y mettons. Alors forcément moi, quand je m'essaye à RE5, la messe est déjà dite, et je n'en attends strictement rien. Jeu le plus décrié de la série canonique, mais également son plus grand succès commercial, ce Resident Evil 5 est un paradoxe. A la fois annoncé trop tôt et sorti trop tard, RE5 a tiré avec lui nombre de boulets. Annoncé trop tôt  car promettant une orientation qu'il n'a jamais pu tenir, sorti trop tard car un an après le Dead Space d'EA, qui le surpasse à bien des niveaux. Mais finalement le plus gros boulet aux pieds de ce jeu, c'est Mikami lui-même.

Alors qu'il ne bosse plus pour Capcom, l'ombre du pro géniteur (oui elle était facile celle-là) de la saga culte de Capcom hante toujours les locaux.  Il faut dire que le mec venait de retourner toutes les mécaniques de sa série dans le dernier épisode. Comment tu fais pour passer après, quand tu en viens à te demander ce qu'il est pertinent de conserver, et ce qu'il faut changer? Finalement ce 5ème épisode est au 4ème ce que le second est au premier : un gameplay similaire, une ambiance différente mais seulement au premier abord, et plus de monde à buter. Une solution de facilité qui n'est pas forcément une mauvaise chose, Resident Evil 2 figurant parmi mes opus fétiches de la saga et de l'ère 32bits. Mais étrangement, avec cet épisode africain, quelque chose ne marche pas. Du coup de poignet du maître, à ses savants dosages jusqu'à sa petite touche personnelle, il y a là un secret de fabrication presque alchimique qui a cruellement manqué à l'équipe de Capcom. On prête facilement à des Kojima et autre Ueda des titres d'auteurs du médium vidéoludique, mais finalement ce Resident Evil 5 met en lumière le fauteuil vide du créateur, le cerveau. Shinji Mikami. A l'heure du test je me demande ce qui a manqué à ce jeu, lui qui a réutilisé la recette encore fraiche de son auguste prédécesseur. 

Des suites qui reprennent les mêmes mécanismes et restent avares en nouvelles idées, on en a à la pelle. Dead Space 2, Assassin's Creed Brotherhood, Call of Duty.. La liste est longue. Pourtant, on ne peut pas dire que l'inspiration première de ce RE5 soit un mauvais jeu. RE4 a beau avoir des détracteurs, et j'en fais partie dans une certaine mesure, il reste néanmoins un jeu objectivement généreux, maîtrisé, et empli d'une énergie particulièrement intense. Comme exemple on a fait pire. Le problème que j'ai rencontré durant ma partie, c'est que finalement l'erreur ne  vient pas des mécaniques reprises, mais des situations. Ce RE5 s'est construit sur une base fraiche mais solide de gameplay, mais il a eu la paresse d'inventer de nouvelles idées pour utiliser ce gameplay, et tout ce qu'il a repris, il l'a fait avec moins de talent. C'est un peu comme acheter une contrefaçon imparfaite : c'est le même truc, mais on sent qu'il manque cette finition et ce savoir-faire qui font toute la différence. 

Egalement, l'une des forces de RE4 était qu'il entrait en décalage avec les poncifs de la série, dans le gameplay, mais également dans l'histoire. Cette fraicheur générale, dans le gameplay et dans l'univers, on ne la retrouve pas dans RE5 car ce jeu se repose sur une mythologie vieillissante et un peu trop grasse d'années durant lesquelles Capcom s'est amusé à étendre une toile de fond désuette à laquelle je n'accroche plus vraiment. On peut s'amuser d'un Chris Redfield qui a pris en bras ce que Lara Croft a gagné en bonnets. On peut tiquer sur un Wesker dont la force évocatrice qu'il génère dans nos coeurs est à mille lieues de la caricature grand-guignolesque qu'il est aujourd'hui devenu... Mais qu'attendre finalement de Capcom qui a alimenté pendant seize ans une intrigue qui n'avait pas vocation à aller aussi loin ? Difficile de leur reprocher de reprendre un gameplay encore neuf, mais l'intégrer à une énième recherche des origines du mal, était-ce bien pertinent? Difficile à dire, je ne suis pas sûr que le jeu aurait été meilleur s'il s'était également émancipé de la mythologie, mais il aurait au moins préservé les icones de mon enfance de cette pantalonnade. 

 

La grande nouveauté apportée par Capcom dans cet épisode, c'est indéniablement l'aspect Coop. Si en Solo il vous faudra batailler avec l'IA débile de Sheeva, force est de constater que le jeu a été vraiment bien pensé pour le multijoueurs. Que vous soyez en split screen ou sur le net, l'expérience RE5 est à mon sens bien plus savoureuse lorsqu'on la parcoure avec un autre être intelligent. Enfin, ça dépend avec qui on joue... J'ai un petit faible pour la partie online, car le splitscreen renforce la difficulté qu'on peut rencontrer à se mouvoir dans l'environnement. Déjà qu'avec un plein écran, notre capacité à observer notre environnement est aussi rigide que notre déplacement, lorsque notre champ de vision se réduit en plus à une moitié d'écran 16/9... Pas évident. D'autant que le système "drag & drop" est assez confortable. Commencez votre session en solo, et si un joueur veut vous rejoindre alors que vous jouez, le menu s'ouvrira au prochain checkpoint pour lui permettre de customiser son inventaire; inventaire que le personnage gardera si votre invité vient à se déconnecter en cours de jeu. En parlant d'inventaire, et des différences avec le quatrième épisode, je n'ai pas trouvé le nouveau système très agréable. Alors que la valise bluetooth de Leon nous obligeait à se la jouer "Tétris" pour réussir à tout caser dans cet espace bien déterminé (loin des coffres bluetooth sans fond des opus précédents); ici nous avons 9 places figées, et un oeuf de poule prendra autant de place qu'un lance-roquette. Lorsqu'on commence à jouer à un haut niveau, ce système s'avère plus pertinent, mais lorsqu'on veut tout simplement vivre l'histoire du cinquième épisode canonique d'une Saga qu'on adore... C'est déjà plus frustrant.

 

De la même manière que ce jeu est avant tout taillé pour le multi plus que le solo, le gameplay s'avère bien plus profond et intéressant lorsqu'on ne prend pas l'histoire comme un scénario uni, mais comme une suite de niveaux presque indépendants les uns des autres. Finalement, jouer à Resident Evil 5 dans les meilleures conditions, c'est jouer avec un pote sur internet, connectés avec casque et micro. A la sélection de l'inventaire, ne jamais remplir plus de trois cases sur les neuf, et toujours rester complémentaires avec son partenaire. Et une fois dans le niveau, le but est d'aller le plus vite possible, en  étant le plus rentable possible en terme de munitions dépensés et risques encourus. Resident Evil 5 est un jeu d'arcade multijoueurs. Et les modes mercenaires, survivants... En plus des notations de fin de chapitre.. Voilà l'héritage de RE4 qui est au coeur de cet épisode : le scoring en multi. C'est une orientation particulièrement  "hardcore gameur", et tel ne fut pas mon étonnement de voir deux ans après la sortie, alors même que RE6 s'est installé dans les foyers, il y a encore beaucoup de monde qui joue à ce RE5 tant décrié. Il y a encore une communauté très impliquée dans ce jeu, qui récupère de l'or pour faire évoluer ses armes, qui cherche les meilleures combinaisons d'armes en fonction du niveau qu'ils vont traverser, etc... Une telle rejouabilité serait un avantage énorme, si la première expérience n'était pas aussi frustrante. Avec son manque d'idées, ses situations repompées sans génie, et cette paresse d'avoir conservé à l'identique le gameplay d'une autre génération alors que la concurrence avait su utiliser les mêmes inspirations pour en faire quelque chose de plus moderne.. Le Fond de Resident Evil 5, sa véritable qualité, s'acquiert dans la douleur et la sueur. Comme beaucoup de jeux japonais de cette époque finalement. Le premier épisode de l'ère post-Mikami a été porté dans l'idée de reproduire le fun, l'exigeance et le scoring du dernier opus, en la transposant dans un environnement multijoueurs, où les fans du monde entier pourraient s'entraider et coopérer dans cette recherche du meilleur score. Malheureusement, derrière cet enrobage vraiment avantageux, les hommes de Takeuchi ont oublié de travailler la première lecture. Car finalement Resident Evil a toujours été ça : Une première lecture immersive, stressante, prenante; suivie d'une rejouabilité arcade faite de challenge et de scoring. Quel dommage pour un titre qui voulait s'intéresser aux "Origines", que d'en oublier la première et fondamentale : Avant de se faire plaisir à retourner le jeu, on aimerait bien vivre une histoire intéressante à l'ambiance maîtrisée !

Mais la grande question est de savoir si quelqu'un, chez Capcom, a encore quelque chose à raconter sur Resident Evil? J'en veux pour preuve le DLC "Perdu dans les cauchemars" qui nous plonge dans les mauvais flashbacks de ce cinquième épisode. Fan Service total du tout premier opus, et fan service totalement raté à mon sens puisqu'il met en exergue toutes les lacunes de l'équipe sur ce dernier épisode. Aventure linéaire au possible lorsque le but initial était de nous perdre dans ce labyrinthe, caméra mobile totalement innapropriée à l'environnement lorsque les caméras fixes d'époque mettaient à la fois l'aventure en scène, mais nous offraient aussi une lecture de jeu plus confortable. Non seulement on débloque ce DLC une fois qu'on termine l'histoire principale, après des heures de souffrance donc, mais en plus on se retrouve face à une suite absconse de clins d'oeil sans aucune imagination. Et c'est le drame le plus absolu : Chez Capcom ils ont pensé que c'était ça, que voulaient les fans de la première heure. Mettons leur les mêmes  notes, ça va les faire kiffer... Mettons leur la même salle à manger, ils vont adorer.. Attendez les gars, c'est ça la vision de votre série? Comme si après le remake exemplaire sur Gamecube, la source s'était tarie. Avoir Chris Redfield sous le soleil Africain ne me dérange absolument pas, tant que l'histoire m'emporte et me faire flipper. Si j'ai adoré Dead Space, c'est parce qu'il modernise des idées déjà présentes chez Resident Evil depuis une dizaine d'années : les Messages à découvrir, les détails dans le décors, l'ambiance sonore phénoménale, un gameplay en adéquation non seulement avec l'histoire, mais aussi avec le game design, là où RE5 a gardé la lourdeur et la rigidité de RE4 tout en modifiant la vélocité et le nombre de nos adversaires... 

Resident Evil 5 m'a déçu, c'est indéniable, mais il n'est pas pour autant raté. Il conserve une base solide qui lui a permis  de s'en sortir sans trop de casse. Pris comme un Resident Evil complet, ce qu'il doit être, ce jeu a un goût d'inachevé quand ce n'est pas une impression de maladresse un brin pathétique. S'accrocher à ce qui a fait de la série un mythe pour les joueurs, tout en se basant sur un opus qui justement s'émancipait de son héritage... Tout ça rend l'expérience bancale. Renoncer aux machines à écrire mais pas aux herbes vertes; approfondir l'orientation arcade mais en faisant revenir toutes les icônes historiques... C'est dur de prendre la relève...